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II. ARCHITECTURE DES FORTIFICATIONS

II.1. Techniques de construction

II.1.1. Les fondations

II.1.1.1. L’implantation sur le rocher

Une grande partie des fondations du rempart de Phocée paraissent avoir été creusées dans le roc (fig. 272)378. Ces traces apparaissent clairement sur les flancs des collines marquant la limite orientale de la cité et en particulier sur l’Altın Mağarası Tepe. Sur les

éminences voisines (Değirmenli Tepe et Çifte Kayalar Tepe) les entailles sont visibles mais

moins bien préservées. Sur la péninsule, le rocher qui fait face au front de mer porte encore quelques blocs du rempart archaïque. Ces lits d’attente, qui avaient été pris par Félix Sartiaux pour des escaliers, sont bien en réalité ceux de la fortification. Leurs dimensions

377 Adam, 1982, 16 et suiv., Lawrence, 1979, 201 et suiv. et Winter, 1971, 130. 378

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correspondent globalement à celles des blocs découverts à Maltepe et sur le port. Sur l’Altın Mağarası Tepe, les mesures sont les suivantes : 0,35-1,0 x 0,30-0,40 x 0,25-0,60. Deux blocs

errants ont été découverts sur la colline dont les mesures (0,66 x 1,42 x 0,25 m ; 0,45 x 1,25 x 0,30 m) sont assez proches de celles des entailles. Sur la colline de Değirmen les dimensions

des lits d’attente s’échelonnent entre 1,20 à 1,50 m en longueur et 0,60 à 0,90 m en largeur. La hauteur des blocs a été établie à 0,30 m. En comparaison, les blocs de Maltepe oscillent entre 1,10 et 1,98 m en longueur et 0,54 et 0,70 en hauteur pour les plus épais. Les variations que l’on observe sur les différentes parties du rempart résultent des conditions topographiques et des nécessités d’adapter le tracé du rempart mais globalement les lits d’attente sont longitudinaux, tout comme les blocs encore conservés in situ. Sur la côte occidentale de l’Anatolie, il n’y a pas d’exemple aussi bien documenté que celui de Phocée en ce qui concerne l’époque archaïque. Le plus proche parallèle est celui d’Héraclée du Latmos mais la muraille date de l’époque hellénistique379.

La plupart des murs de l’époque archaïque n’ayant pas fait l’objet de dégagements en profondeur, il est difficile de parvenir à des conclusions définitives. Il est cependant vraisemblable que les constructions effectuées sur les pentes ou sur le sommet d’une colline furent directement fondées sur le substrat rocheux. C’est probablement le cas, dans le sud de la Troade, des fortifications protégeant les acropoles d’Assos, de Lamponia, de Gargara et de Néandria380. Sur le Beşik Tepe, les fouilles ont mis au jour une portion de mur de fortification

assez mal conservé. Il a été découvert dans le secteur de la porte d’époque hellénistique où il a été déterminé que le rocher avait été taillé avant l’aménagement de la construction381. Le même procédé fut employé pour l’érection du mur de fortification de l’acropole d’Antissa sur Lesbos. Le mur de fondation en pierres brutes qui portait le socle en appareil polygonal fut directement construit sur le rocher naturel préalablement aménagé382.

Pour ce qui est de l’Eolide, où les cités étaient surtout installées en plaine, ce sont également les murs construits sur les acropoles qui tiraient le plus parti du relief. C’est le cas de ceux d’Aigai383 et de Larisa où le rocher sous la tour VII avait été taillé en fonction des

379 Krischen, 1922.

380 C’est ce que l’on peut déduire de la présence de bâtiments fondés sur le sol rocheux du plateau (Maischatz,

2003, 81).

381

Korfmann et Kossatz, 1988, 394-395.

382 Lamb, 1931-1932, 172-173. Tous les blocs du mur découvert par Koldewey ont disparu. Il ne subsiste

aujourd’hui que les lits de pose taillés dans le rocher. Cette section de mur est située au sud et non au nord comme l’écrivait Lamb. Sur ce point voir Spencer, 1995(a), 54.

