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II. ARCHITECTURE DES FORTIFICATIONS

II.1. Techniques de construction

II.1.3. Les appareils

II.1.3.3. L’appareil polygonal à joints courbes

Dans la littérature archéologique, l’appareil polygonal à joints courbes est généralement nommé appareil polygonal lesbien523. Il se distingue des autres appareils polygonaux par le fait que les arêtes des blocs présentent une courbure. Mis côte à côte, ces blocs donnent aux assises du mur un aspect sinueux. Il est parfois difficile de différencier un mur polygonal « classique » d’un mur polygonal lesbien et l’ondulation des lignes des joints des blocs semble être le seul moyen fiable d’identification524.

Les spécimens les plus achevés de mur en appareil polygonal lesbien sont sans doute à mettre en relation avec le témoignage d’Aristote qui évoque la méthode employée pour obtenir des blocs de la forme adéquate525. Les bâtisseurs employaient une règle en plomb qui, selon R. Martin : « […] permettait de relever le gabarit de la forme exigée par le mouvement des arabesques dessinées par le lit d’attente et de tailler suivant ce gabarit les plans de pose […] »526. Tous les blocs étaient donc soigneusement taillés en fonction des blocs déjà posés. Il est évident qu’un tel mode de construction était onéreux car il demandait des tailleurs de pierre très qualifiés, un matériau approprié et surtout beaucoup de temps. L’emploi de cette technique n’était donc pas anodin et résultait indubitablement d’une volonté du commanditaire d’esthétiser la construction. Cependant, tous les exemples de murs construits selon cette technique ne sont pas très aboutis. Le recours à la bande de plomb n’était donc pas systématique. Cette technique se décline selon plusieurs types dont nous ne proposerons pas ici un inventaire exhaustif. Nous n’évoquerons que brièvement les exemples de Lesbos, déjà

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Scranton, 1941, 25-44 ; Martin, 1965, 379-380 ; Orlandos, 1966, II, 127-132 ; Winter, 1971(a), 79-81, 85-88 ; Spencer, 1995(a), 53-64 ; des Courtils, 1998, 125-137.

524 des Courtils, 1998, 126.

525 Aristote, Ethique à Nicomaque, 30, 1137b. 526

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analysés par N. Spencer527. Ils seront évoqués à titre comparatif. Notre objectif est de revenir simplement sur l’emploi de cette technique de construction dans les fortifications micrasiatiques.

A Cymè en Eolide, les fouilles ont révélé plusieurs sections d’un probable mur de fortification qui sont difficiles à relier les unes aux autres. La première section a été dégagée par E. Akurgal dans les années 1950. Il s’agit d’une portion de 8 m et de 2,5 m de haut mise au jour sur le sommet occidental de la colline sud528. Elle est datée de la fin de l’époque archaïque par comparaison avec la tour I de Larisa sur l’Hermos529. Il s’agirait donc d’un appareillage tout à fait soigné mais aucune photographie n’a à notre connaissance été publiée. Les descriptions précises de ce mur sont absentes530.

A Larisa, l’appareil polygonal à joints curvilignes se décline selon trois qualités différentes (fig. 290-292). Le plus achevé est celui qui fut utilisé pour la construction de la tour I et de la courtine située entre les tours I et VIII. Les blocs sont finement rustiqués et les joints sont parfaitement réguliers. A certains endroits se dessinent des assises quasi- horizontales. Cette régularité est d’ailleurs soulignée par un bandeau constitué de dalles d’andésite rouge-brune qui non seulement crée un contraste avec les blocs polygonaux. Elle servait aussi d’assise de réglage et, dans le cas des tours, marquait peut-être les niveaux de sols comme l’a souligné F.E. Winter531. Cette assise composée de blocs rectangulaires se rencontre également dans la courtine reliant les tours I et VIII. Le second exemplaire de ce type d’appareillage est visible au sud ouest de la tour VII532. Ses blocs ont été taillés dans différentes pierres, donnant un contraste à l’ensemble du mur. Ce tronçon diffère également par ses joints qui, quoique soigneux, sont moins resserrés. Le mur beaucoup plus fruste longé par la rampe d’accès est beaucoup moins soigné. Les joints sont relativement lâches et comblés à l’aide de petites pierres. On notera qu’une attention particulière a été portée sur le secteur entre les tours I et VIII. Cette volonté de magnifier cette partie des murs de la citadelle est certainement liée à la proximité du palais. En ce qui concerne la datation, une partie des murs polygonaux de Larisa remonterait à la première moitié du VIe s. selon R. Martin. Ce

527 Spencer, 1995(a).

528 Knoblauch, 1974, 288. 529

Lang, 1996, 224.

