• Aucun résultat trouvé

Méthodologie et résultats

7. Trois exemples de médiations

En voici les synopsis.

Nous avons mené la première médiation sans utiliser le métamodèle PRECAUCUS. Il s’agit d’une médiation familiale judiciaire et, particulièrement, d’un exemple classique et contrasté d’une médiation avocat-médiateur/médiateur.

Deux médiateurs de l’équipe ont rapporté lors des réunions collaboratives post-expérimentation du métamodèle deux autres médiations (une médiation administrative et une médiation pénale, sans co-médiateur), avec usage du métamodèle.

Les noms, dates, lieux et autres indications pouvant permettre d’identifier les personnes ou de reconnaître les situations présentées ont été changés.

(1) Médiation familiale judiciaire entre A et B.

Les parties :

- Mme A., née en 1977, ex-épouse B., représentée par Maître X. - Mr B., né en 1970, ex-époux de Mme A., représenté par Maître Y.

Tous deux sont les parents de M., un garçon de 18 ans et de L. une fille de 10 ans. Exposé des faits.

Suite à une ordonnance de non conciliation rendue en … 2015, Mme A. et Mr B. ont saisi le tribunal d’une requête conjointe en divorce pour acceptation du principe de rupture du mariage en date du … 2016, déposée au greffe le … 2016. Lors de l’audience, la mise en place d’une médiation dans

l’intérêt des enfants et des parties, pour rechercher un mode de résolution conventionnel des difficultés relationnelles apparues, a été évoquée et acceptée par Mme A. Mr B. n’étant pas comparant, lors de cette audience, une injonction à la médiation a été ordonnée.

Dans l’attente de cette mesure ordonnée suivant les dispositions figurant au dispositif du jugement, l’affaire est renvoyée à l’audience de … 2017 soit pour l’homologation de l’accord intervenu soit pour permettre aux parties de formuler leurs prétentions et faire valoir leurs moyens de preuve.

Dans l’attente des suites de la médiation familiale, à titre provisoire :

Compte-tenu de la résidence des enfants fixée chez la mère et de « la nécessité d’une réduction

provisoire des droits d’hébergement de vacances chez le père pour diminuer l’intensité du conflit familial » et permettre d’ouvrir la voie du dialogue apaisé, il sera accordé à Mr B. un droit de visite et

d’hébergement :

- sur M., exclusivement à l’amiable.

- sur L., qui s’exercera du vendredi 18 h. au dimanche 18 h. les semaines paires, à charge pour Mr B. d’aller chercher et ramener les enfants.

Par ces motifs est donc enjointe une médiation familiale avec mission d’aider les parents à dégager une solution dans le litige qui les oppose concernant la mise en place d’une résidence alternée ou d’un droit de visite et d’hébergement.

Le dossier est renvoyé pour la poursuite des débats à l’audience du … 2017 à laquelle les parties sont d’ores et déjà convoquées.

198 Maître H. nous contacte pour nous proposer d’être co-médiateure : « il faut un médiateur

psychologue, la situation est délicate… ».

Nous sommes à trois semaines de la date d’audience au Tribunal. Il y a une certaine urgence à intervenir. Nous acceptons en spécifiant que nous voulons être présenté uniquement à titre de médiateur.

L’avocate-médiateur décide du calendrier des dates de rencontres :

- Pour l’entretien préliminaire individuel Mr B. sera reçu en premier le … 2017 à 11h et Mme A. trois jours après, le … 2017 à 11 h.

- La rencontre plénière aura lieu 3 jours avant la date d’audience au Tribunal, le … 2017 à 14 h. Le médiateur.

Maître H. est avocate spécialisée dans le droit immobilier, de la construction et de l’assurance construction. En tant que médiateur, ses domaines d’intervention sont les conflits de copropriété, de construction, les conflits inter et intra-entreprises. Pour cette médiation, elle a été nommée par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance. Nous nous connaissons par le biais d’une association.

L’entretien préliminaire individuel de Mr B.

Il vient accompagné de son avocate. L’entretien dure 30 minutes. Maître H. se présente en tant qu’avocate « avec la casquette de médiateur » et nous présente, malgré notre demande initiale, en tant que psychologue.

