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Tunis, vaste marché de consommation et débouché de toutes les routes marchandes

Une mondialisation des relations commerciales par étapes : les processus de structuration des

Encadré 2.4. : Wafik, parcours migratoire et étape napolitaine

II.1. Tunis, vaste marché de consommation et débouché de toutes les routes marchandes

Dans la synthèse de Pierre Signoles sur la capitale tunisienne, le chapitre consacré aux activités commerciales rappelle la prééminence de Tunis. L’auteur souligne alors que « les réseaux d’échanges et les circuits commerciaux n’ont pas fondamentalement évolué :

ils continuent à partir de Tunis ou à y aboutir » (1985, p. 647). Cette remarque peut

toutefois être nuancée dans le cas contemporain du commerce transnational. Entre 2012 et 2015, les marchés de la capitale enquêtés que sont les souks Boumendil et Moncef Bey, les souks Libya de Mellassine, L’Ariana et Ben Arous, et le souk Zahrouni ont développé un réseau d’approvisionnement dense et à toutes les échelles. La capacité de redistribution des marchés de la capitale vers le reste du pays demeure cependant restreinte.

II.1.1. Des approvisionnements à toutes les échelles

Au sein du marché de consommation tunisien, Tunis occupe une place prépondérante. La macrocéphalie de la capitale tunisienne67 ne s’est en effet pas démentie. Considérant

l’agglomération comme place marchande du commerce transnational, celle-ci regroupe au moins six marchés, sans compter les sites de vente plus réduits et/ou plus spécialisés68. Ces souks ont donc avant tout l’objectif d’alimenter le premier marché de

consommation du pays. Du point de vue des approvisionnements et de l’importation transnationale l’analyse de Pierre Signoles (1985) se confirme : « Dans le cadre d’une

économie extravertie, c’est en effet la maîtrise des flux d’importation et, accessoirement, de ceux d’exportation, qui établit les bases de la prééminence des firmes commerciales tunisoises ».

À l’échelle mondiale, l’importation directe en provenance d’Istanbul et de Yiwu essentiellement est particulièrement bien représentée dans les marchés de Boumendil et de Moncef Bey. Il faut dire que Tunis dispose des principales infrastructures portuaires et aéroportuaires du pays, ce qui renforce d’autant plus l’importation directe. Au souk Boumendil, les commerçants sont généralement aussi des importateurs. Ils s’approvisionnent eux-mêmes en Chine, en général à hauteur d’un à deux conteneurs par an pour leur propre magasin. Cette maîtrise des flux d’importation n’a en revanche pas conduit à l’émergence dans ce souk de firmes spécialisées dans l’importation et le commerce de gros. Dans la dernière extension du marché le long de la rue Sabaghine au cœur de la médina ainsi qu’au souk Moncef Bey, les importations peuvent toutefois être opérées par des importateurs spécialisés alimentant, toujours depuis ces deux places marchandes globales, les commerces qui leur passent commande. La deuxième partie de la thèse explicitera les raisons d’une telle organisation (cf. Partie II, chapitre 4).

Les approvisionnements des souks de la place marchande tunisoise se déploient aussi à l’échelle régionale du Maghreb. Il s’agit des marchandises importées de Turquie et de Chine par les importateurs libyens et algériens, transitant par les frontières terrestres du pays. Ainsi l’essentiel de l’habillement masculin de la rue Sabaghine est d’abord

67 Au dernier recensement de 2014, le Grand Tunis, comptabilisant la population des quatre

gouvernorats de Tunis, L’Ariana, Ben Arous et la Manouba, représentait 2,65 millions d’habitants, soit 24 % de la population du pays sur 2 % de sa superficie. Source : Institut National de la Statistique.

68 À titre d’exemple, le petit souk de la rue des Salines au nord de Bab el Bhar fait office de petit

importé en Libye. À Moncef Bey, l’électroménager qui fait la réputation du marché provient des réexportations opérées par les importateurs libyens comme ceux des places marchandes de l’est de l’Algérie. Lors des enquêtes menées au souk Boumendil, il est apparu que les importateurs algériens démarchaient activement les commerçants tunisois en envoyant représentants et catalogues.

