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I. LES SITES FORTIFIES

I.5. La Carie

I.5.2. La péninsule d’Halicarnasse

La plupart des sites cariens de la péninsule d’Halicarnasse se situent dans les montagnes à l’intérieur des terres en retrait par rapport à la côte. Ils ont fait l’objet d’une étude exhaustive et d’une publication par W. Radt qui a dressé des plans et décrits des sites nombreux et jusque là presqu’inconnus (carte 10).

L’un des plus fameux est celui situé à Gökçeler203, identifiée comme étant l’antique

Pédasa (fig. 160-165)204. Cet établissement occupe un sommet de colline au nord d’Halicarnasse et possède une vue dominante autant sur la mer que sur l’intérieur des terres. Une citadelle fortifiée dominait la partie nord (A sur le plan, environ 120 x 50 m) dont l’angle sud-est était occupé par une forteresse (B sur le plan). Une ville basse se développait au sud et était également fortifiée (D sur le plan, environ 140 x 100 m). A Gökçeler, certains quartiers d’habitation occupaient la citadelle mais participaient aussi à sa défense, selon le modèle de la ville-forteresse205. Un bâtiment à caractère officiel a été découvert à l’intérieur des murs de la citadelle et pourrait avoir appartenu au potentat local (Chieftain’s or Ruler’s dwelling)206. Ce bâtiment est le plus grand à l’intérieur de l’espace fortifié (7,10 x 12,50 m) et a été daté du VIIe s. sur la base des techniques de construction. La chronologie des différents murs de défense reste entachée d’incertitude. Il est toutefois possible de penser que l’aménagement des murs de la citadelle soit antérieur à ceux de la ville basse. La présence de tours en saillie sur l’enceinte extérieure pourrait être vue comme un indice d’un remaniement des défenses au cours de l’époque archaïque. L’organisation de l’habitat reste assez mal connue mais les fouilles récentes devraient permettre de palier cette lacune.

Alâzeytin Kalesi était également une agglomération fortifiée (fig. 166-169)207. Le site se trouve à l’est d’Halicarnasse à environ 300 m d’altitude, desquels il domine la vallée de

203 Radt, 1970, 13, 182-183, 215, 232. De nouvelles fouilles ont lieu à Pédasa. Voir Diler et al., 2009, 267-284. 204 Strabon (XIII, 59) mentionne cette Pédasa dont le nom aurait pour origine celui de l’antique Pédasos évoquée

par Homère (Iliade, XXI, 83-87) comme étant une des villes lélèges de Troade.

205 Aristote, Politique, VII, 11, 6 (1330b). Voir aussi Garlan, 1974, 87-88. Ce dernier donne une traduction du

passage d’Aristote. Voir aussi Pimouguet-Pédarros, 2000(a), 105.

206 Diler, 2009, 375, fig. 25. 207

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Çiftlik. Il apparaît s’être développé de manière continue à partir du sommet occupé par une citadelle. Au sommet de celle-ci se trouvait un ensemble de bâtiments (53 à 58 sur le plan) qui pourrait être interprété comme une petite résidence dynastique, comparable à celle de Gökçeler208. En contrebas, la partie orientale était occupée par un habitat de forme agglutinée, rappelant le modèle de la ville-forteresse. Les parties nord et ouest de l’agglomération étaient défendues par un mur indépendant, c'est-à-dire libre de toute construction, doté de dispositifs en saillie identifiées comme étant des tours. Le paysage urbain était complété par une place vide de construction (26a) et plusieurs bâtiments à vocation cultuelle ou officielle (30)209. L’occupation d’Alâzeytin paraît remonter vers 700 et s’achever au IVe s. S’il n’est pas possible d’affiner la chronologie du site, le plan et le matériel révèlent que son développement fut progressif. Bien que cela ne soit pas encore démontrable, il nous paraît juste d’envisager que la construction du mur de fortification (à l’ouest) soit postérieure à celles des maisons défendant la partie orientale. C’est du moins ce que suggère la présence des tours jalonnant le tracé du rempart. W. Radt propose de dater leur mise en place de la deuxième moitié du VIe s. Les Perses auraient attaqué Alâzeytin dans les années 540 et auraient provoqué des destructions. Après cet évènement, les murs auraient subi des réparations et c’est à ce moment que les tours auraient été ajoutées210.

A quelques kilomètres au nord-est de Pédasa, un établissement de même morphologie a été découvert non loin du village de Göl (ancienne Madnasa ?) (fig. 171)211. Comme à Alâzeytin et Gökçeler, l’agglomération est séparée en deux aires distinctes, dotées chacune de leur propre périmètre fortifié. La citadelle située dans la partie sud hébergeait un complexe de bâtiments et était accessible via des escaliers. Des vestiges d’habitat ont été découverts à de nombreux endroits et certaines des maisons étaient accolées au rempart, comme à Gökçeler ou Alâzeytin. Plusieurs tombes ont été découvertes à l’entour du site.