530 Th. Maischatz (2003, 82), se basant sur F. Lang (loc. cit.) évoque une épaisseur comprise entre 1,5 et 2 m. Or

Lang donne cette mesure pour un mur du môle et non de la fortification.

531 Winter, 1971(a), 78-79, 190. 532

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sont ceux aux joints assez lâches comblés par des bouchons533. Les murs de la dernière phase pourraient avoir été construits vers la fin du VIe s.534.

Plusieurs sections de mur en appareil polygonal lesbien ont été découvertes à quelques kilomètres de Larisa au dessus du village de Yanık Köy (Néonteichos ?)535. Aucune fouille n’a été réalisée à cet endroit et la documentation est très rare.

A Smyrne, il apparaît que, dès les premiers états de la muraille, les constructeurs aient optés pour un appareil à tendance polygonale composé de blocs relativement grossiers. La régularité des parements de l’ouvrage défensif semble s’être progressivement améliorée d’abord avec l’apparition de blocs « lesbianisants » (hammer-dressed rubble-Lesbian

construction, fig. 254)536, puis avec la construction d’une superstructure en appareil lesbien de bonne qualité dont les blocs soigneusement ravalés et jointés remplacèrent la traditionnelle superstructure en briques crues (fig. 255-256). Cette phase est datée du début du VIe s.

Le mur construit dans la seconde moitié du VIIe s. et récemment dégagé sur 180 m dans la partie orientale de la cité par M. Akurgal, était composé d’un socle en gros blocs polygonaux aux joints assez lâches comblés par des bouchons537. Ce premier mur était alors constitué d’une superstructure en briques crues. Le socle n’est pas homogène sur toute sa longueur. L’extrémité sud de cette section était la plus régulière et constituait probablement le premier exemple de l’utilisation de l’appareil polygonal lesbien dans la muraille smyrniote538. Elle est considérée comme le résultat d’une réparation du rempart subséquente à l’attaque lydienne sur la cité. Après cet épisode, le rempart aurait donc été partiellement reconstruit et « modernisé » par l’introduction quasi-systématique de l’appareil polygonal à joints courbes dans le socle et dans la superstructure539. En effet, dans cette seconde phase archaïque, datée du début du VIe s., les briques crues auraient été remplacées par des blocs polygonaux de très

533 Martin, 1987, 510.

534 Voir partie I.7. L’Eolide, Larisa.

535 Conze, 1912, 103-104 ; Bean, 1966, 102-103 et fig. 4. Cook, 1958-1959, 20. Ce site, plus grand que celui de

Buruncuk, est parfois identifié comme étant soit Larisa, soit Néonteichos. Le site est aussi connu sous le nom turc de Yanık Köy.

536 Nicholls, 1958-1959, 98.

537 Akurgal, 2005, 83-86. (Archaic Period Wall, 1st Phase) Ce mur est celui de la troisième phase (Wall 3)

déterminée par les fouilleurs britanniques. (Nicholls, op.cit., Plan général, sections µ-µ’ et λ-λ’, en rouge).

538 Akurgal, loc. cit., 86.

539 C’est l’avis de M. Akurgal (loc. cit., 86) qui écrit que la superstructure en briques crues a été enlevée pour

laisser place au mur en pierre. Pour les fouilleurs britanniques, les fortifications de Smyrne étaient toujours dotées d’une superstructure en brique.

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bonne facture (fig. 255-256)540. La transition avec le socle est marquée par une assise de réglage composée dans certaines parties de blocs rectangulaires relativement plats. Il est remarquable que la première assise de blocs polygonaux soit légèrement en retrait vers l’intérieur par rapport au socle541. Ce procédé permettait peut-être d’accentuer le contraste entre le socle et la superstructure. Le côté sud de la cité était également protégé par le même type de mur dont il ne reste plus aucune trace aujourd’hui542. Le second mur construit parallèlement au premier était également construit en appareil polygonal lesbien (fig. 253, 257). La datation à l’époque archaïque proposée par M. Akurgal est plausible mais mériterait d’être étayée par la présentation du matériel archéologique découvert en contexte. Comme nous l’avons déjà souligné, l’identification de cette construction comme une portion d’un système de défense est problématique543.

