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I. LES SITES FORTIFIES

I.3. Le sud de l’Halys et la Cappadoce

Dans la partie méridionale de la boucle de l’Halys, de part et d’autre du fleuve, se trouvent d’autres sites fortifiés dont certains ont fait l’objet de fouilles ou de prospections. Il s’agit là de sites appartenant au pays de Tabal qui était vraisemblablement divisé en plusieurs royaumes133. Les sites de cette région sont principalement connus à travers leur art officiel qui présente des affinités avec celui des cités syro-hittites du sud-est anatolien.

Çalapverdi et Kululu, situés respectivement sur les rives Ouest et Est de l’Halys ne

présentent pas d’occupation antérieure à l’âge du fer. Le premier occupait une colline dont les dimensions étaient supérieures à celle d’Alişar ou du Büyükkale134. Le site paraît avoir été fortifié et occupé par un habitat permanent135. Puisqu’il a servi de carrière, il est difficile d’obtenir une image claire de l’organisation des vestiges136. Il semble toutefois avoir été doté d’un glacis137. Les tessons découverts en surface placeraient son occupation au plus tôt dans le dernier quart du VIIIe s.138 Sa position stratégique, à la frontière des pays des Muški et de Tabal, lui a valu d’être interprété comme une forteresse139. L’organisation du site est mal connue et aucun plan n’a encore été publié140.

Le site de Kululu appartient également au pays de Tabal141. Il pourrait avoir été le siège du royaume unifié sous le règne de Wasasarma142. Le mur de la citadelle aurait été construit aux alentours de 700. Des constructions à caractère officiel auraient été découvertes à l’intérieur de l’enceinte. Plusieurs statues, qui faisaient probablement partie d’un ensemble architectural, pourraient confirmer l’importance du site. L’établissement est souvent identifié comme étant une citadelle ou un fort mais il était également un site d’habitat143.

133 Pour l’histoire du pays de Tabal voir Hawkins, 153-167 ; Barnett, 1967 ; Bryce, 2003, 97-100 ; Aro, 1998;

2003, 281-337. 134 Wittke, 2004, 314-315 et 314 n.114. 135 Özgüç, 1971, 117-118. 136 Wittke, 2004, 314. 137 Strobel, 2005(b), 148-149. 138 Crespin, 2001, 174. 139 Özgüç, 1971, 117-118.

140 Sur la question des Muški : Börker-Klähn, 1998, 247-260 et Wittke, 2004. Ce peuple serait assimilable aux

Phrygiens.

141 Özgüç, 1971, 145-148.

142 Sur les inscriptions de Kululu voir Hawkins (loc.cit.). Bryce, 2003, 97-102. Sur Tabal voir aussi V.1.2.1.Les

royaumes de Tabal.

143

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Le höyük de Sultanhan, situé à l’ouest de Kululu, a fait l’objet de recherches archéologiques144. Cependant, le site a largement souffert d’une destruction causée par la construction d’une voie de chemin de fer et par la réoccupation du site aux époques postérieures. Plusieurs bâtiments importants paraissent avoir été détruits à ces occasions mais certains vestiges ont été épargnés. C’est le cas du mur de fortification protégeant la « citadelle » dont les techniques de construction seraient comparables à celles employées à Boğazköy, Akalan, Havuzköy et Kerkenes145. Sultanhan Höyük était vraisemblablement un site d’importance, peut-être une petite ville. Sa défense aurait également reposé sur le fort de Yassıdağ146, situé à 5 km au nord et qui serait contemporain de Sultanhan. Les deux sont datés entre le VIIIe et le VIe s.147.

Le site d’Havuzköy148 est situé au nord-est de Kululu (fig. 115-116). Il se trouve assez éloigné des sites que nous venons de mentionner mais il présente globalement les même caractéristiques et semble avoir joué un rôle défensif important149. Le site était fortifié et placé en position dominante. Il devait donc avoir une certaine utilité dans la surveillance de cette zone frontière. La présence de tombes sur le site permet de penser que le site n’avait pas seulement un caractère militaire et qu’il a pu accueillir un habitat permanent situé en contrebas de ses murs identifiés comme étant ceux d’une citadelle. L’ouvrage défensif comportait un glacis.

