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I. LES SITES FORTIFIES

I.8. La Troade

Certaines communautés micrasiatiques étaient installées dans les montagnes, à des endroits offrant l’espace nécessaire pour développer leurs quartiers d’habitation ou accueillir un certain nombre d’individus en cas de danger. Ces sites se rencontrent notamment dans le sud de la Troade, sur les contreforts du mont Ida, dont le point le plus haut se situe à 1750 m au dessus du niveau de la mer (carte 16)351.

Le plus fameux d’entre eux est celui d’Assos (Behramkale) où l’occupation archaïque est très mal connue352. Le site est perché à environ 1500 m d’altitude depuis lesquels il dominait la mer (fig. 302-304). Plusieurs sections de murs en appareil polygonal, datées de l’époque préclassique, ont été identifiées autour de l’acropole et notamment sur son flanc ouest. Aucune trace d’habitat n’a été découverte. Seule la nécropole située devant le mur en question et le long de la voie menant à la porte monumentale de la muraille de l’époque classique, témoigne d’une certaine occupation dans cette partie du site. La présence de la nécropole exclut de fait la possibilité que l’habitat ait pu se développer à cet endroit. La voie menant à la dite porte a subi des travaux de réaménagements au cours du VIe s.353. Les tombes ont quant à elles révélé une longue séquence d’enfouissement qui remonte au moins au VIIe s. Cela suggère que, dès le haut archaïsme, cette zone se trouvait en dehors de l’aire urbaine.

349 Radt, 2001, 45: « Ordinary houses […] were probably crudely built, hut-like dwellings resembling those of

Old Smyrna. These buildings must have been torn down in later times, and the stone material reused and reworked for buildings of the next period ».

350 Pour un inventaire des découvertes archaïques effectuées à Pergame voir notamment Kohl, 2000, 155-158. Ce

dernier (p.156-157) se pose des questions sur une permanence de l’occupation à Pergame avant l’époque classique.

351 Tenger, 1999, 109.

352 Clarke et al., 1902 ; Cook, 1973, 240-247. Voir aussi Serdaro

ğlu, 1990, 1-4 ; Serdaroğlu et Stupperich, 1992

et 2993. Pour les murs voir en particulier Lang, 1996, 223 ; Schulz, 2000, 15-16.

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A quelques kilomètres à l’est se trouve le site de l’ancienne Gargara (Palaigargara) installé sur le Koca Kaya culminant à 780 m354. Il se présente sous la forme d’un cratère dont la ligne de crête a servi de base à l’implantation de l’enceinte principale qui semble à l’origine avoir formé un ensemble clos et ininterrompu (fig. 305-307)355. Sa longueur et la surface qu’elle enfermait restent inconnues. Deux périmètres fortifiés indépendants (A et B sur le plan) ont également été aménagés sur le plateau à l’est du site. La zone A formait un espace en forme de demi-lune. E. Fabricius y a noté la présence d’un temple356. La zone B (100 x 50 m) est beaucoup plus étendue et est dotée de plusieurs dispositifs défensifs (une porte tournée vers l’extérieur et une autre vers l’intérieur, plusieurs tours ou bastions installés sur le tracé ou à proximité des entrées). Cet ensemble bien défendu offrait un espace adapté au refuge de la population. Aucune trace d’habitat n’a été relevée à l’intérieur de ce périmètre et la seule construction datable de l’époque archaïque découverte dans le secteur serait un édifice cultuel357. Ce petit plateau est le seul endroit offrant assez d’espace pour l’installation de bâtiments. En ce qui concerne l’enceinte urbaine, nos connaissances reposent essentiellement sur le croquis dressé par R. Stupperich à partir de celui de J.M. Cook pour qui la cité ne disposait que d’une acropole fortifiée. D’après R. Stupperich, la cité était dotée d’une enceinte construite en partie sur les pentes du site et reliée aux fortifications placées sur la ligne de crête358. La partie sud a disparu mais sa présence est d’après lui fort probable. Sa datation à l’époque archaïque est généralement acceptée mais elle repose avant tout sur l’observation des techniques de construction et non sur une analyse stratigraphique359. En ce qui concerne l’habitat, les traces sont minces et l’occupation archaïque est principalement attestée par la céramique récoltée sur place. D’après R. Stupperich la population aurait été établie sur les pentes en contrebas de l’acropole360. Il est ainsi possible d’imaginer une sorte d’habitat en terrasse adapté à la topographie du site.