Milet et Samos offrent également des exemples d’utilisation de l’appareil lesbien dans les murs de défense. Dans les deux cas, cette technique est utilisée ponctuellement dans certaines parties du rempart. Le mur protégeant l’habitat de Kalabaktepe était en partie construit en appareil à joints curvilignes544. Les joints sont relativement bien réalisés mais des espaces sont parfois remarquables entre les pierres. L’exemple milésien est techniquement moins abouti que celui de Larisa (tour 1) ou que celui de Smyrne (début VIe s.). L’autre mur de défense construit à la fin du VIe s. au sommet de la colline était vraisemblablement composé en appareil polygonal mais son état de conservation ne permet pas de connaître son type précis545.

A Samos, la section construite près de la porte D est aussi constituée de blocs à joints curvilignes (fig. 227-228)546. Leur mise en œuvre n’est pas extrêmement soignée. Les joints sont assez lâches et leurs faces visibles sont légèrement démaigries au marteau. L’appareil polygonal lesbien n’a été déterminé que dans ce secteur. Ailleurs, l’appareil polygonal à joints

540 Akurgal, loc.cit., 86-87 (Archaic Period Wall, 2nd Phase). Elle compare notamment ces blocs à ceux des murs

de Larisa (dernière phase). Cette assise avait déjà été dégagée au début du XXe s. par des fouilleurs allemands. Voir Miltner, F. et H., 1932, 167 fig. 83.

541 Nicholls, op.cit., fig. 16, pl. 7, pl. 12 d.

542 Ibid., 93-94, fig. 29, pl. 20c. Le matériel découvert en association est daté entre le début et la fin du VIIe s. 543 Voir partie I.6. L’Ionie, Smyrne.

544 von Gerkan, 1925, 26 et suiv., pl. IV, XVI, 2 ; 1935, 9-10, 119. 545 Senff, 1997, 122 et suiv.

546 Kienast, 1978, 40-42, 60, fig. 26, 99-102, pl. 12.1. (Photographie du mur dans AA, 1931, 287-288, fig. 36 et

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droits a également été utilisé. Ceci suggère qu’à l’époque archaïque, une très grande partie sinon la totalité du socle du rempart fût érigée en polygonal547.

En Troade cette technique de construction fut utilisée dans certaines cités fondées depuis Lesbos. A Assos, une section appartenant à la fortification de l’acropole a été mise au jour à l’ouest dans le secteur de la grande porte classique (fig. 304)548. Le mur se démarque de ceux que nous avons évoqués par les arabesques en arc de cercle que forment ses joints. La taille et la forme de ses blocs n’est pas homogène et certains d’entre eux ne sont pas polygonaux mais rectangulaires et trapézoïdaux. Tous sont réalisés dans la même pierre (andésite) et leur face a été travaillée au marteau. L’autre particularité est que le mur en polygonal est associé à un mur en appareil pseudo-isodome qui pourrait lui être contemporain. Sans examen stratigraphique cela est impossible à déterminer mais l’association polygonal/rectangulaire est connu notamment à Lesbos où les blocs rectangulaires sont utilisés pour construire les angles des bâtiments ou des fortifications549. Une fouille archéologique permettrait également de déterminer si ce mur est à double parement ou s’il est construit comme un mur de terrasse. La datation du mur d’Assos est basée sur celle du mur découvert à Beşik Tepe qui n’est conservé que sur une seule assise (fig. 316)550. Celle-ci reposait sur une base de pierres plates.

Une partie des fortifications archaïques de Néandria (ältere Stadtmauer) consistaient en un mur à double parement dont les blocs de granit étaient polygonaux à joints courbes551. Le mur, construit selon la technique de l’emplecton, mesurait entre 2 et 2,50 m. L’architecture des murs de fortification n’est pas homogène et l’on peut identifier plusieurs appareillages dont la multiplicité rend le phasage difficile à réaliser552. Il est étonnant de retrouver un mur en appareil polygonal curviligne similaire à celui d’Assos, avec des assises en arc de cercle, dans la muraille de la phase suivante (Jüngere Mauer) datée entre la fin du Ve et le milieu du IVe s., soit à une période où cette technique n’est plus censée être utilisée553.

547 Kienast, op.cit., 40-41.

548 Clarke, 1882, pl. 26, Clarke, 1889, 79 pl. 2 ; Clarke et al., 1902, 213, 215, fig. 1-2 ; Cook, 1973, 240 et suiv.,

pl. 34 ; McNicoll, 1997, 183-184 ; Schulz, 2000, 15-16.

