• Aucun résultat trouvé

L’analyse de conflits

1. Les conditions pour une analyse de conflit rigoureuse

Aucun médiateur ne pourra se dispenser de la rigueur de l’analyse des données du conflit (Moore, 2003). C’est cette possibilité d’analyse méthodique du conflit, de ses dimensions les plus profondes et plus vastes, en préliminaire, préparation à la séance plénière, qui est l’atout décisif, irremplaçable, le grand avantage de notre démarche et la démonstration de l’ampleur des interférences

76 plénière. Telle que nous la proposons, l’analyse permet une démarche préventive, suffisamment complète pour un diagnostic étoffé, étayé, défendable par ses fondements, aboutissant parfois même à une nouvelle définition du conflit des parties en médiation. La qualité de l’analyse de conflit est essentiellement dépendante de la qualité des techniques d’analyse pratiquées. Il est donc

important d’élaborer des conditions rigoureuses de recueils de données assurant la meilleure fiabilité possible pour des interventions les plus pertinentes (Ballreich & Glasl, 2011 ; Moore, 2003).

Avant tout, et autant que possible, il est nécessaire de 26 :

- Evaluer au plus tôt le niveau d’escalade, l’intensité de la dispute, le mode d’intervention devant

être nettement différent, allant de la contre-indication jusqu’au refus de médiation en passant par l’impératif de rencontres individuelles préalables si une confrontation laisse présager une

aggravation du conflit jusqu’à une simple mise en garde contre les risques du passage involontaire vers l’évolution en spirale.

- Collecter et analyser l’information de base suffisante (catégorie de conflit, style, questions

élémentaires).

- Attention à ne pas interpréter trop vite. Etablir un recueil de données, sans a priori.

- Rassembler l’information dans le but de respecter et découvrir les exigences les plus personnelles

et les besoins de chacun, individuellement.

- La condition même d’une analyse systématique c’est d’avoir préparé un dispositif de recueil

d’informations (framework) qui permet tout de suite de répertorier et ordonner les informations reçues et de mettre en évidence les domaines indispensables à connaître et à compléter.

- La méthode de recueil de données doit consister en

- Une observation directe. La consultation de sources secondaires serait évidemment un atout supplémentaire.

- Une interview selon les règles de l’écoute active.

- Un questionnement complété par quelques outils d’analyse plus pointus, si nécessaire. - Une vigilance quant à la crédibilité, fiabilité des informations (les meilleures étant celles que l’on peut vérifier).

- Une distinction des composantes du conflit. Une carte ou un schéma heuristique peuvent faciliter une visualisation globale.

- Une prise en compte des tendances évolutives du conflit. Le recueil des données ne pouvant que toujours être ponctuel, il faut prévoir un espace possible de rectification.

- La structuration préalable de la collecte des données :

- Compléter l’organigramme des parties concernées directement et indirectement.

26 Nous présentons au fil de l’état des lieux de la littérature scientifique différentes check-lists élaborées sur la base des préconisations d’auteurs tels que, entre autres, Ballreich & Glasl, Moore et Montada & Kals, dans le but d’offrir au médiateur un cadre de références et de réflexions pour l’analyse de conflit qu’il doit mener. Ces check-lists sont issues de nos méthodes de travail en design thinking. Elles valorisent l’apprentissage et l’évaluation et sont un complément explicatif théorique au Guide de l’utilisateur du métamodèle (en annexe). Elles peuvent être utilisées pour réduire les risques d’erreurs, ou de brûler les étapes de procédure, les déviations d’objectifs, oublis de données importantes. Elles ne s’imposent pas dans notre design de recherche mais sont proposées en fonction des démarches et points de vue des praticiens médiateurs. Il ne faut pas confondre les check-lists avec des catalogues qui ne seraient qu’une énumération de produits, choses disponibles dans un ordre de préférence alphabétique ni avec des protocoles qui listent des successions d’étapes à suivre rigoureusement pour accomplir une tâche précise, répétitive. Au cours du processus design et développement de notre recherche nous avons utilisé les check-lists en tant que méthodes de recherche ou telles des conclusions « compactées », finalisation de tout un travail théorique, référentiels pour les médiateurs.

77 - Séquençage des interviews.

- Timing des étapes.

- Un questionnement plus approfondi peut permettre de vérifier la fiabilité de l’information. - Pour le médié aussi la compétence et la fiabilité du médiateur peuvent être remises en question.

Le médiateur doit veiller à assurer et reconfirmer sa propre crédibilité.

- Il est nécessaire de réévaluer une focalisation trop privilégiée sur certains aspects et de penser à

préserver la globalité de la structuration de l’interview.

- Et en cours de route, retenir et noter les questions auxquelles le médié n’a pas encore répondu ou

évité de répondre ; des questions sans réponses sur les intérêts et les besoins évoqués de façon récurrente. Il est important de noter les indices de points communs et d’ouverture à des

coopérations possibles. Ces dispositifs de recueil représenteront, par la suite, un gain de temps et des interventions plus facilement ciblées.

S’il existe toujours des causes multiples de conflit (Moore, 2003), il ne s’agit pas de se satisfaire d’une cause apparemment principale (le coupable idéal). Un conflit est toujours complexe. Il est essentiel d’envisager un éventail de possibilités causales plausibles le plus large possible et de ne pas se baser sur des convictions non vérifiées (intuitions). L’analyse doit faire le tri de ce qui est manifestement biaisé par l’influence des émotions sur la perception (interférences) ou par un déséquilibre entre les deux. Dans ce tri il faut distinguer, en tous cas, pour les réexplorer si nécessaire en cours de route, les remettre en question : les simples soupçons, les a priori, les hypothèses non vérifiées, les

attributions, les opinions, les ouï dires. Et les distinguer des faits avérés, car ces distinctions peuvent amener à un recadrage, à une transformation nette des mécanismes impliqués (Montada & Kals, 2007).

Le questionnement se doit d’être méticuleux, présenté dans une attitude plutôt maïeutique, en tous cas non inquisitoire (Ballreich & Glasl, 2007). Le contexte d’un conflit, son extension précise, sa diffusion, sont difficiles à délimiter, néanmoins il faut essayer déjà d’explorer au plus proche, les causes véritables pouvant même être des éléments ou des sujets extérieurs insoupçonnés. La complexité des conflits pouvant être à première vue impressionnante, il est conseillé de les décomposer en sous-conflits, à aborder soit du plus simple au plus difficile, soit en ciblant immédiatement celui qui semble le plus important. Elle peut n’être qu’un survol exploratoire. L’analyse n’a qu’un caractère préliminaire transitoire. Elle demande donc à être requestionnée, restructurée, réadaptée (Montada & Kals, 2007).

De là, l’analyse doit aboutir à une hypothèse de travail opérationnelle, c.-à-d. à un premier diagnostic qui doit supporter d’être confronté à des diagnostics différentiels, comme le démontre Glasl (2004a) dans ce pré-diagnostic immédiat, à ne pas rendre définitif mais servant à stimuler l’exploration du conflit :

- Quel est le problème ? - Quel est le degré d’escalade ? - Qui est en désaccord avec qui ?

- Quel est le degré de relation passé, présent et futur ?

- Quelle est l’attitude fondamentale (positionnement) devant le conflit ? - Qu’espèrent les médiés (risques et avantages) ?

et un diagnostic professionnel et un diagnostic commun plus approfondis et complets, résultat d’une analyse avec chaque partie, permettant d’évaluer une focalisation trop privilégiée, subjective, sur certains aspects du conflit, certaines questions non abordées et de mettre en évidence les zones

78 favorables au dialogue.