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II. ARCHITECTURE DES FORTIFICATIONS

II.1. Techniques de construction

II.1.3. Les appareils

II.1.3.2. Les murs en appareil irrégulier

Plusieurs murs de fortification étaient constitués de blocs cyclopéens, c’est-à-dire « de blocs bruts ou à peine dégrossis de très grandes dimensions, calés par des cailloux ou des éclats ». D’autres étaient composés de blocs de format plus réduit n’ayant pas reçu un grand traitement. Dans les deux cas, les pierres étaient peu travaillées et étaient généralement empilées les unes sur les autres502.

A Myndos (Gümüşlük) en Carie, le mur longtemps nommé « lélège » dans la

littérature archéologique, a récemment fait l’objet d’un examen plus attentif503. Le mur, épais de 2,75 m en moyenne, était composé de gros blocs polygonaux de format cyclopéen (fig. 191, 193). Entre les blocs étaient insérées de petites pierres de calage. La technique de construction employée a permis aux archéologues d’effectuer des rapprochements avec les ouvrages défensifs de Grèce continentale. La datation de la construction de la muraille de Myndos est désormais envisagée entre la fin de l’âge du bronze et le début de l’âge du fer et serait attribuable à l’époque mycénienne ou submycénienne. Malheureusement, aucun sondage de vérification n’a été effectué et ces datations reposent essentiellement sur des critères « stylistiques ».

502 Ginouvès, 1998, 97.

503

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Un mur assez similaire, fait de gros blocs polygonaux quasi-cyclopéens, défendait la ville basse de Lamponia en Troade504. Les blocs sont de taille très diverse, peu travaillés mais relativement bien ajustés (fig. 312-313). Le mur n’a jamais été étudié archéologiquement et sa datation est très incertaine. Il y a cependant de fortes probabilités pour que l’ouvrage date de l’époque archaïque. La même technique semble avoir été utilisée dans certaines parties des murailles de Gargara et de Néandria.

A Pergame, les blocs utilisés pour la construction du premier mur de fortification (Mauer 1) étaient irréguliers et paraissent avoir été ramassés dans les champs alentours plutôt qu’extraits de carrières (fig. 229). Leur forme plutôt arrondie les apparente à de miches de pain (brotlaibförmig)505. Il s’agit là encore d’une construction peu soignée qui consiste en un empilement de pierres récupérées à proximité du lieu de construction. Sa datation au VIIe s. est controversée et pourrait être revue à la hausse au regard de la céramique, d’aspect « préhistorique », à laquelle le mur est associé506.

Le mur de la citadelle de Kaletepe et ceux qui courent à ses pieds étaient construits selon la même technique (fig. 221-222). Les blocs employés étaient très frustes et semblent n’avoir subi aucun traitement. Ils n’étaient pas non plus régulièrement assisés. Il est possible que les murs de la citadelle aient été construits entièrement en pierre. Il en était peut-être de même pour ceux de l’enceinte extérieure. Dans les deux cas, les blocs du parement extérieur sont de plus grande dimension que ceux du parement interne. D’après les fouilleurs, l’appareillage serait très proche de celui d’Iasos507. Le mur iasien nous parait toutefois plus régulier que celui de Kaletepe508.

En Carie, les murs de fortifications ne présentaient pas toujours une grande homogénéité. Plusieurs techniques et plusieurs appareils pouvaient être utilisés sans que cela n’induise nécessairement des différences de datation. Des blocs de format cyclopéens étaient parfois utilisés en guise de renfort dans les secteurs les plus fragiles, comme les angles. A Alâzeytin, par exemple, l’emploi de blocs cyclopéens se remarque dans la partie sud des défenses (fig. 169)509. Un appareillage fruste assez massif se rencontre également dans les

504 Clarke, 1882, 5; 1888, 219-319 (Clarke a confondu Gargara et Lamponia dans son article); Cook, 1973, 250-

261; Stupperich, 1995, 12-138, Schulz, 2000, 17, 22, 29. Meilleure illustration dans Cook, 1973, pl. 38.

505

Radt, 1992, (C), 163-178 ; Radt, 1994 (a), 63-75.

506 Sur ce point voir Lang, 1996, 234 ; Kohl, 2008, 156-157 ; Lorentzen (com. pers. 2009). 507 Kleiner et al., 1968, 83.

508 Levi, 1963, 531 fig. 40. 509

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sections ouest et nord-ouest de l’enceinte510. L’exemple d’Alâzeytin n’est pas isolé car, si la technique la plus caractéristique et la plus plébiscitée dans les sites de la péninsule d’Halicarnasse est celle qui consiste à empiler des plaques longues et étroites, l’emploi conjoint d’autres types d’appareillage n’est pas rare. A Ören Avlusu et Burgaz, le

Plattenmauerwerk, était associé à un polygonal irrégulier alors qu’à Asarlık et à Çilek

Kalesi511 se rencontre un type mixte polygonal/rectangulaire512.