Dans le même secteur géographique, le site de Kültepe/Karahöyük est mieux documenté mais l’interprétation de ces vestiges n’en est pas pour autant plus évidente. Autrefois connu sous le nom de Kaneš, important comptoir assyrien, le site fut largement occupé par les Hittites qui fortifièrent la citadelle et la ville basse150. A l’âge du fer, il comptait parmi les höyüks les plus étendu (550 x 450 m). L’établissement fut à nouveau fortifié pendant cette période, le mur étant établi en partie sur son prédécesseur hittite151. De nombreuses maisons ont été découvertes. Elles étaient de caractère assez simple mais toutefois assez standardisé. Deux phases d’occupations ont été déterminées à l’âge du fer, les

144 Emre, 1971, 19-63 et 1971-1972, 87-138. 145 Crespin, 2001, 183. 146 Emre, 1971, 110. 147 Özgüç, 1971, 117. 148 Boehmer, 1967, 132-144; Özgüç, 1971, 119 ; Burney, 2004, 113-114.

149 Özgüç (ibid.) considère que le site est indissociable de Çalapverdi, Kululu, Göllüda

ğ et Kerkenes. Si la chose

semble être correcte pour les deux premiers, les nouvelles découvertes faites dans les seconds permettent de reconsidérer cette hypothèse.

150 Özgüç, 1971. Voir aussi Mellink, 1959, 75 ; 1961, 31 ; 1964, 151 ; 1966, 144 ; 1968, 218 ; Crespin, 2001,

179 ; Wittke, 2004, 346-347.

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deux étant séparées par une importante couche d’incendie. Le premier niveau post-hittite daterait du milieu du IXe s.152. La découverte d’un grand bâtiment post-hittite décoré d’orthostates sculptés témoigne de l’importance du site153. Il est possible que cet édifice ait eu une fonction officielle civile, politique ou religieuse tout comme ceux de Kerkenes, Kaman Kalehöyük, Pazarlı ou Gordion. L’organisation urbaine du site n’est pas connue en totalité et il est pour l’instant impossible de savoir si l’occupation était cantonnée à l’aire comprise à l’intérieur de l’ancienne citadelle hittite comme c’est le cas dans les sites du centre de la boucle de l’Halys. Toutes les découvertes effectuées jusqu’ici tendent toutefois à confirmer cette hypothèse154.

Trois autres sites placés sur la rive nord de l’Halys, dans la partie sud de la boucle ont livré d’importantes traces de leur occupation à l’âge du fer : Topaklı, Hacıkbektaş et

Karaburun.

A Topaklı, les fouilles ont révélé une occupation identifiée comme post- hittite/phrygienne (niveaux O-R)155, contenue à l’intérieur d’une imposante construction défensive, vraisemblablement obtenue grâce à d’importants travaux de terrassement156. L’organisation générale du site reste largement méconnue et aucun bâtiment d’importance n’a été découvert. Il semble cependant que Topaklı fut le site d’une petite ville d’Anatolie centrale, peut-être semblable à Kültepe. Pour ce qui est de sa chronologie, si l’on accepte les conclusions du fouilleur, le pic de l’occupation à l’âge du fer devait se situer entre les VIIIe et VIe s.157. Le site présente à la fois du matériel phrygien et du matériel syro-hittite158.

Le site voisin, Suluca-Karahüyük-Hacıkbektaş159, ne présente pas de fortification mais a révélé une importante succession de couches datant de l’âge du fer parmi lesquelles figurent les vestiges d’habitations « phrygiennes ».

152

Muscarella, 1988, 181.

153 Mellink, 1962, 78.

154 Orthmann, 1980, in: RLA V, 382-383.

155 Voir les rapports de Polacco dans les TAD entre 1973 et 1976. Voir aussi Polacco, 1972-1973, 85-100 et

1973, 125-139 (en italien).

156 Polacco, 1973, 174: « powerfull enclosure embankment or rampart ». Ce rempart n’a pas été étudié dans sa

totalité et son tracé exact reste inconnu. Il est probable qu’il enserrât la totalité du höyük mais rien ne permet de le prouver. Sa technique de construction est assez originale mais connait quelques parallèles (Çevre Kale et Südburg). Sur les différentes phases du rempart voir Polacco, 1974, 164-165.

157 Polacco, 1974 (a), 166-167; 1975, 90-91. 158 Ögün et al., 1973, 66-67.

159 Fouilles de K. Balkan dans les années 1960 : Balkan et Sümer, 1968, 15-39, 1970, 37-42. Sur la céramique,

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Au sud se trouve l’établissement de Karaburun, un site fortifié dominant l’Halys. Le site compte parmi les rares documentés et datés par l’épigraphie160. Au VIIIe s., le roitelet local aurait passé une sorte de contrat avec ses collaborateurs au sujet de la restauration de la citadelle. L’organisation de ce site n’est pas connue mais nous avons ici la preuve que le site était occupé par un personnage important (Sipis), un des rois de Tabal, qui tenait cet établissement sous sa coupe.