Au sud-ouest de Göl, et tout juste au nord-ouest du village de Geriş, le site de Burgaz

présente encore la même configuration (fig. 170)212. La même constatation peut être faite à

Gürice213, à Asarlık (fig. 172) 214 ou à Ören Avlusu215. La particularité du dernier site est

208 Radt, 1970, ,17 n.3, 24-26 En dernier lieu voir Pedersen, 2009, 340-341. 209 Voir en dernier lieu Cavalier et al., 2008, 90-93.

210 Radt, 1970, 142-143. 211 Bean et Cook, 1955, 121-122. 212 Ibid., 118-119. 213 Ibid., 120-121. 214 Ibid., 116-118. 215 Radt, 1970, 82-86.

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qu’il se présente sous la forme d’éperon barré (fig. 175-176). Les trois établissements possédaient une citadelle et une ville basse fortifiée. A Bozdağ216, la présence d’un double système de défense n’est pas attestée. Le sommet de l’établissement était fortifié et les pentes en contrebas ont livré suffisamment de matériel pour mettre en évidence une occupation importante pendant les époques archaïque et classique.

Mentionnons également le site de Çilek Kalesi (fig. 173)217 qui présente sensiblement la même organisation que les établissements précédents à ceci près qu’il est dépourvu de citadelle ou de forteresse en position dominante. Cette absence est relative n’induit pas nécessairement l’absence d’une hiérarchisation à l’intérieur de l’établissement. Il est possible qu’une partie des bâtiments fût allouée aux tenants du pouvoir. C’est peut-être le cas des constructions numérotées de 16 à 18 sur le plan.

Girel Kalesi est situé sur le massif du Kara Dağ218, au nord-ouest d’Halicarnasse (fig. 174). L’agglomération possède aussi un double système de défense composé d’une enceinte formée par les maisons particulières ainsi que d’un rempart indépendant protégeant le noyau central sur presque tout son pourtour219. A l’angle nord de cette enceinte se trouve une sorte de forteresse qui était probablement vouée à la surveillance de l’ensemble de l’établissement et de ses environs. Le cas de Girel Kalesi est particulier car, comme l’a remarqué W. Radt220 : « … kein Raum und keine raumgruppe durch besondere Monumentalität hervorstechen ». L’analyse du plan et des vestiges montre en effet qu’il semble n’y avoir jamais eu aucune citadelle de nature aristocratique comme celles que nous avons mentionnées plus haut. Il s’agirait, pour reprendre les mots de W. Radt, d’un « Wohn- Organismus », une sorte de village tenu par un petit clan. Le fait que le bourg soit situé à proximité de Gökçeler pourrait indiquer qu’il en constituait une dépendance mais la relation entre ces deux établissements est difficile à établir.

Les sites de Büyük Keneli Tepe221 et Kovuk Çal222 sont relativement comparables (fig. 177-178). Tout deux s’organisent sur le modèle de la ville-forteresse. Les espaces laissés

216 Bean et Cook, 1955, 118.

217 Ibid., 86-91 ; Carstens, 2009, 130. 218 Radt, 1970, 76-81 et 1978, 334-335. 219

Les parties est et sud-est de l’établissement ne furent pas dotées de murs tant la pente y est abrupte et empêche tout accès (Ibid. 334).

220 Radt, 1970, 78. 221 Radt, 1970, 98-103. 222

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vides entre les maisons étaient comblés par des murs indépendants. Ces établissements ne peuvent être interprétés comme de véritables agglomérations du fait de leur taille réduite. Ils ressemblent davantage à de petits villages fortifiés accommodant tout au plus quelques familles.

Sur les cinq sommets les plus élevés de la péninsule, le Koca Dağ, le Kaplan Dağ, le

Tırman Sivrisi, l’Oyuklu Dağ et le Kışla Dağ, les indigènes de Carie ont mis en place de

grands murs de fortification (carte 10). Pour éviter toute redondance, nous n’en abordons que trois : le Koca Dağ, le Kaplan Dağ et l’Oyuklu Dağ.