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Clarke, 1888, 291-319; Cook, 1973, 250-261; Stupperich, 1996, 127-138; Schulz, 2000, 17.

355 D’après Stupperich (loc. cit.), le tracé de l’enceinte se laisse suivre dans la partie sud du sud mais il n’apparaît

pas sur le croquis que l’auteur a dressé.

356 Voir Judeich, 1901, 111-125. Voir surtout Stupperich, 1996, 127-129. 357

Voir note précédente.

358 Stupperich (loc.cit.).

359 Bien que les différences d’appareillage notées dans les murs de Gargara n’induisent pas nécessairement

plusieurs phases de construction, il reste que l’on peut se demander si les fortifications de l’acropole et celle de l’enceinte ont été construites en même temps et appartiennent à un même programme de construction. La présence de tours à Gargara et leur absence à Lamponia pourrait aussi suggérer une date différente pour leur construction mais nous ne disposons d’aucun élément pour étayer cette hypothèse. Sur Lamponia voir plus bas.

360 Stupperich, 1996, 127-138. Voir aussi la description des vestiges et de la topographique du site par Cook

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Le site de Lamponia se trouve dans la même région et fut installé à 565 m d’altitude sur le Kozlu Dağ361. Ce site de 27 ha environ était défendu par deux murs de fortification (fig.308-312). Le premier protégeait la ville basse (C sur le plan) et le second couronnait la crête d’une acropole aux falaises abruptes (A-B). Pour des raisons inconnues, l’acropole semble avoir été divisée en deux parties par un mur de terrasse. Une seule porte a été découverte sur l’enceinte de la ville basse et aucune tour ne semble avoir jalonné le tracé. La datation à l’époque archaïque des fortifications repose sur des critères essentiellement stylistiques (appareil polygonal irrégulier à tendance cyclopéen)362. On ne connaît rien de l’organisation urbaine et de l’habitat de la cité. D’après la céramique ramassée par J. M. Cook, le site était occupé de l’époque archaïque jusqu’au IVe s. A l’exception des murs de fortification qui enserraient la ville basse et l’acropole, les seuls vestiges connus à Lamponia sont de larges citernes creusées à l’intérieur du périmètre fortifié. Il semble que, comme à Gargara, l’approvisionnement en eau de la cité reposât pour l’essentiel sur ce type de dispositif. Aucune nécropole n’a été découverte ni aucun bâtiment d’envergure ne sont attestés et l’on ne connaît presque rien de l’histoire de la cité.

A Antandros, les maigres restes d’un mur de fortification ont été découverts. Cette construction pourrait avoir défendu une acropole mais sa datation et son tracé restent énigmatiques363. La première mention d’une enceinte urbaine à Antandros se trouve chez Xénophon, qui évoque l’achèvement d’une partie de la muraille pour laquelle la population reçut l’aide des Syracusains364. Cet évènement ne date cependant que de la fin du Ve s. et l’on ne dispose d’aucun renseignement concernant son habitat. Les fouilles récentes ont révélé des tombes contenant du matériel des VIIIe-VIIe s.365.

Le site de Néandria est situé à l’intérieur des terres, dans la vallée du Scamandre (fig. 313-314) Il a fait l’objet de recherches plus approfondies que les sites précédents366. L’organisation de l’établissement à l’époque archaïque reste cependant assez peu compréhensible faute de fouilles archéologiques et du mauvais état de conservation des

361 Clarke, 1888, 291-319 (L’auteur confond Lamponia et Gargara) ; Cook, 1973, 261 ; Schulz, 2000, 22, 29. 362

La massivité du rempart (plusieurs mètres d’épaisseur) et de certains de ses blocs (2m² de surface et 1m de profondeur), ainsi que l’absence de tour, ou autres dispositifs de défense, favorisent une datation à l’époque archaïque. Seule une fouille stratigraphique permettrait cependant de confirmer et d’affiner la chronologie.

363 Cook, 1973, 268-269 ; Schulz, 2000, 14. L’acropole d’Antandros est mentionnée par Thucydide (VIII, 108,

5).