549

Spencer, 1995(a), fig. 26-27.

550 Korfmann, 1988, 394-395 et fig. 3. 551 Schulz, 2000, 66.

552 Winter (1985, 680-683) s’y est essayé. Voir surtout Schulz, op. cit., 107-118. 553

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Quelques exemples de ce type d’appareillage se rencontrent dans des murs de fortifications qui ne se trouvent pas dans la zone lesbo-éolienne. A Caunos, les fortifications de l’acropole (secteur G-H) ont conservé une section en appareil polygonal lesbien qui a la particularité de contenir des blocs à bossage dont certains sont brochés554. Il semble évident que ce mur correspond à une opération de réparation du mur et qu’il ne date pas de l’époque archaïque. Cependant, il semblerait que des blocs polygonaux non brochés et plus simples reposent sous les blocs brochés indiquant la présence d’un mur en polygonal plus ancien555.

Une utilisation tardive de l’appareil à joints courbes a été repérée sur l’acropole de la cité de Kéramos en Carie où, comme à Samos il existe une combinaison avec l’appareil à joints droits556. Les blocs, souvent en grès, sont travaillés au marteau.

A Sardes, le socle de la fortification lydienne du secteur MMS/S semble avoir été construit selon plusieurs techniques en combinant les appareils isodome, polygonal et lesbien557. Les blocs ont en effet des angles courbes et forment une petite arabesque. Cet exemple est isolé mais dénote peut-être une tentative d’imitation des murs de Smyrne.

Enfin, il convient d’évoquer, à titre de comparaison, l’exemple de Xanthos en Lycie où la partie orientale des fortifications de l’acropole lycienne présente une portion en appareil lesbien d’une grande finesse558. Cette section est datée du début du Ve s. Ses blocs sont finement piquetés donnant à la muraille une face parfaitement lisse dans ce secteur. Certains blocs ont toutefois des joints parfaitement droits. Il y a donc dans ce mur une utilisation conjointe de deux techniques. La recherche esthétique est évidente dans cet ouvrage qui protégeait la résidence d’un dynaste lycien.

REMARQUES SUR L’APPAREIL POLYGONAL LESBIEN

Originaire de Lesbos, cette technique fut essentiellement utilisée à l’époque archaïque entre la fin du VIIIe s. et le début du Ve s. Bien que l’on en trouve quelques occurrences à l’époque classique, elle disparaît progressivement au profit d’autres appareils plus faciles à

554 Bean, 1953, 11-13, fig. 4 ; McNicoll, 1997, 192; Pimouguet-Pédarros, 2000(a), 95-96, O

ğün et Ișık, 2003, 38-

39, fig. 23.

555 O

ğün et Ișık, op. cit., 39.

556 Maiuri, 1921-1922, 389, fig. 48 ; McNicoll, 1997, 161-162, pl. 71-72. 557 Greenewalt et al., 1985, 78. Voir Dusinberre, 2003, fig. 11.

558

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mettre en œuvre. Plusieurs idées ont été avancées pour expliquer son apparition559. L’origine naturelle permet d’apporter une réponse partielle : certaines roches se délitent de telle façon que les blocs possèdent naturellement des arêtes courbes sans trop de travail560. Certains voient dans le polygonal lesbien une évolution des premiers murs composés de blocs grossièrement polygonaux. Comme l’écrivait F.E. Winter : « … Lesbian was simply an attempt to give a more finished appearance to the earlier rubble type of construction »561. Et ceci semble en effet se vérifier à Milet où, d’après R. Martin « on peut suivre le passage du polygonal fruste au polygonal à joints courbes dans les fortifications du VIe siècle »562. Cette dimension « évolutionniste » est sans doute valable à Smyrne et à Larisa, où l’on rencontre deux à trois déclinaisons différentes de la technique dans le même ouvrage, mais les critères de datations sont dans les deux cas insuffisants.

Il existe trois grandes catégories d’appareil polygonal lesbien563.