Comme la plupart des sites de la frange sud de l’Halys (rives nord et sud), ces trois derniers sites semblent avoir appartenus au royaume de Tabal.

Le site placé sur le Göllüdağ compte parmi les plus importants de la région qu’il domine du haut de ses 2143 m (fig. 117-119)161. Le site était doté d’une enceinte suffisamment vaste (5 km de long) pour enclore une surface d’environ 3 km², accessible grâce à quatre portes monumentales et plusieurs poternes. Au sommet de cette aire fortifiée se trouvait la citadelle, elle-même dotée d’un mur d’enceinte. La richesse des bâtiments à l’intérieur de cet espace permet d’interpréter cet ensemble comme un lieu de culte ou un palais de type Bit Hilani162. Au sud-est et à l’est de la citadelle, plusieurs îlots d’habitation sont méticuleusement disposés le long de rues à angles droits. La totalité de l’espace fortifié ne semble pas avoir été loti. Ce site est exceptionnel à bien des égards. Il semble avoir été construit lors d’un unique programme et paraît avoir eu une durée de vie très limitée163. La place fut vraisemblablement aménagée au cours du VIIIe s. et abandonné au plus tard au début du VIIe s. Sa fonction réelle reste obscure puisqu’elle ne semble pas avoir été occupée en continu, probablement à cause de sa situation en retrait et en altitude. Considéré comme étant le siège du pouvoir central du royaume de Tabal, il est plus proche des principautés syro- hittites, par son architecture et ses dimensions que de la plupart des sites d’Anatolie centrale, à l’exception de Kerkenes, plus récent d’un siècle164.

160 Une inscription en hiéroglyphes hittites. Hawkins, 1979, 166-167. 161

Sur le Göllüdağ, voir Tezcan, 1969, 211-235 ; 1992, 1-29 ; Schirmer, 1993 (a), 121-131 ; 1993 (b), 237-242 ;

1996, 335-343 ; 1998, 51-61 ; 1999 (a), 179-184 ; 1999 (b), 129-142.

162 « [Bit-hilani] désigne dans l’architecture de Syrie du nord un type de bâtiment composé d’une,

éventuellement de deux, salles barlongues, et d’un vestibule ouvert par une baie à un, deux ou trois supports à laquelle on accède par un degré ». Aurenche, 1977, 100.

163 Schirmer, propos rapportés par Gates, 1995, 230: « The entire site would thus appear to have been

constructed at one time, for a specific purpose. The paucity of associated finds, as noted by previous researchers, suggests that the site was used only sporadically. Earlier studies have proposed a military function for this large- scale building project, perhaps as a secure retreat in times of threat ».

164 Ibid., suite de la citation: « One must, however, consider whether the bit-hilani complex with its monumental

sculpture and central location is not more reasonable as a cult center. The housing projects that surround it may have served for pilgrims during brief visits for ceremonies conducted on a sacred mountain, closer to the sky and the gods ».

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Au sud du Göllüdağ se trouve un autre site fortifié, Tepebağları/Niğde, se présentant

sous la forme d’une petite colline de 28 m de haut et de dimensions réduites (75 x 60 m)165. Les fouilleurs ont mis au jour les vestiges d’une fortification associée à de la céramique datable du VIIIe s., le tout appartenant la phase IV du site. Sur la terrasse nord de la colline, une maison constituée de pierres et de briques a été dégagée et a livré de la céramique du début de l’époque phrygienne ainsi que des tessons issus de vases de production locale. Il y aurait deux phases d’occupation « phrygienne » sur ce site dont l’organisation complète reste méconnue. En tous les cas, l’établissement de Tepebağları semble avoir été d’une importance

réduite et s’apparente davantage aux petits sites de la boucle de l’Halys qu’aux gros centres urbains de Cappadoce.

Le site de Porsuk-Ulukışla est un höyük de grande taille (400 x 200 m) et haut de 20 à 30 m qui a livré une longue séquence d’occupation remontant au moins à l’âge du bronze (fig. 120-123)166. Les quatre chantiers ouverts sur le site ont permis d’identifier une importante occupation datant de l’âge du fer moyen pendant laquelle la population a réutilisé et reconstruit les fortifications de l’époque hittite en modifiant parfois leur tracé. La phase la plus ancienne du rempart pourrait remonter soit au IXe s., soit au VIIe s.167 Ces défenses ont été mises au jour en plusieurs points de sorte qu’il y a tout lieu de penser que l’établissement était doté d’une enceinte complète168. Trois niveaux d’habitat superposés ont également été identifiés en dessous de ce système de fortification169. Considérant la taille du site, la mise en place d’un grand mur de fortification, remanié plusieurs fois, et sa situation géographique « en bordure de la grande voie de communication qui relie à travers la chaîne du Taurus le plateau anatolien à la plaine de Cilicie »170, le site était probablement d’une grande importance et semble avoir joui d’une grande prospérité à l’âge du fer, particulièrement pendant la période d’Alişar IV171.

