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Les dix neuro-principes du cerveau en situation de conflit ou de négociation

Le cadre ontologique du conflit

3. L’idéal humain

3.4. L’être humain dans la perspective des neurosciences

3.4.3. Les dix neuro-principes du cerveau en situation de conflit ou de négociation

Des neuro-principes qui autorisent une régulation émotionnelle, ciblent la prise de décision et la créativité. Leur application permet de planifier la médiation, de définir la stratégie d’ouverture d’une session de médiation et de mettre en forme des interventions efficaces pendant les entretiens tout en gérant les impasses ou complications possibles (Cloke, 2013).

Principe 1.

Notre cerveau a des réserves d’énergie rationnée. Il économise sa consommation par la création de schémas automatisés, standardisés, de raisonnement et de comportement.

Nous avons déjà évoqué le rationnement du cerveau en glucose et en oxygène (Tierney, 2011). Ceci explique qu’un besoin de temps de récupération soit nécessaire après des temps d’efforts cognitifs intenses. En effet, l’activité de certaines régions cérébrales ne procède que par des pics d’activité qui ont tendance à faiblir en cas de temps de récupération insuffisants. Ceci peut entraîner une fatigue décisionnelle ou un effondrement du tonus global de la personne (déplétion). C’est pour cela que le cerveau mélange des données nouvelles (inputs) à d’anciens schémas de pensées mémorisés plutôt que d’intégrer de nouvelles données dans leurs apports innovants. Cela facilite une activité de routine aisée mais aboutit aussi à un appauvrissement de l’acquisition de connaissances nouvelles et à des stéréotypies faciles.

Il est important de tenir compte de ces phases d’activité réduite dans le processus de médiation et surtout dans le rythme de travail : un travail de réflexion pondérée demande un grand supplément d’oxygène et de glucose et ne peut être effectué qu’à court terme. Ceci peut expliquer également le filtrage sélectif très massif de toutes les perceptions considérées comme non essentielles et la baisse du niveau intellectuel pendant les entretiens prolongés jusqu’à des états de transe qui conduisent à une focalisation et suggestibilité en faisant perdre la perception suffisante des contextes.

Principe 2.

Nous avons tendance à anticiper, prévoir l’avenir à base de la mémorisation de nos expériences passées.

58 réducteur et inadapté compte-tenu de la grande différence de la nouveauté des situations. Ceci fait probablement qu’au cours de notre vie nous développons et maintenons différents styles, schémas et automatismes de comportement. A ces rôles routiniers se rajoutent et s’entremêlent, souvent confusément, d’autres schémas selon les phases de notre vie (famille, école, profession, milieu culturel, succès et échec) (Cloke, 2004, 2009). Les nouvelles expériences peuvent n’avoir aucun rapport, aucune analogie avec les expériences passées et, d’un autre côté, nos souvenirs ont déjà été tellement trafiqués par

- notre perception sélective,

- notre mode d’encodage personnel,

- nos remaniements avec le temps, persistance selon le degré d’intérêt et autocensure, - notre capacité de réévocation,

- la confluence entre différentes expériences,

- la tendance à réécrire notre histoire pour la rendre plus honorable, supportable, crédible. Et cela au point d’assimiler, d’intégrer, nos schémas discordants dans les schémas préexistants. Le cerveau humain aurait, selon les observations de chercheurs, tendance à raisonner ses

incohérences jusqu’à ne plus avoir à admettre ses torts. La tendance à anticiper l’avenir est donc à la fois évidente, nécessaire et vitale même si, souvent, illusoire.

La tendance à anticiper l’évolution possible d’un conflit et le comportement probable de la partie opposée mérite d’être conscientisée avant la médiation. Cela présuppose une disposition réelle des médiés à vouloir comprendre leurs mécanismes dans le processus du conflit (reality test). En tous cas, de telles démarches de prise de conscience seraient plus prudentes et révélatrices en l’absence de la partie adverse, c.-à-d. en entretien préliminaire individuel.

Principe 3.

Le cerveau humain capte en priorité et tend à éviter tout ce qui pourrait être dangereux et risquer de déclencher des peurs, avant de percevoir ce qui peut être prometteur de récompense et de plaisir.

Le cerveau a développé deux modes fondamentaux de réponse :

le réflexe d’éloignement et le réflexe de rapprochement (away versus towards).

Ces réflexes instinctifs se manifestent dans toute interaction sociale, comme nous l’avons dit. Le réflexe d’éloignement est manifestement beaucoup plus fort et beaucoup plus durable. Les stimuli dits négatifs, qui déclenchent la douleur ou le signal de menace, de non récompense, agissent beaucoup plus rapidement et ont tendance à augmenter le comportement d’opposition et à ralentir les capacités cognitives. D’où l’importance du priming c.-à-d. de la première impression, des

messages évitant tout ce qui peut être blessant ou négatif et, dès le premier contact, le choix soigneux et accentué de mots à l’impact particulièrement positif, la toute première impression dans une rencontre ayant un effet d’imprégnation durable et d’orientation sur tout le déroulement (Kringelbach & Berridge, 2010).