Mr B. communique difficilement. Il semble aller mal : « à quoi bon me battre, elle (son ex-épouse)

veut m’achever ». Avec l’aide de son avocate, il donne quelques indications :

Son ex-épouse a raconté aux enfants qu’il est « un pervers, qu’il fait des choses ». Elle affirme que leur fille de 10 ans a peur de venir chez lui. Mr B. reconnaît avoir consulté des sites pour adultes « à

un moment de fortes crises de couple » il y a quelques temps. Ses enfants l’ont su par leur mère et il a

honte. Il dit qu’il veut être un bon père pour eux alors que Mme A. le présente comme un homme dangereux. Il affirme ne plus avoir « commis d’erreurs ».

Depuis la séparation, il a rencontré sa compagne actuelle. Ils s’entendent bien. Elle a également un fils de 15 ans. Il raconte que Mme A. ne supporte pas sa situation, qu’elle s’imagine que le fils de sa compagne pourrait faire de « vilaines choses » à leur fille. Son avocate précise que Mr B. demande à accueillir sa fille chez lui pendant une semaine de vacances. Il dit que « le juge l’a puni ». Il n’a que très peu vu sa fille depuis quelques mois. Il demande à l’accueillir une semaine entière pour les vacances scolaires et à reprendre le rythme d’un week-end sur deux pendant l’année. Il angoisse. Il dit : « je suis soupçonné du pire, … je ne sais plus quoi faire ».

Avec son fils de 18 ans « ça va ». Il vient quand il veut chez son père. L’entretien préliminaire individuel de Mme A.

L’entretien dure 30 minutes.

Mme A., accompagnée de son avocate, parle facilement, a tendance à imposer son discours. Elle raconte avoir rencontré son ex-mari quand elle avait 18 ans, « un copain du quartier qu’elle

admirait ». Très vite ils se sont installés ensemble. Elle dit que c’est elle qui a « porté » son mari, qui a

fait de lui ce qu’il est devenu professionnellement. Ils ont construit leur maison. Ils ont eu un fils et des difficultés pour avoir d’autres enfants. Finalement L. est née. Mme A. s’est investie dans sa famille. Elle a quitté son « très bon emploi » et « tout donné à son couple ». Un jour, elle a découvert

199 « qu’il regardait ailleurs ». Tout s’est effondré. Elle n’a plus confiance. Elle se méfie de lui, dit qu’il est « dangereux », que sa fille a peur de lui. Elle ne veut pas qu’elle aille chez « l’autre », « cette femme a

un fils qui peut faire du mal à L. ».

La médiation plénière. L’entretien dure 1 h 30.

Mr B. « vient à reculons ». La plénière commence par un aparté avec lui et son avocate pour calmer son stress à l’idée de rencontrer Mme A. Les ex-époux, de tout l’entretien, ne se regarderont pas une seule fois, assis de biais de chaque côté de la table de médiation. Mr B. s’est dit convaincu que s’il « ne réagit pas » son ex-épouse ne le privera pas de voir sa petite fille.

Pour Mme A., Mr B. n’a plus aucun droit car il a « détruit » la famille. Elle répète plusieurs fois que « L. a peur » du père, qu’elle ne veut pas aller chez lui. L’avocate de Mr. prend la parole et raconte ce qu’il lui a dit, que L. est toujours contente de venir chez lui, mais que dès que Mme A. téléphone pour « n’importe quel prétexte » elle angoisse, dit avoir mal au ventre, du mal à dormir. Mme A. attaque la « sexualité » de Mr B., dit être sûre qu’il consulte encore des sites pour adultes, et avoir peur que sa fille pourrait les découvrir sur l’ordinateur. Mme A. veut que la justice l’aide. Elle veut que Mr soit puni pour « tout ce qu’il a fait ».

Commentaires.

L’avocate-médiateur reste, durant chaque entretien, sur les faits et l’accord à mettre au point « très

vite car les vacances scolaires approchent de même que l’audience au tribunal ».

Lors des entretiens nous avons interrogé, outre les positions de chacune des parties, les modes de communication, comportements et émotions. En parlant avec Mme A. nous avons

systématiquement réinterrogé Mr B. pour avoir son point de vue, même s’il ne parle que très peu. A chaque fois nous avons le contact oculaire avec lui.

Il a beaucoup été question des mots choisis pour exprimer les points de vue, particulièrement ceux de Mme puisque Mr B. parlait à peine, tout en creusant les émotions et particulièrement la

projection de l’angoisse de la mère sur sa fille, en travaillant à distinguer l’interprétation des réalités vérifiables, l’angoisse de la mère de celle de sa fille. La technique du langage vidéo 62 a été utilisée pour que chacun entende et comprenne l’importance donnée aux émotions telles que le rejet, la trahison, la perte de confiance.