Les murs d’Hydas, sur la péninsule de Loryma, comptent cinq phases de construction s’étirant de l’âge du fer ancien à l’époque byzantine. Les parties les plus anciennes sont assez mal conservées mais dans la partie sud de la citadelle, une section en appareil cyclopéen a été découverte (fig. 156). Sa hauteur avoisine les 8 m par endroits513. Sa datation est comprise entre l’âge du bronze récent et le début de l’âge du fer, tout comme celui de Myndos. Des blocs d’un assez gros module et grossièrement assisés étaient utilisés à Loryma qui se situe sur la même péninsule qu’Hydas (Bozburun). Trois sections de cette enceinte datée de l’époque archaïque ont été retrouvées. Elles ont en partie été intégrées dans les défenses de l’époque classique514. Les blocs sont généralement polygonaux et atteignent parfois 1,50 m de longueur. La construction n’est pas homogène puisque l’on rencontre également des blocs quadrangulaires515. Il semblerait que sur la péninsule de Loryma, au moins 12 sur les 18 sites prospectés présentent des sections en appareil cyclopéen qui correspondraient à la première phase de fortification remontant au début de l’âge du fer516.

En Anatolie centrale, des blocs massifs et peu travaillés étaient utilisés dans les socles des fortifications. C’est le cas à Alişar mais où cette technique est notamment utilisée dans le

socle d’une des tours de l’enceinte extérieure (secteur D14, fig. 88)517. De petites pierres de calage étaient utilisées entre les gros blocs. Ailleurs, l’appareillage ne présente aucune homogénéité. Des pierres de forme et de taille très diverses étaient utilisées sans le moindre souci de régularité.

510

Ibid., section XVIII-XII.I, pl. 10.4.

511 Radt, 1970, 102.

512 Pimouguet-Pédarros, 2000 (a), 86. 513 Benter, 2009, 492, 496.

514

Held, 1999, 170-171.

515 Held (loc. cit.) propose un rapprochement avec le mur de Néandria (Ältere Mauer) du point de vue de la

conception défensive, pas de l’appareillage.

516 Benter, 2009, 483. 517

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A Kerkenes, la superstructure a disparue mais était, selon toute vraisemblance, érigée dans la même technique et dans le même matériau que le socle518. Celui-ci est construit dans un appareil vaguement polygonal (fig. 105). Seules les poutres de bois insérées à intervalles d’un mètre environ permettaient d’obtenir la régularité nécessaire pour élever le mur à une certaine hauteur. Les pierres sont tout de même d’un format assez régulier. Les blocs polygonaux du glacis sont mieux travaillés et présentent une face lisse. L’usage de pierres de calage est beaucoup plus rare que dans le mur principal car les blocs sont généralement bien ajustés. En plus de son rôle défensif, elle servait de contrefort et offrait un aspect plus uniforme au mur de fortification.

Le site d’Akalan, également situé dans la boucle de l’Halys, présente quelques points communs avec celui de Kerkenes519. Son glacis est sensiblement le même bien que ses pierres soient moins bien ajustées (fig. 98). Les blocs sont bruts et ne paraissent pas avoir été travaillés.

A Pazarlı, les murs et les bastions étaient faits de « grosses pierres non taillées mais ajustées les unes aux autres »520. Il est difficile d’effectuer des comparaisons considérant la pauvreté des descriptions mais il n’est pas impossible que la technique utilisée fut la même que dans les sites voisins (Kerkenes et Akalan).

Un mélange d’appareil polygonal et d’appareil quadrangulaire a été utilisé pour la construction des murs du Çevre Kale521. Les pierres sont de grandes dimensions et grossièrement équarries. Le mur n’est pas érigé selon des assises horizontales régulières.

REMARQUES GENERALES SUR LES MURS EN GROS APPAREIL

Les quelques exemples que nous avons présentés montrent qu’une certaine tendance au mégalithique est notable dans l’architecture militaire anatolienne. Elle est moins affirmée dans le monde grec où l’appareil cyclopéen a progressivement été abandonné au début de l’âge du fer après avoir été plébiscité par les Hittites et les Mycéniens522. Dans plusieurs sites, ces gros blocs étaient utilisés en association avec des blocs de plus petit module. Ceci montre

518 Voir Summers, 1998, 185-186 (l’hypothèse de la superstructure en briques crues a été abandonnée depuis la

rédaction de cet article). Pour des illustrations des murs et du glacis voir ibid., 2010 (b), 55 et suiv.

519 Macridy, 1907. Voir aussi Summerer, 2005, 128 et pl. 65.1. 520 Ko

şay, 1941, 13.

521 Summers, 1992, 186 et suiv. 522

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que la pierre était souvent utilisée comme elle arrivait sur le chantier avec peu ou pas de traitement. Dans ces murs irréguliers, les blocs n’étaient vraiment appareillés. Il n’y pas de tentative pour créer des assises régulières et les pierres de calage sont utilisées en grand nombre pour remplir les interstices parfois assez importants entre les blocs. Les exemples de Myndos et d’Hydas sont particulièrement intéressants. Ils témoignent de la présence de fortifications à une époque, bronze récent ou âge du fer ancien, où l’on ne soupçonnait pas la présence de tels ouvrages. Il faut cependant noter que ces murs ne sont pas datés sur des critères stratigraphiques.