D’une façon générale, les stimuli dits positifs déclenchant le plaisir ou la récompense sont intégrés plus lentement, plus en douceur et l’effet est moins durable, même si ce sont eux qui ont tendance à stimuler la coopérativité. Et pourtant un seul stimulus négatif peut peser plus lourd que de nombreux stimuli positifs et affecter le comportement humain pendant bien plus longtemps.

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Le cerveau humain est « percuté » d’abord émotionnellement avant d’être capable de

s’autoréguler, ce qui déclenche une cognition réflexe sommaire inconsciente avant une cognition raisonnée consciente du stimulus et de l’émotion résultante.

Le cerveau dose instinctivement l’intensité d’un stimulus et crée une émotion dès les premières millisecondes. La prise de conscience n’a réellement lieu qu’après, au mieux, une demi-seconde et permet alors de commencer à moduler les émotions par une réévaluation de la situation. Cette capacité de surpassement peut être développée grâce à la plasticité du cerveau (Cloke, 2004 ; Iacoboni, 2008, 2009).

Principe 5.

L’atteinte à l’identité sociale est perçue aussi douloureusement qu’une douleur physique.

C.-à-d. que l’imagerie cérébrale fonctionnelle confirme qu’une dévalorisation relationnelle a le même point d’impact qu’une douleur physique. Au niveau humain on a testé que des stimuli sociaux positifs comme des signes de respect, l’inclusion dans la coopération, les partages généreux, peuvent activer des réseaux de plaisir physique et stimuler le comportement coopératif, tandis que tout stimulus social négatif, comme une injustice, une dévaluation, une mise à l’écart, est perçu, consciemment ou inconsciemment, comme plus grave dans l’anticipation des conséquences négatives vitales

(Lieberman & Eisenberger, 2009).

Une prise de conscience de la vulnérabilité du statut social devra permettre une anticipation des réactions négatives possibles pendant le parcours de la résolution de conflit.

Principe 6.

Le cerveau tend à faciliter l’établissement et la préservation d’un statut social sécure et confortable à tout moment.

Cela rejoint le principe 5. Des études récentes démontrent que dans des situations où le statut positif est atteint, les personnes se comportent précautionneusement pour le préserver. Si elles ont été jugées, dépréciées, elles agissent plus impulsivement et imprudemment (Bengtsoon, Dolan & Passingham, 2011). Cela illustre une des multiples facettes des interactions de l’écosystème humain. Cela permet d’interpréter certains comportements qui devraient parer à tout risque de mise à l’écart. La façon dont le statut personnel est perçu influe sur la capacité d’empathie et les tendances altruistes se manifestent différemment selon la perception de l’appartenance au groupe et selon la reconnaissance du statut socio-économique (Ma, 2011).

D’où l’importance en médiation de démontrer le respect de tout statut social, quel qu’il soit, en particulier pour contrebalancer l’effet possible d’un contraste de pouvoir et de prestige.

Principe 7.

La création de liens et les phénomènes d’empathie se produisent naturellement intragroupe (mais pas en dehors du groupe).

Les humains ont un besoin fondamental de pouvoir faire confiance et de pouvoir compter sur d’autres individus à l’intérieur de leurs groupes sociaux et familiaux, d’avoir des relations privilégiées positivement prédictibles. Ce besoin est mis en lien avec la présence dans le tissu nerveux

60 d’ocytocine, un neurotransmetteur activé et soutenu par les cellules miroirs qui entretiennent un dialogue non verbal, une connexion particulière avec les personnes en face de soi. Ce mimétisme, de préférence réciproque, comportemental et émotionnel – l’empathie – révèle particulièrement son utilité dans le fonctionnement des groupes. L’ocytocine joue un rôle clé dans l’attachement et l’intégration sociale. Elle augmente même la disponibilité à accepter des risques sociaux à l’intérieur du groupe (Zak, Stanton & Ahmadi, 2007). Mais, comme c’est le cas pour la plupart des substances neurochimiques, l’ocytocine peut produire un effet et son contraire. Les individus à l’extérieur du groupe sont perçus comme des outsiders en compétition et leur présence peut déclencher une position plus défensive et agressive (De Dreu, 2010). Tout comme le phénomène d’empathie peut déclencher, rappelons-le, une attractivité ou une aversion (Iacoboni, 2008, 2009).

Il est actuellement admis que les processus de compréhension et de décodage réciproques,

d’actions, d’intentions, d’émotions, automatiques, dans un premier temps, se réaliseraient à travers ces phénomènes empathiques nourris par l’ocytocine (Mukamel, Ekstrom, Kaplan, Iacoboni & Fried, 2010).

