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I. LES SITES FORTIFIES

I.4. La Lydie : Sardes et ses environs

L’occupation de Sardes remonte au moins à l’âge du bronze récent mais ce n’est qu’à la fin du VIIIe s. ou au début du VIIe s. que le site devint un véritable centre urbain (fig. 127- 151). Le développement du site en l’une des plus grandes villes d’Anatolie est lié à plusieurs facteurs. Placée sur une voie de communication importante entre l’Est et l’Ouest, Sardes bénéficiait d’un territoire très fertile arrosé par l’Hermos et ses nombreux affluents dont le célèbre Pactole connu pour avoir charrié de l’or. Mais c’est avant tout l’émergence d’un pouvoir fort et centralisateur, après l’âge du fer ancien, qui a favorisé le développement de l’établissement et l’a transformée en une capitale de royaume puis d’empire dotée de toutes les infrastructures publiques reflétant son statut.

L’organisation de Sardes s’inscrit parfaitement dans le contexte urbain anatolien. Le site s’organise autour d’une acropole et d’une ville basse toutes deux fortifiées. L’acropole dominait la plaine du haut de ses 300 m. Elle était divisée en trois plateaux de dimensions inégales : Acropolis Top, Acropolis North et Acropolis South179. Des murs en appareil rectangulaire datés de l’époque lydienne ont été découverts sur la pente sud en contrebas de la forteresse byzantine. Ce sont des murs de terrasses qui n’appartenaient vraisemblablement pas à un système de fortification. Ils servaient certainement à monumentaliser l’espace réservé au pouvoir. Trois murs interprétés comme étant les vestiges de ce palais, évoqué à plusieurs reprises dans la littérature antique180, ont été découverts sur la pente nord de l’acropole (AcN). La qualité de l’appareillage et la céramique tendent à confirmer l’hypothèse de la présence de constructions luxueuses dans ce secteur à l’époque lydienne181.

Les recherches menées dans les dernières décennies ont permis de reconsidérer l’organisation de la ville que l’on pensait établie sur les bords du Pactole182. L’enceinte fortifiée de la ville basse constitue la preuve la plus claire de l’importante activité édilitaire en cours dans les heures fastes du royaume lydien. Elle est également un des signes les plus anciens de la volonté des rois de donner à leur ville une parure monumentale. Une longue

179 Sur l’acropole voir en particulier Hanfmann, 1983, 42-47. 180 Hérodote, I, 84; Arrien, Anabase, I, 17, 3.

181 Hanfmann, 1983, 45-46. Sur l’architecture lydienne, voir en particulier Ratté, 1989, 1993, 1-12 et 2011. Voir

aussi Boardman, 2000, 32-33.

182 Sur ce point, voir les synthèses proposées par Cahill, 2008, 111-124 et Roosevelt, 2009, 59-89. L’idée que la

ville était installée sur les bords du Pactole vient essentiellement du témoignage d’Hérodote (V, 101) qui suggère que le Pactole traversait la place du marché. La découverte de l’enceinte urbaine et la détermination de son tracé ont clairement démontré que la rivière et ladite place se trouvaient en dehors de l’aire urbaine.

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portion a été découverte dans le secteur MMS, dans la partie nord-ouest de l’enceinte (fig. 135, 137). Le tracé de l’enceinte peut être suivi sur 3,5 km et est matérialisé au nord par des monticules formés par la désagrégation de la brique crue qui constituait sa superstructure. Le mur est bien conservé dans le secteur MMS. Il est constitué d’un mur de briques massif installé sur un socle en pierre. Un énorme glacis a été installé contre le parement extérieur du mur à l’occasion du réaménagement des défenses. Il devait protéger la base du mur contre les opérations de sapes mais une de ses fonctions devait être d’éviter l’affouillement de la base de la construction. L’étude des différentes sections de l’ouvrage souligne l’hétérogénéité des différentes sections. Les sections furent construites selon différents matériaux et différentes techniques ce qui témoigne, selon N. Cahill, que l’ouvrage fut réparé et modifié tout au long de son utilisation183. Aucune datation précise n’a été proposée. La construction de la muraille daterait de la fin du VIIe s. et aurait subi d’importantes modifications (ajout du glacis) dans la première moitié du VIe s. Des sondages récemment effectués dans le cœur de la construction, précisément dans la partie sud de la section MMS, ont permis de mettre au jour une portion de mur qui appartiendrait à un système de défense antérieur184. Après la prise de la cité par les Perses, le mur lydien fut reconstruit. Les Perses ont creusé dans la masse du mur précédent pour aménager les nouvelles défenses. La porte principale fut bloquée à l’aide de deux murs parallèles (casemate wall)185.

La relation entre cette enceinte et les fortifications de l’acropole reste énigmatique186. Au total, l’ouvrage enserrait une surface de 108 ha qui n’a été que très peu étudiée187. De nombreux sondages ont toutefois été effectués en divers points de la cité. Ils ont permis d’éclaircir de nombreux points d’ombre qui planent au dessus de l’organisation urbaine de Sardes.

