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Le conflit. Une nouvelle définition

1. Ce qui n’est pas un conflit

Si nous voulions désigner la simple existence d’une différence, d’une divergence, comme un conflit, nous devrions admettre que nous sommes en conflit avec tous les humains de cette terre (Ballreich & Glasl, 2011) car il n’est pas vraisemblable qu’au moins deux personnes pensent, sentent, veuillent la même chose.

Il ne serait pas censé de définir le conflit par la simple existence de différences mais plutôt seulement par la façon dont les personnes concernées gèrent ces différences. C’est cette façon qui décide s’il y a un conflit et si on aboutit à un accord ou pas.

Il y a peu de risques de conflit quand les droits et les devoirs de chacun concordent, sont respectés. Nous nous référons ici au système de croyances, surtout aux normes de justice (Montada & Kals, 2007) qui démontrent que c’est un constat d’injustice qui constitue la racine principale des conflits. Pour beaucoup, les conflits sociaux sont équivalents à des constats d’incompatibilités, que ce soient des incompatibilités d’opinions, de convictions, de références, d’aversions, de désirs, d’exigences ou d’objectifs, d’actions ou d’inactions, de personnes interagissantes.

Rappelons que la notion d’incompatibilités a une connotation subjective et inconditionnelle. Qui dit incompatible dit « je ne vois pas, je ne veux pas, je ne peux pas ou je ne veux pas ». Il est vrai que de telles incompatibilités sont potentiellement conflictogènes : par exemple, des opinions politiques différentes, une vision du monde différente, des croyances différentes, les préférences des partis politiques, de sympathies ou d’antipathies, de désirs non conciliables ou d’exigences de modes de vie pour les couples, de concurrences autour de pénuries de marchandises, etc. (Montada & Kals, 2007). Mais toutes ces incompatibilités ne représentent pas une condition suffisante en tant que telle. Il y a nécessairement des gagnants et des perdants si le respect des règles et des normes est privilégié. Si la concurrence loyale, légitime, a été respectée les perdants n’ont rien à reprocher aux gagnants. Il n’y a pas de conflits dès lors. Dans de nombreux domaines, la concurrence est même considérée comme souhaitable et bénéfique.

L’interprétation des normes reste subjective et personnelle. Dès lors nous pouvons nous poser la question suivante :

2. Qu’est-ce qu’un conflit ?

67 consensus assez large quant à la catégorisation la plus fréquente et les styles de conflits.

2.1. Les catégories de conflit.

La multiplicité des thèmes conflictuels ne peut pas être cernée, cadrée, saisie dans une taxonomie suffisamment complète et consensuelle dès lors qu’il y a des divergences quant à la terminologie même utilisée.

Habituellement peu de catégories sont présentées. Mais il est surtout important, pour la

compréhension et une élaboration productive, de rechercher les déterminants particuliers de chaque conflit.

Friedrich Glasl (1999) nous propose cette classification, c.-à-d. la distinction entre les conflits factuels, de valeurs, relationnels ou les conflits de droits et d’intérêts, les conflits authentiques, objectivables et de faux conflits qui concernent le caractère, les attitudes des personnes concernées ou des conflits d’objectifs ou des conflits sur la façon d’atteindre les objectifs.

Cette catégorisation doit inciter en plus à ce que, pour chaque conflit concret, plusieurs hypothèses soient considérées, examinées, et également à se demander si l’argument de la dispute correspond au vrai noyau du conflit (Montada & Kals, 2007).

Dans les conflits, les sujets des disputes – par exemple, dans les conflits familiaux – sont évoqués en avant-plan sous forme de positionnements, opinions, jugements divergents sur des faits, sur

l’esthétique, sur les pronostics, les sympathies, le choix des dépenses, les activités, les lieux de vacances, la répartition des tâches et bien d’autres choses.