Un autre phénomène contrastant mérite aussi une exploration plus approfondie : les neurones miroirs sont sélectifs et s’activent moins pour des personnes perçues comme nettement différentes. L’ocytocine peut aller jusqu’à déclencher des colères, des agressions, des jalousies, des sentiments de supériorité, etc., tout au contraire de la confiance (Kemp & Guastella, 2011).

D’où la stratégie constructive d’évoquer, dès les premières rencontres de médiation, les meilleurs points communs possibles entre les parties.

Principe 8.

La perception de fairness, c.-à-d. d’un comportement correct, du respect des règles et de la disposition à la coopération, favorise les réactions empathiques et les sensations positives tandis que l’inverse, c.-à-d. la transgression des règles convenues, provoque des réactions douloureuses.

Des réactions douloureuses dues à la rupture de coopération (les circuits de la douleur étant

réactivés dans le cerveau) avec des manifestations de colères et d’indignation ainsi que des pulsions punitives (Lamm & Singer, 2010).

Principe 9.

Pour le cerveau, un certain maintien d’autonomie ou, du moins, une sensation d’autonomie, est un moteur important.

La conscience de soi assume difficilement la sensation d’obligation, de soumission, de se comporter d’une façon précise. Les chercheurs mettent cela en lien avec les mécanismes d’autoprotection, de perception illusoire ou non, pour assurer le contrôle de leur environnement et éviter une position d’impasse et d’absence, d’échappatoire, qui sont les situations de menaces parmi les plus fortes. On dit que ce système de défense est fortement câblé en tant qu’impératif biologique de base. Pour cette raison, les humains, privés d’autonomie, ont tendance à dépérir (Leotti, Lyengar & Ochsner, 2010).

Pour nous cela confirme l’impératif, classique en médiation, de la non directivité et de la

préservation du libre choix des médiés pour améliorer leurs capacités d’autonomie et de créativité. Principe 10.

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Nous disposons de deux modes opérationnels cognitifs : le mode X et le mode C.

Selon Lieberman (2007), il faut distinguer :

- Le refleXive mode (X comme réflexe) qui est géré par un dispositif cérébral appelé le système X. Ce système se réfère à nos schémas de prédictions et à des réflexes cognitifs (enchaînement,

raisonnement primaire) préétablis. C’est le mode sur lequel nous fonctionnons la plupart du temps et que nous pourrions qualifier de dispositif de pilotage automatique. Ce dispositif se déclenche quand nous sommes à un bas niveau d’éveil conscient ou en situation d’urgence ou de surprise.

- Le refleCtive mode (C comme cognitif, raisonner). Il emprunte un circuit neuronal différent et nécessite un temps de récupération et un apport coûteux en oxygène et en glucose. C’est lui qui permet la métacognition, la créativité, les stratégies nouvelles, l’apprentissage structuré.

Ainsi pouvons-nous dire que nous donnons trop peu d’attention à nos restructurations intérieures, subjugués par les tâches externes qui revendiquent toute notre concentration.

Une des conclusions utile à souligner est que notre performance mentale est optimale si nous maintenons une métaposition, une sorte d’attention flottante, un état de tranquille présence (restful

alertness) qui ne se laisse ni capturer par l’émotionnalité ni emprisonner par l’interaction sociale

intense, une espèce de vitesse de croisière entrecoupée de pics d’attention aux changements significatifs (Cloke, 2004).

Aux publications des dix neuro-principes classiques, nous choisissons d’en intégrer un autre :

l’acceptation d’un état d’optimal discomfort, un état de stress optimal qui assure un niveau d’éveil

légèrement stimulant par opposition à une tendance à la quiétude proche d’un état de demi-sommeil, de laisser-aller. Cet état de stress favorable, dit positif, fait partie de certains aspects de la

mindfulness favorisant l’autorégulation (Bogacz, 2013).

Des auteurs tels que Feldmann-Barrett (2006), Leary (2012), Movius & Susskind (2009), Shapiro et Fisher (2009), confirment que les découvertes des neurosciences renforcent, cautionnent, les connaissances existantes. Ces neuro-principes ont été constatés et vérifiés par la recherche en psychologie sur les comportements humains il y a déjà plus de vingt ans : par exemple, les

découvertes sur la mémoire en lien avec les systèmes d’apprentissage, les théories de l’attachement par rapport à la régulation sociale (à distinguer des favoritismes intragroupes), les théories d’identité sociale, les théories de frustration, de projection positive, des réponses punitives à la violation des normes, de la fairness relationnelle et de l’élaboration consciente ou inconsciente des stimuli. Ces neuro-principes représentent, pour nous, une référence, un instrument pédagogique important et surtout convaincant pour une gestion constructive des conflits.