Enfin, les commerçants des souks de la capitale, en particulier ceux qui n’importent pas, s’approvisionnent largement sur les marchés importateurs à l’échelle nationale. La première destination pour passer commande qui apparaît à cette échelle est le marché de M’saken. Situé dans la principale ville de la banlieue de Sousse, M’saken est le marché qui concentre le plus les espaces de vente des gros importateurs – au-delà de vingt conteneurs par an – exclusivement dédiés à la vente grossiste. D’après les commerçants tunisois, M’saken a supplanté le souk d’El Jem, entre Sousse et Sfax, dont le profil est similaire 69 . Au sud, Ben Gardane constitue toujours une alternative

d’approvisionnement importante, en particulier pour les commerçants des marchés libyens de la capitale.

Les souks de la place marchande tunisoise peuvent aussi s’approvisionner les uns les autres. Pour les commerçants qui n’importent pas ou pour ceux qui souhaitent renouveler leur stock à la marge, il est toujours possible d’acheter auprès des autres magasins. Certains petits acteurs, en particulier les nasbas – les vendeurs de rue – peuvent par exemple revendre à Mellassine des marchandises achetées au souk Boumendil.

69 Le fonctionnement et le rôle de ces deux places marchandes sont expliqués en détails dans le

Figure 2.4. : Tunis, débouché de toutes les routes marchandes

Cet aperçu des approvisionnements des souks tunisois, dont la complexité fait l’objet de la partie suivante, montre ainsi les multiples options dont jouissent les commerçants

II.1.2. Des capacités distributives restreintes

Destinée à approvisionner un vaste marché de consommation, la place marchande tunisoise redistribue peu en dehors de l’agglomération capitale. Contrairement aux secteurs marchands évoqués par Pierre Signoles (1985), les flux de marchandises à destination des souks tunisois ne sont pas réexportés ensuite vers les marchés des villes secondaires, et encore moins dans les marchés des pays voisins. Ainsi, dans les sept sites marchands enquêtés en Tunisie, aucun commerçant n’a déclaré s’approvisionner à Tunis.

Si les importateurs et commerçants de la capitale ne réexportent pas les marchandises issues du commerce transnational, en revanche, l’aire de chalandise de la place marchande dépasse largement l’agglomération. À ce titre, le souk Boumendil est celui dont l’aire de chalandise apparaît la plus étendue. Pour la consommation du quotidien, la clientèle provient essentiellement du centre-ville étant donné que les quartiers périphériques ont aussi des souks ou des boutiques similaires dispersées et que ces achats ne justifient pas de traverser la ville. En revanche, le souk Boumendil est identifié comme le lieu des bonnes affaires répondant à quelques moments exceptionnels de la vie sociale qui sont aussi les temps forts de consommation des ménages. La fête de l’Aïd el Fitr et le mois de Ramadan qui la précède occasionnent d’importantes dépenses pour les ménages ce qui justifie un déplacement à Boumendil où, en plus d’avoir le choix, les familles venues des quatre gouvernorats de la capitale peuvent réaliser de substantielles économies. Le marché est aussi un centre d’approvisionnement des petits revendeurs informels, vendeurs de rue du centre-ville et des autres espaces densément fréquentés de l’agglomération comme le Passage, aux abords de la station centrale du tramway tunisois, ou les promenades littorales dominicales de La Goulette et de La Marsa.

Le souk Boumendil attire également au-delà de Tunis. Les commerçants des souks hebdomadaires s’y approvisionnent régulièrement et diffusent ensuite ces marchandises dans tout le nord-est du pays, dans les marchés hebdomadaires des villes et bourgs des gouvernorats de Bizerte, Zaghouan, Béja ou Siliana. Particuliers et petits revendeurs peuvent venir de plus loin, notamment en associant une navette commerciale à d’autres raisons de fréquenter la capitale. C’est l’exemple de Sihem70,

rencontrée en 2013 dans le train entre Tunis et Gabès et venue acheter des bijoux fantaisie au souk Boumendil pour les revendre à ses voisines, dans son quartier de Sfax.

Enfin, l’aire de chalandise du souk Boumendil peut aussi dépasser les frontières nationales. En effet, les Algériens d’Annaba fréquentent régulièrement le souk après une visite à Tunis et dans les marchés traditionnels de la médina. Les taxis collectifs immatriculés à Annaba stationnent d’ailleurs tout près, dans la moitié nord de la rue el Jazira. Cette extension de l’aire de chalandise du souk est toutefois le fait de produits plus rares et soutenant la concurrence avec d’autres marchés tunisiens comme c’est le cas des bijoux fantaisie et des cosmétiques.

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