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Deux places marchandes ancrées dans des territoires en déclin

I. Deux places marchandes populaires et multisites

II.1. Le déclin de la médina, facteur de son renouveau commercial ?

II.1.3. La naissance du souk Boumendil

Les parcours de commerçants du souk permettent de retracer la transformation du quartier sud-est de la médina en une place marchande dynamique.

L’exemple de Yasser, père de Habib39 aujourd’hui importateur de la rue Sidi Boumendil,

illustre l’arrivée des migrants ruraux dans le quartier et les débuts du commerce sur des étals dans la rue. La perte de son emploi dans la région de Sidi Bouzid provoque une mobilité en quête d’opportunités économiques. À l’exemple d’autres ouvriers agricoles

du Centre-Ouest, Yasser commence en 1975 à effectuer des navettes régulières au souk Zarkoun. Sur son étal du marché, il revend les produits des navettes transméditerranéennes ou de la contrebande aux frontières libyenne et algérienne – cigarettes, batteries pour automobiles, lames de rasoir jetables. En 1992, Habib rejoint son père à Tunis pour « trafiquer et vivre du petit commerce sur les nasbas ». En juillet 1993, lorsque la municipalité évacue le souk Zarkoun, Yasser et Habib cherchent cependant à rester dans le quartier pour ne pas perdre leur clientèle. En effet, le site de réinstallation de Moncef Bey proposé par les autorités est excentré, situé à deux kilomètres de la rue Zarkoun, dans un quartier peu habité constitué d’entrepôts portuaires en friches. En 1994, père et fils investissent alors dans la location d'un dépôt rue Sidi Boumendil. Au début des années 1990, la rue Sidi Boumendil est peu commerçante, en dehors de quelques marchands d’épices. C'est une petite rue discrète, habitée à l’instar du quartier par une population pauvre. Elle est donc perçue comme « mal famée » : « Les clients ne venaient pas, c'était très dangereux après 14h, avec la

drogue... etc. ». Si la localisation du dépôt est idéale pour entreposer une marchandise

illicite, il est en revanche nécessaire de continuer à exposer la marchandise sur un étal rue el Jazira, espace de circulation stratégique pour capter la clientèle.

La rue Sidi Boumendil devient ainsi dans les années 1990 la base arrière des nasbas de la rue el Jazira, dont beaucoup sont des transfuges du souk Zarkoun bravant l’interdiction des étals. Peu à peu, d'autres vendeurs de rue acquièrent des locaux dans la rue dont la fonction d’entreposage s’affirme tandis que l’espace commercial demeure rue el Jazira. Cependant la transformation de la rue Sidi Boumendil en arrière-boutique en change l’image. Quelques clients réguliers et de confiance de Yasser et Habib commencent à réaliser leurs achats de cartons de cigarettes de contrebande directement à l’entrepôt. La fréquentation de la rue s’accroît. Cette installation commerciale fixe conduit Yasser et Habib à abandonner leur étal rue el Jazira mais aussi à changer progressivement la nature de leur commerce et à le normaliser en se désengageant du commerce de cigarettes de contrebande, plus étroitement surveillé par les douanes. Les cigarettes sont remplacées par de nouveaux articles achetés aux importateurs qui commencent à développer leurs activités. Le prix des autoradios est ainsi divisé par quatre tandis que la rue Sidi Boumendil devient le cœur d’une nouvelle dynamique marchande initiée par le bas, par les anciens vendeurs de rue qui s’y installent, suivis par les autres commerçants du quartier qui s’y convertissent lorsque que l’afflux de marchandises s’intensifie substantiellement au début de la décennie 2000.

L’exemple d’Amir illustre cette conversion des anciens commerçants du quartier au commerce transnational de marchandises importées. Amir est issu d’une famille originaire de Ghomrassen dans la région de Tataouine mais qui est anciennement installée à Tunis où elle détient plusieurs hôtels dans le centre-ville et la médina. Lors de l’indépendance, son père avait racheté rue Sidi Boumendil un magasin de matériaux de construction à un commerçant italien sur le départ. Amir en prend la gérance en 1992. Il observe alors la transformation de la rue avec l’arrivée des nasbas – « Les premiers sont

présents depuis la fin des années 1980, début 1990. » –, puis leur installation dans des

locaux fixes dans la seconde moitié des années 1990 : « Un premier achète un magasin

rue Boumendil, puis son cousin, jusqu'à ce qu'une dizaine de magasins vendent des produits d'importation. Tous étaient des gens de la région de Jelma. À cette époque, les quelques locaux commerciaux de Boumendil ne valaient pas grand-chose. ». La rue Sidi

Boumendil devient marchande, offrant à la clientèle populaire du quartier des biens de consommation à prix modique. Faisant le constat du dynamisme de ces nouveaux commerces, Amir décide de convertir son magasin de matériaux de construction au commerce transnational en 1998.

L’émergence du souk Boumendil dans une petite rue de la bordure sud-est de la médina de Tunis associe ainsi les « nasbas », vendeurs de rue issus de l’émigration en provenance des régions agricoles du Centre-Ouest et les héritiers d’anciennes familles commerçantes du quartier. Les premiers, de loin les plus nombreux parmi les commerçants du souk actuel, se sont sédentarisés dans un espace propice, la rue discrète d’un quartier paupérisé, dont les locaux sont abordables, la clientèle potentielle nombreuse, et qui se trouve à l’abri des regards des autorités. Les seconds, anciennement établis, ont saisi l’opportunité de se rallier à un nouveau commerce dynamique et donc de transformer radicalement des affaires anciennes mais enracinées dans un espace socio-économique aujourd’hui disparu.

Ainsi, la médina de Tunis, délaissée, pauvre et dégradée, est un espace d’opportunités économiques pour les migrants ruraux et tous ceux pour qui l’économie de la débrouille et les petits trafics constituent les seuls moyens de subsistance. Ils y trouvent de quoi se loger, des locaux commerciaux même, des partenaires d’affaires, jetant les bases de réseaux sociaux et économiques à l’origine de bien des entreprises d’importation actuelles, et une clientèle nombreuse.

II.2. Dans l’agglomération capitale : des marchés dans les interstices de la

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