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Point of view 5

Phase 9. L’anéantissement total de l’ennemi devient une fin en soi, coûte que coûte, au risque de la

6. Comment s’orienter dans l’exploration des dimensions psychiques ?

7.2. Qu’en est-il de l’importance de la pensée ?

7.2.1. Repères d’évaluation de la normalité en vue d’une modélisation.

Ce qu’il faut tenir présent au niveau cognitif :

- Le passage de la perception à la pensée se fait toujours à travers les interprétations dont nous avons déjà commenté la subjectivité, la relativité et l’instabilité et qu’il s’agit d’accepter.

- La résolution du conflit depuis l’analyse jusqu’à son succès est une question de meilleure compréhension. Dans le langage populaire, comprendre c’est pardonner. Comprendre n’est pas forcément être d’accord. C’est le cœur même de la démarche de l’écoute active. C’est l’aboutissement de l’analyse. C’est le chemin de l’empathie. C’est le sens de la communication. C’est la condition de résolution. Et néanmoins ce n’est pas l’arme absolue car il faut garder la mentalité d’essayer de comprendre encore mieux et non pas prétendre à des compréhensions qui seraient des certitudes et de maintenir la notion d’hypothèses. Certains auteurs parlent de good

enough thinking (arriver à penser suffisamment bien).

- C’est le processus de compréhension qui est le plus important à développer, évaluer plutôt que la tractation factuelle de la négociation.

- Ce processus d’approfondissement de la compréhension, de clarification, de modélisation, est facilité par une métaposition, une métacognition.

- Ces processus ne peuvent mener qu’à des hypothèses, multiples de préférence, à renforcer par des questionnements.

- Les décisions seront d’autant plus judicieuses si elles se prennent dans des conditions de pondération évitant les automatismes de pensée et les options irrémédiables.

Vouloir cerner la complexité des processus de pensée dépasse notre objectif de travail. Nous en extrayons ce qui est indispensable pour la gestion des conflits, pour évaluer les possibilités de retour des déformations de pensée à un niveau non conflictuel.

Dans ce cadre, revenons un temps sur une notion essentielle en médiation et dans la gestion des déformations psychiques :

7.2.2. La métacognition.

La fonction principale du médiateur n’est pas de creuser le contenu du conflit mais de rendre attentif à la façon dont les processus cognitifs fonctionnent, évoluent. Ce qui améliore les mécanismes de raisonnement et permet par-là d’aboutir aux propres solutions, autrement dit d’assurer la qualité de fonctionnement des composantes psychologiques par la conscientisation du processus dans une position de vue d’ensemble ou de recul nécessaire.

Le discernement cognitif des perceptions, perspectives, émotions, besoins, idées de solutions dans leurs interférences distinctes et communes permet de veiller à la qualité de la conscientisation, de la justesse des processus cognitifs.

102 Le médiateur peut questionner ainsi sur cette base : comment les choses sont-elles perçues,

exprimées ? Quel est le mode de raisonnement ? Comment est-il formulé ? Quel est le mécanisme de la perception des émotions jusqu’à leur expression ? Comment est conscientisée la volonté et de quelle façon est-elle construite en cohérence avec la pensée ? Le chemin de réflexion est-il orienté vers la planification et le projet d’action ?

Chaque dimension psychique fonctionne dans ses propres exigences et c’est à la fois en les démêlant, les respectant et les coordonnant que le médiateur pourra cibler des interventions réellement adaptées à la situation. Pour favoriser la métacognition 31 il peut être efficace d’interroger le disputant lui-même sur la façon dont il conscientise ses capacités et ses limites ainsi que sur sa conscience globale du processus de réflexion, ses hypothèses de travail.