Le Fluchtburg du Koca Dağ223 se trouve à 482 m au dessus du niveau de la mer et se situe directement au dessus d’Alâzeytin (fig. 180). L’établissement se compose d’une puissante forteresse située dans la partie nord. Elle abritait un grand bâtiment présentant un aménagement intérieur assez inhabituel. Il pourrait être le noyau autour duquel ont été bâtis les murs de la forteresse contre lesquels se sont adossées plusieurs constructions monocellulaires. Au sud, une seconde enceinte a été érigée pour inclure une surface plus importante. Le seul élément visible à l’intérieur de cette enceinte est une grande citerne circulaire incorporée au tracé du mur et qui pourrait être un abreuvoir pour le bétail. Les murs de cette extension ne semblent pas être reliés à ceux de la forteresse mais viennent plutôt s’accoler contre eux, d’où l’hypothèse d’une adjonction postérieure. Enfin, les constructeurs semblent avoir procédé à un nouvel agrandissement vers le sud-est. Le plan ne fait figurer que les départs des deux murs mais ils enserraient la totalité du plateau. Le système de défense mis en place sur le Koca Dağ est donc assez complexe et a vraisemblablement été érigé en

plusieurs étapes. La présence de citernes et/ou d’abreuvoirs permettait indique que l’établissement était prévu pour accueillir les hommes et les troupeaux. La grande enceinte sud était probablement destinée à accueillir le bétail alors que la forteresse au nord et les différentes pièces devait plutôt être réservées à la population. La fonction du bâtiment central reste énigmatique mais il y a de bonnes raisons de penser qu’il servit à la surveillance.

La situation est quelque peu différente sur le Kaplan Dağ224 (fig. 182). L’ensemble occupe un long plateau long de 300 m au sommet d’une colline. Son identification en tant que

fluchtburg tient au fait qu’aucun vestige d’habitat n’a été découvert à l’intérieur de son

enceinte. Or, tout juste au sud de cet établissement, sur une colline séparée de la première par

223 Ibid., 104-106 ; Pimouguet-Pédarros, 2000 (a), 145-146. 224

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une dépression, les restes d’un habitat également fortifié ont été repérés. Le débat reste ouvert quant à l’identification de cette agglomération225 mais le lien entre les deux places semble confirmé par la présence dans le fluchtburg de tombes sous tumuli. Les murs du Kaplan Dağ

pourraient également avoir servi à la sauvegarde des populations des établissements de Kovuk Çal, Büyük Keneli Tepe et Çilek Kalesi.

Le Fluchtburg placé sur l’Oyuklu Dağ226 (fig. 181) est plus facilement comparable à celui situé sur le Koca Dağ. Géographiquement, il se trouve au nord-ouest d’Halicarnasse et

est installé sur un plateau rocheux long de 600 à 700 m. L’établissement consiste en une petite enceinte de forme triangulaire dont la section nord suit la ligne de crête et est dotée à chacun de ces angles de bâtiments à pièce unique dont la fonction n’est pas assurée. Toutefois ils semblent bien pouvoir être définis comme des bastions du fait de leur emplacement227. L’entrée devait se situer dans la section nord-ouest mais n’est plus visible actuellement. A l’est de la citadelle se trouve un bâtiment rectangulaire doté de larges murs. Un mur transversal placé à l’intérieur de l’édifice pourrait correspondre à un escalier qui mènerait à un étage. Aucune interprétation n’est proposée mais il est possible de penser qu’en l’absence de tour, ce bâtiment était peut-être dédié à la surveillance. Il est placé sur la colline la plus élevée du secteur et pourrait avoir été en relation avec les agglomérations de Girel Kalesi et d’Ören Avlusu.

Un des éléments les plus caractéristiques de l’architecture indigène de la péninsule d’Halicarnasse est sans aucun doute le compound228. Ces constructions se présentent généralement sous la forme d’un mur extérieur circulaire percé d’une entrée menant à une cour, elle-même à peu près circulaire. Plusieurs petites pièces sont généralement adossées au mur principal. Ces petites cellules pourraient avoir servi à la production de fromage229. Quand l’on considère leur taille, il apparaît évident que ces constructions n’étaient pas destinées à abriter une population conséquente en cas de danger. Leur rôle était donc essentiellement agricole. Parmi les 70 fermettes de ce type découvertes par W. Radt, deux méritent une attention particulière car leur plan témoigne d’une certaine recherche en matière de défense.

225

Radt (ibid., 224) pense que l’agglomération en question est Syangéla. Blümel (1990, 37) placerait Syangéla à Alâzeytin.

226 Radt, 1970, 109-110.

227 Sur ce point voir aussi Pimouguet-Pédarros, 2000(a), 145. 228

Nous préférons utiliser ce terme qui signifie ‘enclos’ en anglais car il ne s’agit pas d’un simple pré délimité par une clôture. Le terme de compound est celui qui a été choisi par W. Radt pour décrire ces unités architecturales pour lesquelles sont étude reste la plus complète. Voir Radt, 1970, 145-193 ; 1978, 338-339 ; 1992 (d), 1-15.