Il apparaît de plus en plus clairement que le cœur de la ville se situait au pied de l’acropole dans les secteurs ByzFort et Field 49188. Deux importantes terrasses ont été mises au jour. Elles recouvraient deux saillies naturelles de l’acropole. Elles dominaient donc de fait la ville basse et formaient un espace intermédiaire entre celle-ci et l’acropole. L’ampleur du

183

Cahill, 2010(a), 78.

184 Cahill, 2010(b), 63-74; 2011, 358-367.

185 Les découvertes concernant le mur de fortification de Sardes ont été régulièrement publiées par

G.M.A. Hanfmann puis C.H. Greenewalt dans les revues suivantes : AJA, BASOR et KST. Pour une description synthétique des vestiges défensifs, voir en particulier: Cahill et Kroll, 2005, 589-617 ; Dusinberre, 2003, 47-56 et Ratté, 2011, catalogue (secteur MMS).

186 Polybe, VII, 15, 6 rapporte que les deux fortifications étaient reliées.

187 On estime que seuls 0,7% des 108 ha de la cité ont été étudiés (Cahill, 2008, 116). 188

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complexe délimité par ces constructions n’est pas connue avec précision et leur fonction n’est pas encore déterminée. Il y a toutefois de fortes probabilités pour qu’elles servissent de base à l’installation de bâtiments publics ou administratifs. La présence de tunnels reliant cet espace à l’acropole sensée avoir porté la résidence des rois lydiens souligne encore l’importance du lieu. Ces galeries étaient probablement destinées à assurer à l’acropole un approvisionnement en eau qui ne bénéficiait d’aucune source mais leur présence renforce le possible lien qui a pu exister entre l’acropole et cette zone189. Une autre grande construction a également été découverte dans le secteur PC (Pactolus Cliff). Elle est datée du VIIe s. et ses dimensions (un des murs de fondation est long de 9,5 m) laissent penser qu’il s’agissait d’un bâtiment public.

En ce qui concerne l’habitat, il est extrêmement difficile de proposer des interprétations quant à sa forme et sa répartition à l’intérieur de la ville. Des maisons lydiennes ont été découvertes à proximité du rempart (secteur MMS), dans le secteur du théâtre et aux alentours des deux grandes terrasses de ByzFort et Field 49. D’autres traces d’activités domestiques ont été découvertes dans les secteurs HoB (House of Bronze) et NEW (North East Wadi). Tout cela suggère que l’habitat était réparti sur une assez grande surface mais il reste encore de grandes parties de la ville qui n’ont pas encore été étudiées.

Tous les sondages réalisés à l’intérieur de l’enceinte montrent une rupture évidente dans l’occupation de la cité après sa conquête par les Perses au milieu du VIe s. Dans plusieurs secteurs, les couches hellénistiques succèdent directement aux couches lydiennes sans aucun intermède. Or Sardes, loin d’être abandonnée, devint la capitale d’une satrapie. La présence perse n’est pas inexistante car elle a été démontrée dans le secteur MMS où le rempart a été reconstruit et la porte, bloquée. D’autres traces d’occupation ont été découvertes dans le secteur des terrasses au pied de l’acropole (ByzFort et Field 49), mais les vestiges d’habitat sont extrêmement rares. Si cette lacune peut en partie être mise sur le compte de la rareté des recherches dans l’espace urbain, la possibilité du déplacement d’une fraction de la population a également été envisagée190. En effet, les prospections effectuées autour de Sardes et dans le territoire lydien (Central Lydia et Greater Lydia) ont montré un accroissement de

189

C’est l’idée de Cahill (2008, 120): « During some of Sardis’s history, this region had an immediate but hidden connection to the Acropolis. A tunnel cut into the bedrock begins at the head of the valley between ByzFort and Field 49, twisting within the sheer cliff and leading up to a ridge of the Acropolis just below the Lydian walls at Acropolis North. The date of this tunnel is uncertain, but it reinforces the connection between the terraced zone of the city and the Acropolis ». Sur les tunnels voir Hanfmann, 1983, 47-48.

190 N. Cahill, communication non publiée, Bordeaux octobre 2010. A cette occasion, il a suggéré de comparer le

cas de la population de Sardes à celle de Mantinée qui fut dispersée en quatre bourgades sous les ordres des Spartiates (Xénophon, Hell., V, 7). Certains habitants de Sardes ont dû mourir à l’occasion du siège, d’autres ont dû être réduits en esclavage et envoyés en Perse.

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l’habitat rural et une multiplication des nécropoles associées à ses habitats191. Ceci explique que la population a en grande partie été dispersée par les Perses pour assurer, peut-être, un meilleur contrôle. Le fait que les Perses auraient volontairement cherché à dépeupler la cité pour prévenir d’éventuelles révoltes pourrait ajouter un certain crédit au témoignage d’Hérodote selon lequel la place de marché était traversée par le Pactole.

Toutefois, la Lydie ne se limitait pas à Sardes. Les prospections ont permis de mettre en évidence un certain nombre de villages, qui témoignent d’une occupation rurale importante du territoire. La population n’était pas seulement urbaine et il existait un grand nombre de villages dont les traces ne nous parviennent que très exceptionnellement.