7.2.3. Les déformations de la pensée.

La première activité de la pensée est immanquablement la nécessité d’encoder et d’interpréter ce qui a été perçu. Nous venons de constater que le discernement, le raisonnement le plus juste, se fait hors conflit, dans des conditions où il est possible de peser, vérifier, l’information reçue. La

caractéristique des situations de conflits, c’est que justement le psychisme est débordé dans sa capacité d’élaboration et d’intégration du vécu. Sa tendance, souvent automatique, souvent inconsciente pour pouvoir intégrer le plus vite possible le nouveau vécu, il la réduit à une image simplifiée ainsi rendue acceptable, réduite à son raisonnement habituel, procurant une illusion de sécurité pour éviter de remettre en question sa carte mentale.

Un des mécanismes majeurs d’arrangement et d’accommodation des pensées, c’est de - Se contenter de généralisations qui dispensent d’affronter les détails des circonstances du problème, c.-à-d. par le « toujours » et le « jamais », le « tout ou rien », les absolus.

- La distorsion qui consiste en la manipulation, le relookage de l’image de la situation, à notre convenance et en notre faveur (exagération, dramatisation, banalisation, déformation) pour la rendre crédible, intéressante ou pour y introduire une plus forte charge émotionnelle. Plus ces représentations distordues nous soulagent, nous déstressent, nous gratifient, nous valorisent, et plus elles sont ancrées, maintenues et crédibles.

- La troisième déformation majeure, presque toujours présente et importante à explorer pour le médiateur, ce sont les suppressions, c.-à-d. la tendance volontaire ou involontaire de présenter le conflit hors de son contexte suffisant de causalité, d’antécédents, de circonstances atténuantes éventuelles, de détails défavorables (par exemple, « il m’a frappé… mais je ne dis pas ce que, moi, je lui ai fait avant »). Cette déformation consiste aussi à prétendre qu’il n’est pas nécessaire d’en savoir plus puisque, par l’analyse des expériences passées, nous nous sommes déjà fait un jugement définitif. Notre système de pensée, à partir du moment où il est orienté volontairement vers la constitution d’un contentieux fait d’interprétations négatives, sélectives, risque de se rigidifier, s’absolutiser.

7.2.4. Inventaire des déformations de la pensée.

Le médiateur, dans sa position d’écoute active, est incapable de capter simultanément, conscientiser, mémoriser, diagnostiquer, le nombre de déformations particulières de pensées qui se présentent au cours d’un entretien. D’où l’utilité de constituer un inventaire rapidement consultable pour

approfondir, guider, l’exploration du conflit. Avant même la verbalisation du problème, il faut

31 La connaissance personnelle d’un individu sur ses capacités et ses fonctionnements cognitifs. (Petit Larousse 2012).

103 s’attendre à un certain nombre de déformations fondamentales, incompressibles, comme

éventuellement : la déficience mentale, la pauvreté de vocabulaire, le degré de formation, la capacité de pensée logique et de raisonnement rationnel et cohérent, les déficiences mnésiques, la

cyclothymie, un déficit physique global, etc. (Montada & Kals, 2007). A ceci se rajoutent les préjugés, les stéréotypies, les endoctrinements, les croyances, les attributions, les projections. Et même sans formation psychologique particulière, le médiateur peut reconnaitre les signes perturbateurs sévères de confusion, délire, tendance paranoïaque, discours incohérent ou effet manifeste de substances chimiques.

Dans les déformations de pensées, c.-à-d. les biais cognitifs (Bronner, 2008) certains câblages sont particulièrement révélateurs, toujours dans la tendance réflexe des processus cérébraux qui consistent à simplifier pour arriver à gérer :

- La vision tubulaire, la pensée étroite, appelée ironiquement le cerveau à mono-neurone, monorail.

- L’ancrage, autrement dit le fait de s’accrocher au peu que l’on sait, au peu d’informations que l’on a pour développer tout un raisonnement. C’est aussi prendre la première impression comme une certitude de départ, voire une intuition juste et ne plus s’en défaire.