364 Xénophon, Hell., I, 1, 26.

365 Polat, 2006, 89-104 ; Polat et al., 2007, 43-62; Yıldırım et Gates, 327-328.

366 Koldewey, 1891; Winter, 1985, 680-683; Lang, 1996, 232-233. Voir particulièrement les travaux

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vestiges. La cité présente cependant quelques traces d’un mur de défense daté du milieu du VIe s. (Ältere Mauer). Or, cette fortification découverte à l’extrémité ouest du site a plusieurs fois été réaménagée et étendue, de sorte qu’il est difficile d’avoir une idée claire de son tracé et de sa vocation367. Selon toute vraisemblance, il ne s’agirait pas d’une fortification d’acropole mais d’une enceinte destinée à protéger un habitat. La ville s’est progressivement étendue vers le sud et les nouveaux bâtiments construits furent alignés sur un réseau de rues assez structuré. Les traces de l’occupation archaïque dans la ville haute (Oberstadt) sont très minces et il est de ce fait impossible de se faire une idée concrète de l’organisation de l’habitat entre la fondation de la cité et sa réorganisation à l’époque classique. De cette première phase d’occupation, seul le temple (d’Apollon ?), de la céramique et des tombes ont survécu. Mais ils sont tous situés à l’extérieur de la surface enclose qui n’a livré que des traces d’habitat tardif. Il est probable que la mise en place d’un nouveau modèle urbain, au IVe s., ait annihilé tous les vestiges archaïques. Même si le plateau occidental est désigné comme le lieu original d’installation de la population de Néandria, cela ne signifie pas pour autant qu’il ait hébergé la totalité de l’habitat.

Sur la côte ouest, le site de Beşik Tepe (Achilleion) était installé sur un promontoire dont les falaises plongent à la verticale dans la mer (fig. 315-316)368. Une courte section de mur en appareil polygonal lesbien, conservée sur une assise seulement, a été mise au jour et datée du second quart du VIe s. sur des critères stratigraphiques. Il est probable que la fortification encerclait l’éperon rocheux qui servait d’acropole à la cité.

L’existence de fortifications potentiellement archaïques est évoquée dans les cités de Palaiperkote369, Palaiskepsis370, Polymedion371, Cebren372, Sidène373 et Sigéion374 mais leur

367 Les interprétations et les datations proposées pour le rempart ne sont fondées que sur de simples observations

ainsi que sur des comparaisons d’épaisseurs entre les murs de Néandria et ceux de sites ioniens et éoliens (Maischatz, 2004, 82-83).

368 Cook, 1973, 186-188 ; Korfmann, 1988, 394-395 ; Pöhlmann, 1992, 195 ; Schulz, 11-12. D’après Strabon

(XIII, 1, 39), l’enceinte aurait été construite par les Mytiléniens à l’aide des pierres des ruines d’Ilion.

369 La présence d’un grand mur de fortification a été rapporté par Judeich, 1898, 546. Voir aussi Schulz, 2000,

23. Aucune datation convenable n’a été proposée et encore une fois, la datation à l’époque archaïque repose sur des critères indirects (appareillage fruste, massivité).

370 Cook, 1973, 300.

371 Ibid, 238-239. Le mur en gros appareil polygonal et de forte épaisseur rappelle celui de Lamponia. 372

Cook, 1973, 328-331. L’enceinte de Cebren pourrait être antérieure au Ve s. mais aucune preuve concrète ne confirme cette hypothèse. Cebren aurait été dotée d’une acropole fortifiée de manière indépendante comme le suggère les quelques traces de murs relevées sur le site mais aucune datation n’a été proposée.

373 Strabon, XIII, 1, 42 374

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identification et leur datation sont incertaines puisqu’elles sont trop souvent fondées sur des sources indirectes.

D’un point de vue formel, les sites étaient soit équipés d’un périmètre fortifié unique (Assos, Néandria, Beşik Tepe) soit d’un double système de défense (Lamponia, Gargara)

délimitant une ville basse et une acropole.

Dans l’ensemble, les sites de Troade étaient installés sur des éminences rocheuses en retrait par rapport à la mer. Une telle implantation topographique les prémunissait contre des dangers provenant de la mer mais ne facilitait pas la communication. C’est peut-être ce qui explique en partie leur faible développement ou leur relocalisation (Gargara, Skepsis). B. Tenger souligne que les seuls sites de plaine se trouvaient essentiellement dans la région de Troie375 :

« Die unterschiedliche geographische Situation zwang dabei zu verchiedenen Siedlungstypen. Im Landesinneren finden sich Höhensiedlungen bis 500 m, während an der Küste sowohl auf Bergrücken bis 750 m. als auch – in erster Linie am Hellespont – direkt am Wasser gesiedelt wurde »376.

