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Une mondialisation des relations commerciales par étapes : les processus de structuration des

Encadré 2.4. : Wafik, parcours migratoire et étape napolitaine

I.3. La mobilité des acteurs, facteur d’une mondialisation des approvisionnements des places marchandes

I.3.1. La mobilité pratiquée par les commerçants tunisiens

Dans les récits de vie des commerçants enquêtés à Tunis comme à Ben Gardane, plusieurs profils de mobilité se dégagent. Tout d’abord, les profils d’aventuriers, qui renvoient à des mobilités transnationales, sont rares dans les souks tunisiens. Une telle mobilité peut être rapprochée de celle de Wissem (cf. encadré 2.5.) à destination d’Istanbul et avec quelques incursions en Syrie ou dans la partie turque de l’île de Chypre pour réactiver son visa. Sans relais familiaux à destination, Wissem ne part toutefois pas complètement vers l’inconnu puisqu’il reproduit les itinéraires des navettes de ses fournisseurs du souk Zarkoun. Dans ces deux exemples de mobilité à longue distance, sans passer par les relais migratoires et marchands du sud de l’Europe, le voyage commercial arrive dans un second temps. C’est seulement une fois installés à Hong-Kong pour l’un et à Istanbul pour l’autre qu’ils rencontrent et intègrent les réseaux d’affaires du commerce transnational.

Parmi les commerçants ayant pratiqué une mobilité transnationale, certains ont été acteurs de circulations migratoires à destination de la rive nord de la Méditerranée. Le but de leurs circulations n’est pas commercial. Elles permettent toutefois d’accumuler une expérience et un capital financier qui n’est réinvesti dans le commerce qu’après leur retour à Tunis. Ainsi, Wafik (cf. encadré 2.4.) effectue des circulations régulières entre l’Europe – et plus particulièrement l’Italie – et Tunis pour « faire de l’argent ». Nadir effectue quant à lui un long parcours clandestin jusqu’à Marseille où il reste dix années (cf. encadré 2.6.).

Encadré 2.6. : Nadir, un exemple de migration clandestine vers l’Europe

Après quelques trafics au souk Zarkoun, Nadir63 a aussi tenté l’expérience migratoire. Il s’oriente

d’abord en 1998 vers Jeddah où l’un de ses cousins qui y est installé lui a laissé espérer un travail. Mais l’emploi escompté ne vient pas. De retour à Tunis, Nadir est informé par un autre cousin d’un réseau pour rentrer en Italie par Sarajevo. Son périple commence début 2000, d’abord en avion vers Sarajevo, avec une escale à Budapest. À Sarajevo, « les mafias s’arrachent les

clandestins potentiels et les truandent ». S’ensuit un parcours long et coûteux à travers les

montagnes de Bosnie, en passant par la prison en Croatie puis en Slovénie avant d’atteindre Trieste deux mois plus tard. En Italie, au gré des rencontres d’autres clandestins, il saisit quelques opportunités d’emploi : pizzaïolo à Vérone, vente de drogue à Milan. Cette dernière expérience le décide à partir vers la France pour se rapprocher de son oncle à Nice où il fait escale avant de repartir pour Marseille. Il y reste dix années, commençant par dormir dans la rue et par « collecter des déchets pour le marché aux puces » avant de cumuler les boulots clandestins : bar, boulangerie, travaux dans le bâtiment, de la peinture à la charpente, puis auprès d’un paysagiste. À son retour à Tunis en 2010, il réinvestit le capital accumulé. Il achète une voiture et se marie. Il souhaite racheter une boulangerie mais son beau-frère le convainc d’ouvrir un magasin au souk Boumendil où il est lui-même commerçant.

Dans ces deux cas, la mobilité migratoire n’a rien à voir avec l’économie marchande transnationale, bien que ces deux parcours aient clairement un objectif économique. La mobilité, toujours polarisée par les relais migratoires que sont les places marchandes de Marseille et Naples, permet néanmoins de constituer le capital nécessaire à l’installation commerciale qui a lieu après le retour.

Enfin, les mobilités les plus fréquentes dans les parcours des commerçants enquêtés sont aussi les plus réduites spatialement. Il s’agit des mobilités intérieures et des mobilités transfrontalières. Chacune est fortement liée aux opportunités marchandes

avec la Libye et, dans une moindre mesure, avec l’Algérie qui a alors moins à offrir, en dehors de l’essence et des cigarettes de contrebande, en particulier dans le contexte de guerre civile de la décennie 1990. Il s’agit d’une part des navettes marchandes des Tunisiens des régions pauvres du Centre-Ouest du pays entre les régions frontalière et Tunis comme l’ont montré les exemples de Lyes et Habib (cf. encadré 2.2.). Ces commerçants ont tous deux été formés par les navettes marchandes de leur père qui précèdent une installation définitive à Tunis où s’enrichissent les relations d’affaires, notamment auprès d’autre circulants et migrants ruraux de leur région d’origine.

Les mobilités transfrontalières sont essentiellement celles des commerçants de Ben Gardane pour lesquels l’activité de base revient à jouer le rôle de passeur de carburant, puis des autres marchandises provenant de Libye mais aussi à destination du pays sous embargo entre 1992 et 1999. Ces mobilités sont pendulaires et routinières à partir de l’ouverture de la frontière en 1988 et consistent en des allers-retours entre Ben Gardane et Zelten ou Zouara, très rarement jusqu’à Tripoli. Ce type de mobilité, en particulier celle de l’essence, la plus accessible, permet une accumulation très lente de capital. Quant à la contrebande, elle représente un risque et un investissement bien plus important, ainsi qu’un savoir-faire et une connaissance des passages moins accessibles.

Ces exemples de mobilités précédant l’activité marchande transnationale, à toutes les échelles, jouent un rôle important dans l’accumulation d’expérience et de capital pour les commerçants enquêtés (cf. figure 2.3.). Cependant, les rencontres et les ressources

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