Nous nous contenterons seulement de mentionner le site de Tyana/Kemerhisar localisé entre Porsuk et Göllüdağ, duquel nous ne connaissons absolument rien à l’âge du fer,

165

Özgüç, 1973, 442-443; Çinaroğlu, 1976, 216-218, Mellink, AJA 77 à 82.

166 Sur les fouilles de Porsuk, voir Pelon, 1970, 279-286 ; 1972, 301-317 ; 1992, 305-347 ; 1994, 157-162. Pour

un résumé de la stratigraphie du site à l’âge du fer, voir Crespin, 2001, 182-183.

167 Pelon, 1970, 286 ; 1994, 157-162. 168

Crespin (2001, 182) suggère que le site a pu comporter une citadelle et une ville basse comme à Alişar. Ceci

reste à confirmer.

169 Pelon, loc. cit. 170 Ibid., 1992, 305. 171

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d’un point de vue archéologique . Il devait être le centre d’un des royaumes d’Anatolie centrale dans le dernier tiers du VIIIe s.172 Il ne reste rien du site de l’âge du fer du fait de l’importante urbanisation à l’époque romaine. Il est peu probable que cette cité, siège probable d’un roi et point de passage quasi obligatoire entre la Phrygie et le sud-est de anatolien, n’ait pas été fortifiée et dotée d’un palais, ou au moins d’infrastructures soulignant son rang de capitale provinciale. L’image n’est pas plu claire à Alâettintepe/Konya173. Les quelques sondages qui y ont été effectués ont révélé la présence d’un habitat associé à de la céramique datable du VIIIe s. présentant des affinités avec le matériel de Gordion mais aussi d’Alişar IV174. Aucune fortification n’a été découverte et il n’existe aucun plan des vestiges à notre connaissance.

Le site de Kızıldağ se trouve dans la région de Konya, dans la partie nord du massif du Karadağ (fig. 124-126). Il semble avoir eu une importance très particulière après la chute

de l’empire hittite175. En effet, il aurait été le centre d’un royaume louvite, celui du grand roi Hartapu, dont le nom est connu grâce à une série de monuments inscrits découvert sur le site176. L’établissement sur le Kızıldağ pourrait être le lien le plus direct entre la fin du règne

des Hittites et le début de celui de leurs successeurs177. Les vestiges de l’âge du fer sont connus grâce à une série de prospections178. Le plan d’un mur de fortification de forme circulaire et de 90 m de diamètre a été dessiné à l’occasion de ces nouveaux travaux. L’enceinte était munie de nombreuses tours circulaires. Selon toute évidence, deux murs de fortifications sont superposés. La datation de la céramique s’échelonne entre l’âge du fer et l’époque romaine mais l’analyse des tessons ne permettrait pas de faire remonter l’occupation à la fin de l’époque hittite. Quant aux murs de fortification, une datation est pour l’instant impossible. Il semble évident que la dernière phase de construction est tardive du fait de la forme des tours, tout à fait inconnue dans l’architecture au début du premier millénaire. Pour la construction précédente, il n’existe encore aucune proposition de datation mais elle pourrait dater du début de l’âge du fer.

172 Berges, 1996, 226-227 ; Börker et Berges, 1997, 17-26. 173

Le site est maintenant un parc dans le centre de Konya. Les fouilles ont été réalisées par R.O. Arık en 1941.

174 Akurgal, 1955, 8-14, et pl. 21-22 ; Sams, 1994, XXIX et n.3 ; Wittke, 2004, 298. Sur la céramique de l’âge du

fer dans les environs de Konya, voir Bahar, 1999, 1-10.

175 Greaves et Helwing, 2001, 493-494. 176

Trois monuments mentionnant le grand roi Hartapu ont été découverts sur les sites de Kızıldağ et Karadağ qui

sont voisins. Sur des bases épigraphiques, le monument est daté du XIIe s. Harmanşah, 2009, 638. Sur les

inscriptions de Kızıldağ voir en particulier Hawkins, 1992, 259-274.

177 Bryce, 2003, 93-97. 178

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