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Le compound de Koca Ören (fig. 183) 230 est situé sur une colline au nord-ouest d’Halicarnasse entre Gökçeler (au sud-est) et le Fluchtburg de l’Oyuklu Dağ (à l’ouest).

Paton et Myres, les inventeurs du site, y avaient reconnu un temenos ou une nécropole mais l’hypothèse a depuis été réfutée231. L’établissement mesure environ 58 m de diamètre et l’épaisseur du mur d’enceinte varie de 1,9 m à 3 m. Plusieurs constructions ont été accolées sur les deux tiers du parement interne du rempart. Ces pièces pourraient être interprétées comme des unités d’habitation dont le toit pourrait avoir servi de chemin de ronde. Les restes d’une citerne sont visibles sur la partie ouest. Au centre de l’installation, un édifice de plan plus ou moins trapézoïdal et divisé en quatre unités occupait l’espace. Bien qu’aucune hypothèse ne puisse être formulée avec certitude en l’absence de fouille, la construction ronde située dans une des pièces de l’édifice central pourrait être vue comme un petit poste de surveillance. Néanmoins, elle pourrait aussi bien être une citerne ou une tombe232. Une seule porte mène à l’intérieur du compound. Elle est située dans la partie sud et consiste en une simple ouverture frontale dans le tracé du mur. Aucune structure de flanquement susceptible de garder son approche n’est attestée ici, en revanche, derrière l’entrée une sorte de chambre avec un plan en tenaille semble avoir été prévue pour réduire l’affluence vers l’intérieur de l’installation. Enfin, l’absence de céramique de surface corroborerait l’hypothèse d’une utilisation éphémère.

A Büyük Çevrim233 (fig. 185), l’établissement présente un plan similaire et peut être interprété de la même façon que celui de Koca Ören. Ce compound est situé au nord-est d’Halicarnasse et à l’est du Tırman Dağ. Comme les autres installations « lélèges », il est

placé sur un sommet d’une colline, le Çevrim Tepesi. L’enceinte est circulaire et atteint un diamètre d’environ 85 m. Contrairement au précédent, il semblerait que la défense ait fait ici l’objet d’une meilleure réflexion puisque chaque extrémité de la petite enceinte (nord et sud) est dotée d’une porte protégée par un petit bastion. Les entrées sont du type le plus simple mais celle au nord est protégée par un dispositif en saillie érigé contre le rempart. Quant à la partie sud, le bastion a été placé dans le vide laissé dans le rempart de façon a rétrécir l’ouverture. Comme à Koca Ören, un certain nombre de petites pièces ont été érigées contre le

230 Radt, 1970, 114-117, fig. 13.

231

Paton et Myres, 1896, 252-253, fig. 29.

232 Rien ne peut être affirmé dans l’état actuel de nos connaissances. L’hypothèse d’une tour semble être

vraisemblable en l’absence de structures défensive de ce type sur l’enceinte extérieure. Malgré tout, les tours de plan circulaires ne sont pas monnaie courante dans cette région.

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parement interne de l’enceinte de part et d’autre de la porte sud. W. Radt suggère qu’il a pu s’agir de maisons, de casemates ou encore d’entrepôts. L’aire hachurée au centre du plan représente les vestiges fortement détruits de bâtiments dont la fonction reste indéfinie. De même, le rôle de l’édifice de plan quadrangulaire situé entre l’amas central et la partie ouest de l’enceinte n’a pas encore livré d’indices capables d’éclaircir sa destination.

La céramique ramassée sur ces différents sites indique une occupation au cours des époques archaïque et classique. Leur position topographique, sur le sommet de collines, dans cette région montagneuse impropre à la culture, permet de les interpréter comme des unités agricoles où les bergers pouvaient venir trouver refuge avec leurs bêtes pour quelques nuits234.

Il convient enfin d’évoquer le cas du site de Myndos (Gümüşlük) qui se trouve à

l’extrémité occidentale de la péninsule d’Halicarnasse (fig. 189-193)235. Son implantation topographique marque une différence avec les sites précédemment évoqué car il se trouvait directement sur la côte. Sur la péninsule de Kocadağ, une longue section de mur en appareil

cyclopéen, sans tour ou autre dispositif de défense, a longtemps été appelée « mur lélège ». D’après les nouvelles études menées sur le site, ce mur appartiendrait à une enceinte qui enserrait la pente ouest de la colline. Les techniques de construction utilisées ainsi que la forme de la porte ont permis aux chercheurs de dresser des parallèles avec les murs mycéniens de Grèce continentale. Sa datation pourrait être antérieure à l’époque archaïque.