1) Appareil irrégulier : blocs de taille différente, non démaigris, à joints lâches comblés par des bouchons (Smyrne, socle du mur 3, Larisa, mur longeant l’entrée) ;

2) Appareil plutôt régulier : murs à blocs de taille relativement homogène, peu ou pas démaigris, à joints sans bouchons mais espacés (Larisa, mur au SO de la tour VII ; Samos, porte D, Assos, Néandria, Beşik Tepe)

3) Appareil régulier : mur à blocs piquetés à joints très resserrés (Larisa, tour I ; Smyrne, superstructure du mur 3 ; Xanthos, acropole lycienne. Pour Lesbos : Méthymna, Selles et Pyrrha564).

Il existe une grande amplitude dans la qualité de l’appareillage et comme nous l’avons dit plus haut, il n’est pas rare de retrouver plusieurs types dans un même ouvrage. La chronologie ne peut souvent pas être précisée en l’absence de fouilles archéologiques565.

559 Pour des mises au point récentes sur les origines de l’appareil polygonal lesbien, voir en particulier Spencer, loc. cit., 54-56 et des Courtils, loc. cit., 127-128.

560 Spencer, (1995(a), 55) donne l’exemple d’une andésite rose des environs de Mystegna dans le nord de Lesbos

à laquelle il suffit d’un choc pour lui donner une forme polygonale. Voir aussi l’exemple des Courtils, 1998, 127 n.12.

561

Winter, 1971, 88.

562 Martin, 1965, 380 n.2.

563 Pour les variantes voir la typologie de Scranton, revue par des Courtils, 1998, loc. cit. 564 Spencer, 1995(a), 53-54.

565

Pour Spencer (1994, 210 n.28), les fouilles archéologiques n’apporteraient pas automatiquement plus de précisions aux datations. Or à moins que les murs ne soient bâtis directement sur le rocher naturel, il est raisonnable de penser le contraire. Les résultats des fouilles de Beşik Tepe servent souvent de base à la datation

des murailles lesbiennes en Troade. Il est évident que le meilleur moyen serait de fouiller toutes les fortifications et éventuellement d’en démonter une partie pour essayer de trouver du matériel dans le remplissage.

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L’appareil polygonal lesbien était principalement employé dans les murs de fortification et dans les murs de terrasses566, deux types de construction qui, à l’époque archaïque, se confondent bien souvent. L’usage d’une telle technique dans des constructions, qui avaient à l’origine une vocation purement utilitaire, s’explique dans les premiers temps par sa mise en œuvre apparemment aisée. Les constructeurs ont tiré parti de son caractère ornemental et l’ont perfectionné. Elle fut surtout utilisée pour petits ouvrages, en particulier les circuits d’acropole. Avec le développement des grandes enceintes, l’appareil polygonal à joints courbe a été abandonné au profit de blocs de module plus maniable et plus économique à produire567. Les moyens qu’il fallait mettre en œuvre pour obtenir des blocs sur mesure n’était plus en adéquation avec la nécessité de construire de grands ouvrages défensifs, longs de plusieurs kilomètres568. La muraille « artisanale » a été en quelque sorte remplacée par la muraille « industrielle » et le polygonal aux joints courbes détrôné par l’appareil rectangulaire. Sa disparition s’explique peut-être aussi par son manque de résistance face aux attaques ennemies569. Les blocs lisses ont tendance à éclater sous le choc des projectiles, alors que les blocs à bossage ou plus bruts dévient leur trajectoire. En outre, puisque les blocs étaient tous dépendants les uns des autres, le risque de voir le mur s’effondrer était accru. Ce danger était particulièrement prégnant pour les murs à double parements utilisant la technique de l’emplecton. Si un bloc était déchaussé, ses voisins subissaient le même sort et la dispersion des matériaux du remplissage pouvait entraîner la destruction d’une partie de l’ouvrage.

Au total, l’appareil polygonal à joints curvilignes se rencontre surtout en Eolide et en Troade. Cela s’explique probablement par la proximité de Lesbos qui semble avoir été le foyer de cette technique de construction570. Celle-ci a connu une diffusion en dehors de sa zone originelle. On en rencontre plusieurs exemples en Occident et notamment à Naxos et à Vélia571. Sa réapparition à l’époque hellénistique, comme à Kéramos par exemple, est généralement considérée comme un archaïsme572.

566 Orlandos, 1966, II, 129.

567 Winter, 1971(a), 86.

568 A Thasos, cet appareil se rencontre dans l’enceinte fortifiée mais dans une courte section seulement (des

Courtils, loc.cit., 129). Le même constat vaut pour Samos.

569 Adam, 1982, 24-25. 570 Spencer, 1995(a). 571 Martin, 1987, 499-512. 572

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