- La loi des petits nombres, soit tirer de vastes conclusions de peu d’informations, comme le phénomène tâche d’huile ou l’effet de halo, qui obéissent à la loi des rumeurs qui s’amplifient en se diffusant jusqu’à devenir méconnaissables.

- La myopie cognitive, celle qui ne voit ni ne pense pas plus loin, qui se limite aux comportements et aux faits immédiats sans tenir compte des conséquences possibles et des dégâts prévisibles, ce qui s’apparente à la perte du sens moral.

- La paresse cognitive qui se satisfait de slogans, de lieux communs, des on-dit d’opinion générale du moment qui adoptent des raisonnements d’autrui sans les avoir évalués. Facilement manipulable, surtout en l’associant à des émotions primitives.

- La surestimation des intuitions prises comme des vérités qui n’ont pas été vérifiées compte-tenu de l’intensité des sensations qui semble les cautionner.

- Tous ces phénomènes ont en commun le jumping to conclusion (bondir de la constatation à la conclusion immédiate finale), des jugements hâtifs sans vérification des processus de pensées et surtout s’il y a une résonance émotionnelle simultanée et supposée les rendre plus crédibles et une dispense d’efforts de pondération par une surestimation des propres capacités mentales de

supériorité et d’absolutisation de la propre pensée.

Toutes ces déformations sont le fruit essentiellement de la non vérification des interprétations. C’est grâce à la connaissance et au dépistage de ces déformations que le médiateur peut surveiller et rectifier les interférences trop perturbatrices du processus de pensée.

7.2.5. Les interventions sur les déformations de la pensée.

Etant en partie identiques, ces interventions peuvent s’associer – selon les circonstances – à la suite des interventions sur les dysfonctionnements de la perception.

- Amener à une position de métacognition en faisant prendre conscience des processus de pensée, notamment en demandant des détails supplémentaires sur le conflit, en mobilisant une

mémorisation plus précise, en amenant une revisualisation chronologique la plus précise possible des circonstances (langage vidéo).

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-

Intervenir selon les règles de l’écoute active (paraphraser, faire reformuler, résumer, accompagner discrètement vers une positivation).

- Organiser une séquence de questionnement qui canalise la finalité de la pensée.

- Rendre familière la notion d’inévitable multiplicité des hypothèses comme signe d’intelligence, confirmation d’une volonté d’objectivité.

- Encourager la prise d’informations supplémentaires. - Suivre pas à pas la logique du raisonnement du médié. - Stimuler la recherche d’alternatives.

- Faire s’interroger la personne elle-même sur sa tendance habituelle à la généralisation, distorsion, suppression, personnalisation.

- Le médiateur n’oubliera pas la tendance très humaine à la paresse cognitive et à la myopie cognitive, la vision tubulaire, la simplification de la situation, comme des tendances insidieuses, inconscientes, que l’on peut avoir la lucidité de conscientiser pour les déjouer.

- Rendre attentif à l’orientation constructive ou destructrice qui peut avoir tendance à s’imposer et qui demande et exige un choix responsable toujours renouvelé.

- Admettre des incohérences ou des refoulements comme des modes de défense significatifs acceptables, compréhensibles et utilisables.

- Le médiateur veillera à ne pas avoir une position inhibitrice d’inquisiteur.

- Amener à virer en douceur des considérations accusatrices vers un regard sur la finalité, la solution constructive.

- En admettant la bonne foi, affirmer le respect de la subjectivité, accompagnant une recherche commune rigoureuse de la vérité et qui amène peu à peu à une relativisation la plus juste. - Les pensées automatiques. Un phénomène en soi naturel, involontaire, fait de jugements sans raisonnements préalables.

Il s’agit de rassurer les personnes afin qu’elles ne s’identifient pas avec ces pensées et leur en expliquer le mécanisme. En profiter pour découvrir les croyances négatives qui émergent et surtout devenir conscient que ces pensées automatiques peuvent aboutir à un langage automatique qui échappe à une gestion pondérée du comportement et peut devenir source de conflit.