Même si les thèmes sont formulés en positionnements, ce qui reste à découvrir c’est ce pour quoi ces thèmes sont importants pour celui qui les défend au point de justifier une dispute. C’est en cela que, souvent, la violence de la dispute est incompréhensible pour un observateur extérieur car la structure profonde du conflit lui échappe. Il est vrai que cette structure n’est souvent pas

conscientisée non plus par les parties en conflit. Or, sans la connaître, une résolution du vrai problème et une paix durable ne sont pas possibles.

Voici une liste – bien sûr non exhaustive mais suffisamment utile en pratique pour le médiateur – des catégories de conflits les plus fréquents (Goldberg, 2005 ; Goldberg & Shaw, 2007 ; Moore, 2003 ; Montada & Kals, 2007 ; Swaab, 2007, 2009) :

Les états de fait concernent des convictions divergentes sur des situations précises, concrètes.

Souvent il ne s’agit pas seulement de vérités contestées. Le conflit, c’est la question de prestige, de crédibilité, autorité, de la reconnaissance d’une propre expertise. Ce qui est important pour les disputants n’est pas la vérité en elle-même mais le fait de vouloir avoir raison et de garder raison, garder la face en imposant sa propre opinion. C’est pour cela qu’en médiation les parties peuvent résister à toutes preuves d’erreurs pour ne pas perdre la face et courir le risque d’être perdant.

Les croyances, par exemple, religieuses, idéologiques, etc. Ce sont des convictions pour lesquelles il

n’y a pas de critères de discernement universellement reconnus. Ce sont ces convictions qui ont souvent des fonctions personnelles importantes voire capitales, parfois irrationnelles, parfois même hermétiques à toute remise en question.

Les valeurs et les intérêts. Par exemple, des jugements de valeurs divergents, des préférences, des

aversions, attirances, etc. Souvent les croyances impliquent des valeurs qui déterminent les pensées, les émotions et les comportements au point d’en être la base et les déterminants les plus profonds.

68 Il s’agit d’une catégorie particulière de conflits : il n’y a conflit que lorsque les acteurs se sentent autorisés, obligés à affirmer, à défendre leurs intérêts même au risque de gêner ou de contrarier d’autres personnes.

Les divergences d’orientation de valeurs : autrement dit, ce qui importe, donne particulièrement

sens aux personnes (nature, paix, famille, qualité de vie, sécurité, succès social, bien-être matériel, conformité à la conscience morale personnelle, etc.) Ce sont des intérêts d’un niveau général. Rokeach (1973) distingue jusqu’à 36 valeurs en deux types :

Les valeurs terminales ou buts de l’existence. Ce sont les buts ou finalités de l’action qui se réfèrent

aux valeurs personnelles ou aux valeurs sociales. On peut les répartir en des valeurs ayant trait à l’absence de conflits internes et externes (plaisir, sécurité nationale, harmonie intime, bonheur, vie confortable, salut), à l’universalisme sociétal (égalité, monde en paix, monde de beauté), à

l’accomplissement adulte (sentiment de réalisation de soi, d’accomplissement, statut social reconnu, respect de soi, sagesse), à des liens sincères (amitié authentique, plénitude amoureuse), à une définition individuelle intrinsèque (vie passionnante, liberté, sécurité familiale).

Les valeurs instrumentales ou modes de comportement pour atteindre les buts. Ces modes de

conduite sont de deux ordres, avec des valeurs morales et des valeurs de compétences. On peut les répartir en des valeurs ayant trait à la compétence (idées larges, autonomie, créativité, logique), au conformisme contraignant (politesse, « bonnes manières », propreté, ambition, maîtrise de soi, compétence, obligation d’attitude de respect), à l’intérêt sociétal (tolérance, capacité à rendre service, prise de responsabilité, intellect, fiabilité, gentillesse, bonne humeur).

Selon les groupes, ces orientations de valeurs peuvent être d’importance très différente. La culture des groupes sociétaux est essentiellement marquée par ces orientations dans toutes leurs activités. Elles sont conflictuelles si transgressées et inacceptables par rapport aux conventions normatives, aux règles intérieures, aux codes de l’environnement respectif.

