• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Accords et Désaccords

2.4 Le poids de la reconnaissance

Le stagiaire a besoin de s’entendre dire qu’il est compétent. La reconnaissance comporte à la fois une dimension d’intégration sociale (au groupe des enseignants) et d’approbation sociale (qui nourrit directement l’estime de soi). La reconnaissance du tuteur crée la valeur du stagiaire.

Quand le stagiaire reconnait ne pas être à la hauteur, il n’attend pas cette reconnaissance ; la crise identitaire n’advient que dans l’écart entre l’auto-évaluation du stagiaire et le jugement du tuteur. Le tuteur dispose de plusieurs manières pour minorer une auto-évaluation positive du stagiaire (Heinich, 2000).

La première consiste à faire baisser le niveau de difficulté de la tâche accomplie et revient par exemple à décrire ses élèves comme exceptionnellement compétents, gentils, doués, etc. Il semble impossible de rater une séance tant le niveau d’engagement et d’expertise des élèves est élevé. Les compétences des élèves autorisent même des erreurs de réglage des difficultés proposées par le stagiaire.

Finalement loin d’être réussie la séance est un ratage qui s’ignore comme le souligne l’extrait suivant :

Conseil Pédagogique (chercheur/enseignant novice 3/parrain 3/tuteur 3)

TU3 : ils l’ont pas trouvé parce que peut-être pour eux c’était pas…Pertinent, quand ils disent « collectif » , c’est pertinent c’est qu’ils ont un projet commun, savoir jouer ensemble, c’est dans la compétence 1, savoir jouer ensemble…Et…C’était super bien les questionnements mais quand on sait que c’est la première séance de basket avec des élèves de sixième, c’est inconcevable que tu puisses avoir des élèves comme ça dans toute ta vie future, de prof d’EPS, sauf si tu restes tout le temps à Petite Ile où tu as une section sportive dans le primaire, mais là, qu’ils sachent ce que c’est un pivot, qu’ils sachent ce que c’est que deux pas au basket, un dribble, bon…Peut-être qu’ils savent

La tutrice félicite le stagiaire mais ajoute un « mais » annulant les félicitations. Elle appelle l’enseignant novice à plus de réalisme et le met en garde face à la confusion possible entre exception et généralité.

Une seconde manière pour le tuteur de refuser de gratifier le novice de la reconnaissance qu’il croit mériter revient à l’attaquer sur un autre point plus général que l’activité directement réalisée. Il ne semble pas véritablement chercher à prendre en compte la logique de l’activité de son stagiaire comme le montre l’extrait suivant :

Conseil Pédagogique de suite...Je suis spé handball, tu leur dis de se déplacer en pas chassés et de se faire des passes, c’est pas dans la logique de l’activité donc on ne se déplace jamais en pas chassés en handball donc là tu leur donnes un repère qui est complétement faux, le pas chassé est réservé uniquement à l’aspect défensif mais sur une montée de balle, jamais, parce qu’on a vu justement une élève qui a failli se prendre une balle dans la tête au niveau de la vision, tu lui fermes sont espace là, en pas chassés elle ne voit absolument pas ce qu’il se passe devant elle c’est-à-dire l’accès à la cible donc c’est juste ça, on en vient toujours aux repères des gamins, donc la cible est devant tous passent devant moi donc c’est une course rectiligne de face, jamais en pas chassés

CH : et toi en fait, pourquoi tu avais choisi de faire des pas chassés à la base ?

EN3 : c’est pour permettre aux élèves de se déplacer devant, derrière, de gauche à droite, parce que là en fait, j’étais pas dans une logique de progression vers la cible donc quand je parle de pas chassés, parce que toi (TU) quand tu parles de pas chassés tu parles de progression vers la cible, mais moi je suis dans une logique de pas chassés, ils sont face à face, si mon camarade il va sur la droite, je me déplace en pas chassés sur la droite, je ne suis pas forcément avec le ballon, je ne suis pas

CH : donc là du coup, ça te paraît pertinent là ce conseil de ne pas utiliser les pas chassés ?

EN3 : ben je sais plus là, on est toujours sur la situation où ils font ce qu’ils veulent

CH : oui, on est toujours dans l’échauffement

EN3 : donc ce qu’elle me dit ce n’est pas pertinent du tout parce qu’ils ne se déplace pas vers une cible, donc ils peuvent être en pas chassés et en marche normale, parce que là elle dit « quand tu es en pas chassés, tu ne vois pas ce qu’il se passe devant toi »

CH : oui

EN3 : mais en fait ils n’ont pas de couloir de progression donc qu’ils soient en pas chassés ou…

forcément en train de dribbler c’était ça quoi en fait

TU3 : effectivement par rapport à ta préparation, tu es dans ta logique à toi, mais comme on te disait, si tout de suite tu les avais orientés vers la cible, tu aurais vu que ça, ça n’aurait pas fonctionné

L’enseignant novice peut signaler à la tutrice qu’elle commet un contre sens, celle-ci n’en tient pas compte. Le stagiaire conçoit mal que la tutrice puisse le conseiller si elle n’est pas capable de l’écouter. Plus la tutrice semble sûre de son interprétation plus elle montre en fait son incompréhension. Cet aveu paradoxal et involontaire engendre la réaction éberluée du stagiaire et, en conséquence, son rire.

Augmenter son niveau d’exigence s’avère être le troisième levier dont le tuteur dispose pour éviter d’accorder de la reconnaissance à l’enseignant novice.

L’extrait précédent montre que la tutrice adopte la posture d’une spécialiste dans son domaine et définit des exigences très élevées.

Chapitre 3 : La présence d’un tiers : le