Nous avons aussi travaillé sur le conflit de loyauté de la fille envers sa mère et sur la question du réapprivoisement père/fille au niveau de la souplesse possible des horaires pour l’accueil de l’enfant. Des entretiens préliminaires d’une durée de 30 minutes, manifestement insuffisante. Un entretien de plénière d’1 h 30. C’est très peu par rapport au travail qui aurait pu être fait.

La médiation plénière est interrompue par l’avocate-médiateur qui signale qu’il faut s’arrêter car elle a un autre rendez-vous. L’accord sera formalisé ainsi : L. sera hébergée chez son père du vendredi 18 h. au lundi 18 h. soit trois jours de vacances scolaires. L’accord sera présenté « à temps » au juge. A noter qu’en situation « normale » le père aurait pu avoir droit à une semaine pour les congés scolaires, et qu’initialement étaient prévus 4 jours (du vendredi soir au mardi soir) contestés par la mère au Tribunal et qui sort gagnante de la médiation.

200 Un accord formalisé entre avocats au détriment du problème psychologique manifeste. Un avocat qui, pour « sécuriser » la médiation (et/ou lui-même), fait intervenir un médiateur « psychologue ». Une co-médiation rendue impossible, l’avocat restant sur les faits et ne comprenant pas notre approche (tête-cœur-mains).

Effets collatéraux inattendus.

L’avocate de Mr B. nous a téléphoné le lendemain de la médiation nous expliquant « avoir compris

mais ne pas avoir osé ni su réagir dans le processus » … Elle nous informera par la suite avoir décidé

de suivre une formation pour avocat accompagnateur de son client en médiation et continuera sur sa lancée en s’inscrivant au DU de médiation à Paris. Elle précisera que nous avons été un

« déclencheur » pour elle.

Nous apprendrons plus tard par l’avocate de Mme A. que celle-ci a compris qu’elle « mélangeait » les problèmes et qu’elle avait besoin d’entreprendre une thérapie. Ce qu’elle a décidé.

(2) Médiation administrative entre Mme Y. et Hôpital.

Ordonnée par le tribunal administratif en… 2018. Le médiateur X est désigné.

- Mme Y., 53 ans, divorcée, quatre enfants à charge (dont deux majeurs). Infirmière diplômée d’état. Ne travaille pas depuis près de 10 ans. - L’employeur : un hôpital en Alsace.

Exposé des faits.

La vie de Mme Y. a « basculé » le… août 2009.

Jusqu’alors, hormis ses congés de maternité, Mme Y. a toujours travaillé (20 ans) « sans problèmes ni

arrêts de travail ».

Mme Y. a commencé son travail ce jour-là comme prévu, à 6 h 15 du matin. Elle travaille dans un « service de pointe » de l’hôpital, elle suit des patients dont « le risque vital est engagé », « les

familles lui font confiance ». Mme Y. aime son métier. Elle y trouve toute la satisfaction et la

reconnaissance dont elle a besoin. Elle s’investit. Elle apprend d’une collègue qu’elle est convoquée au bureau de la cadre infirmière. Etonnée elle s’y rend. Cette dernière est dans le couloir, « l’agresse

verbalement, parle fort », lui reproche son comportement des derniers jours. « Tout cela dans le couloir, devant les collègues et médecins, aux oreilles des patients ».

Mme Y. se sent perdue. Il sera dit plus tard, par des membres de l’équipe qui se rétracteront ensuite, « qu’elle écumait de rage ». Elle-même dira que « c’était très brutal, j’ai tout reçu en plein visage ». Elle pleure. Ne comprend toujours pas. Elle explique que la semaine précédente elle a reçu sa note d’évaluation de son travail, « une excellente note ». Incapable de reprendre son travail, elle va à la médecine du travail. Le médecin lui dit de rentrer chez elle et de se mettre en arrêt de travail. C’est le début de la fin qui va durer plus de 9 ans.

L’engrenage va se mettre en route dans le respect des lois et des règles administratives, des arrêts de travail, des mises en disponibilité, des pertes de salaires, d’expertises en expertises, de courriers pour demander des explications à différents services administratifs, de comité médical en multiples