383

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blocs qu’il allait recevoir384. L’incorporation du rocher dans la fortification est encore visible dans la courtine reliant les tours I et VIII (fig. 289). Dans le dernier cas, ce n’est pas toute la fortification qui était fondée sur le rocher puisque le gros bastion (Bollwerk) était installé sur le mur préhellénique. Ailleurs, le socle en appareil polygonal lesbien repose sur un mur de fondation composé de gros blocs polygonaux entre lesquels des bouchons ont été insérés (fig. 288)385.

En Ionie, la fondation sur le rocher semble avoir été récurrente. C’est notamment le cas du mur rectiligne découvert sur la péninsule d’Asın Kale à Iasos386. Plus au nord, le même type de fondation a été employé pour les murs de l’enceinte courant au pied du Kaletepe387. L’usage de la même technique a été constaté grâce aux fouilles menées sur le site du Çatallar Tepe, également localisé dans le Mykale. Les blocs du mur de défense étaient simplement posés sur le rocher sans que celui-ci n’ait reçu un traitement au préalable388. A Emporio (Chios), les murs de l’acropole étaient directement installés sur le rocher389.

A Sardes, il appert que les sections de l’enceinte qui escaladaient les pentes de l’acropole furent fondées sur le substrat. C’est en tout cas ce qui a été suggéré pour la pente ouest390. Les Lydiens auraient disposé des blocs de grès pour former une barrière d’au moins 7 m de hauteur. Il est fort probable que la pente orientale de l’acropole fut aménagée de la même manière puisque le tracé des défenses a pu être suivi sur 350 m sur le sommet d’une crête. A l’exception de ceux du secteur ByzFort et de l’acropole, les bâtiments n’étaient pas fondés sur le rocher celui-ci devait se trouver à une trop grande profondeur391.

Les murs de fortifications cariens étaient généralement implantés directement sur le rocher. C’est notamment le cas de ceux de la péninsule d’Halicarnasse et notamment celui des murs de l’acropole de Pédasa (fig. 164). A Loryma, l’étude des systèmes de défense a montré qu’ils tiraient largement parti des avantages du terrain en incorporant des portions de la roche affleurant392. 384 Wokalek, 1973, 37, Lang, 1996, 226. 385 Voir Lang, 1996, 225. 386 Levi, 1963, 527-533, fig. 40.

387 Kleiner et al., 1967, 100-116 et Wokalek, 1973, 41.

388 Lohmann, 2005(b), 81. L’auteur s’autorise à identifier cette absence de traitement du rocher comme une

marque d’architecture carienne et non grecque.

389 Boardman, 1967, 4. 390 Cahill, 2008, 118. 391 Greenewalt, 2006(b), 365. 392

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En ce qui concerne l’Anatolie Centrale, nous pouvons d’emblée exclure de cette catégorie la plupart des sites installés sur des höyüks, dont les murs de défenses étaient parfois fondés sur des murs plus anciens393. Dans les Hautes Terres de Phrygie, la plupart des fortifications étaient simplement taillées dans le rocher mais sur l’Akpara Kale, l’unique porte – un ouvrage indépendant composé de gros blocs réguliers – était fondée sur le rocher qui fut découpé au préalable (fig. 47)394.

Dans d’autres régions de l’Anatolie, cette technique semble avoir été très largement favorisée et ce notamment en Ourartou où selon P. Zimansky : « […] footings carved as steps in bedrock to provide firm foundations for walls are seen as a hallmark of Urartian workmanship »395.

Dans les quelques ouvrages de synthèse portant sur les fortifications, l’idée selon laquelle les fortifications étaient majoritairement implantées sur le rocher est assez largement répandue. A.W. Lawrence écrivait par exemple : « At the vast majority of sites the wall stood on hard rock […] »396. Ce postulat doit cependant être nuancé car d’autres procédés étaient employés pour la fondation des murs de défense. Ce type de fondation n’était pas réservé aux petits ouvrages implantés sur les hauteurs comme le montrent les exemples de Phocée et du Kaletepe. Le fait de fonder un mur sur le rocher dépend surtout des conditions topographiques : sur un terrain rocheux, dépourvu d’une accumulation sédimentaire suffisante, les constructeurs n’avaient pas d’autre solution pour implanter leur mur. Une telle méthode avait en outre deux avantages importants : il empêchait toute opération de sape et évitait que l’eau de pluie ne ruissèle et ne stagne à la base du rempart et provoque finalement sa déstabilisation.