D’autres catégories de conflits sont :

Les divergences par égoïsme fondamental. Il faut distinguer entre la recherche d’avantages

personnels exclusifs (argent, position, statut, pouvoir, privilège, etc.) et ce qui est socialement admis comme motivation naturelle et légitime. Cela fait partie d’une concurrence loyale sans être un conflit. La recherche de l’avantage personnel ne devient conflictuelle que s’il y a infraction des règles normatives ou des valeurs, c.-à-d. quand les exigences légitimes des autres sont blessées, heurtées, niées.

Les conflits concernant la validité et l’interprétation de normes prescriptives et leur

hiérarchisation. Des normes communes peuvent être diversement hiérarchisées, diversement

interprétées, appliquées. Voir toutes les différences interculturelles et les options idéologiques et philosophiques (les croyances, les valeurs et les intérêts).

Les conflits relationnels. La base en est la communication, une réalité entre-deux. L’attitude de

chacun est une réalité. La rencontre de ces attitudes est la relation qui est une identité en elle-même. C’est l’espace entre les deux, c’est le lien virtuel du conflit. C’est le territoire, l’arène du conflit. Dans tous les conflits, il y a une structure profonde qui concerne la perturbation de la relation et, comme nous l’avons déjà évoqué, les conflits relationnels sont toujours à distinguer des

négociations factuelles.

Les conflits latents et manifestes. Les personnes peuvent être conscientes ou subconscientes du

69 relations, fait développer les camouflages ou des projections sur de faux problèmes.

Le conflit devient surtout manifeste quand les blessures sont exprimées sous forme de reproches contre quelqu’un désigné comme responsable et si ce responsable n’admet pas d’être en cause ou que son alibi n’est pas acceptable pour celui qui se considère comme victime.

Le conflit peut rester latent mais n’est pas pour autant résolu. Il peut même être évolutif, chronifié, généralement toxique et potentiellement menaçant. Mieux vaut donc suspecter a priori des conflits latents, ne fût-ce que parce que toute relation n’est supportable que par l’intégration d’un certain degré d’ambivalence, donc de dimensions négatives.

2.2. Les styles de conflits.

Ou les orientations majeures des personnes en conflit, leurs intentions et tendances stratégiques d’approche du conflit (Thuderoz, 2006).

Thomas et Kilmann (2010) ont décrit combien généralement les conflits débutent par une attitude de - Compétition d’où on sort gagnant et tant pis pour le perdant.

- Ou bien on peut reconnaître une attitude de négation du conflit, fuite : c’est le style d’évitement, de neutralité, d’indifférence, d’isolement, de retrait, de négation passive.

- Par opposition au gagnant-perdant et un peu dans la logique de l’évitement, on est prêt à capituler de tous ses propres intérêts à l’avantage de l’autre et sans contrepartie : c’est l’accommodation.

- Le compromis est l’intermédiaire entre ne rien gagner et tout gagner. C’est faire moitié-moitié. Chacun fait ses concessions.

- Une autre alternative est la disposition à une négociation où chacun trouve son compte. C’est la coopération, la collaboration ou la négociation raisonnée basée sur l’intégration des intérêts de chacun plutôt que sur les positions. C’est, a priori, l’attitude idéale, souhaitable, dans une négociation, la plus durable et qui garantit, favorise, en particulier, le maintien des relations. C’est la solution win-win. Cette attitude n’est pas atteignable à chaque négociation.

Chaque style peut être justifié selon les situations. Parfois nier le problème en trouvant d’autres compensations. Parfois faire un compromis pour préserver la relation et aborder d’autres points de négociation prioritaires, etc. Il est aussi possible d’observer le passage d’un style à un autre au cours d’une négociation. En tous cas, la visualisation dans l’espace de ces styles différents a un effet de clarification et de conscientisation.

Au-delà des catégories et des styles est-il possible d’établir quelques traits fondamentaux valables pour toutes les définitions de conflit ?