Ces derniers ne présentent cependant aucune trace de fortification à l’âge du fer.

REMARQUES TOPOGRAPHIQUES

La forme qui fut donnée aux murs de fortification, leur emprise et leur évolution dans le temps dépendent de facteurs propres à la topographie et à l’histoire de chaque site. Avant de procéder à la présentation des différentes techniques de constructions et des différents dispositifs défensifs, il convient d’apporter quelques éclaircissements au sujet du contexte topographique qui a conditionné l’établissement des murs de défense.

Les informations que nous avons pu réunir dans la partie précédente suggèrent que, d’un point de vue topographique, les sites anatoliens se répartissaient en trois catégories : les sites de hauteur, les sites de plaine et les sites maritimes. Il existe évidemment de nombreuses variantes liées aux particularités géographiques et topographiques locales ou régionales.

375 Troie ne paraît pas avoir été fortifiée à l’âge du fer mais son occupation n’a pas connu d’interruption entre

l’âge du bronze et l’âge du fer. Troie fait l’objet d’un traitement est évoquée à plusieurs reprises dans cette étude : III.1.6. Les murs de Troie VI et IV.1.2. Une réutilisation des fortifications de l’âge du bronze ?

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La plupart des sites ioniens et éoliens se trouvaient à proximité de la mer. L’habitat pouvait être concentré sur une péninsule ou une île à proximité de la côte (Smyrne, Iasos, Teichiussa, Pitane). L’accroissement démographique l’a parfois amené à s’étendre sur le continent (Smyrne) mais l’occupation s’étalait parfois, dès l’origine, à la fois sur la péninsule et le continent (Phocée, Milet). Dans certains cas, les habitats occupaient directement la bande côtière (Samos, Ephèse, Téos, Clazomènes, Myrina, Aigai).

La quasi-totalité des cités littorales étaient coupées de l’intérieur des terres anatoliennes par des chaînes montagneuses dont certains reliefs pouvaient être choisis pour l’installation de lieux de culte et furent parfois fortifiés pour servir de lieu de refuge. Ces acropoles n’accueillaient généralement pas un habitat conséquent. Quelques maisons étaient parfois construites sur le bas de leurs pentes (Milet, Clazomènes) mais il semble tout de même que dès les origines, la population était établie en des lieux facilement accessibles (e. g. Milet, Clazomènes, Téos). Ces acropoles pouvaient être fortifiées (Milet I, Emporio, Aigai, Assos, Ephèse, Téos ?, Colophon ?), ou incluses dans le tracé de l’enceinte urbaine (Milet III ?, Samos, Phocée).

D’autres sites étaient installés sur des hauteurs, en retrait par rapport à la mer. C’est le cas de Pergame, de Larisa et de quelques cités du sud de la Troade (Néandria, Lamponia, Gargara et Assos). Si la topographie du plateau de Pergame était relativement homogène, les autres sites étaient plus accidentés. L’habitat de Larisa, d’Assos et de Gargara devait se développer sur les pentes en contrebas de leurs acropoles. A Lamponia, la ville basse se développait sur un plateau dominé par son acropole. L’acropole de Beşik Tepe était pour sa

part installée sur un haut promontoire dominant la mer.

Les sites fortifiés de la péninsule d’Halicarnasse et de Loryma étaient implantés d’une manière similaire à ceux du sud de la Troade. Tous étaient perchés sur de hautes collines situées dans l’intérieur des terres mais disposaient d’une vue assez large sur la mer. Une telle implantation offrait des avantages considérables en matière de défense, du fait de la difficulté d’accès et de la vue dominante permettant de surveiller le trafic maritime et de prévenir les dangers venant de la mer.

C’est peut-être cet apparent souci de sécurité qui a en partie prévalu à l’établissement des populations du centre de l’Anatolie sur des höyüks (Alişar, Kaman, Çadır, Kültepe,

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Sultanhan), sur des pitons rocheux (Cité de Midas, Pazarlı, Akalan) ou sur des terrains montagneux (Boğazköy, Kerkenes, Göllüdağ, Çalapverdi, Kululu, Havuzköy). En effet, la

plupart, sinon tous les sites dont nous connaissons l’existence en Phrygie centrale, dans la boucle de l’Halys et en Cappadoce étaient établis sur des points dominants du relief qui offraient un avantage stratégique indiscutable.

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