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Travestissement de l’Antiquité

Chapitre 2 : Aventures ou écritures burlesques ?

I. Travestissement de l’Antiquité

Avant la thèse de Francis Bar, le burlesque était considéré comme « subalterne ». Sans doute, une couche de poussière cachait le sourire sournois, ironique, débonnaire de Scarron, de Richer et de Dassoucy, mais leurs écrits ont été réhabilités grâce à la force de leurs travestissements. Dassoucy publie une trilogie burlesque, en 1648, Le Jugement de Pâris en vers burlesques ; deux ans plus tard l’Ovide en belle humeur, et enfin Le Ravissement de Proserpine en 1653. C’est à ces poèmes burlesques que nous nous arrêtons, pour étudier les traits caractérisant son œuvre et ses apports.

Le Jugement de Pâris, réécriture des Héroïdes d’Ovide, est à considérer comme la deuxième écriture burlesque après Le Virgile travesti de Scarron. Dans le mythe, Pâris, fils de Priam, roi de Troie, et d’Hécube, est abandonné dans la forêt à cause du rêve de sa mère annonçant l’embrasement de Thèbes. Pâris, berger, a été choisi par Zeus afin d’offrir une pomme en or à la plus belle des déesses lors du mariage de Thétis et de Pélée. Athéna, Aphrodite et Héra proposent à Pâris chacune ses pouvoirs. Le jeune homme, tenté par l’amour de la plus belle des femmes, désigne Aphrodite. Jalouses, les deux autres déesses s’acharnent contre lui et, lorsqu’il enlève Hélène, femme de Ménélas, il provoque la guerre de Troie. Se réalise alors la prophétie de la naissance de Pâris, puisque cette dernière guerre a pour conséquence la fin de sa cité.

Concernant Le Jugement de Pâris en vers burlesques de Dassoucy, l’accueil triomphal de l’époque et ses différentes rééditions69

69 La première parution de l’ouvrage a eu lien en 1648, la première réédition en 1659, d’autres en 1664 et

en 1668.

prouvent sa richesse. Scarron considère Dassoucy comme un bel esprit. Il a sans aucun doute raison puisque notre auteur est connu par sa culture grecque et latine. Afin de traduire l’œuvre d’Ovide, en général, et Le Jugement de Pâris en particulier, il recourt à la traduction de Nicolas Renouard. Parce que l’écriture burlesque nécessite un texte antérieur, Dassoucy a l’ambition de créer une nouvelle œuvre à partir de l’héritage très connu. Son objectif est

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aussi de montrer que le travestissement n’est pas une simple reprise mais qu'il est en réalité une métamorphose, une transformation de la matière classique.

Dans Le Jugement, dédié à Hugues de Lionne, Dassoucy opère beaucoup de transformations par rapport à sa source. Il supprime la louange de Vénus ainsi que l’épisode consacré à Œnone ; il écarte les représentations des robes des déesses, et ainsi il s’oppose à la tradition ; il pratique les digressions avec modération en préservant des dimensions bien calculées aux textes. Mais, il maintient parfois quelques procédés, comme l’amplification. Dassoucy précise sa conception du burlesque :

[…] outre cela, ce n’est pas encore assez qu’il soit fin dans ses pensées et plaisant dans ses rencontres, il faut qu’il […] suive de bien prés l’héroïque, non seulement dans la pureté de la diction, mais dans la force de l’expression. (AI, 289, éd. Colombey)

Le choix de l’octosyllabe, de la rime plate, de l’oscillation permanente entre les tons sérieux et comique dans ses représentations de Pâris et des déesses justifie son statut d’empereur du burlesque. Son texte, n’est pas une simple bouffonnerie, d’après les déclarations de Cyrano, puisqu’il prouve qu’il est capable d’employer le langage des divinités aussi bien que celui des Halles. Il représente les divinités dans le premier chant de son Jugement en insistant sur la discorde entre Athéna, Héra et Aphrodite par la multiplication des non-dits, des équivoques, de la grivoiserie. Il les humanise de la sorte et les prive de leurs dimensions divines au moyen de cette image :

Les neuf Muses au cul croté, Qui chemise en dos n'avoient mie; D'autant que, Commere ma mie, Brin n'estoit encore en ce temps

De Harcours, ny de Sainct-Agnans. (JP70

70Le Jugement de Paris en vers burlesques, v80-84

http://www.poesies.net/charlescoypeaudassoucylejugementdeparis.txt )

Après la discorde, le poète représente les Dieux jouissant des plaisirs de la vie sur l’Olympe. Animés par l’ambiance de la fête du mariage de Thétis et de Pélée, ils profitent, chacun à sa manière, des festivités :

Mercure y joüoit de la harpe, Glauque y faisoit le saut de carpe, Jupin y joüoit au billard,

Cupidon à colin-maillard. Les Graces à cligne-musette, Et leur Mere à criconcriquette. Mars y joüoit de l'espadon, Dont s'effrayoit Poule et Dindon. Le bon Bachus joüoit du flasque: Appollon du tambour de Basque. Diane y chassoit Biche et Fan,

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Cottes y troussoit le Dieu Pan Les Amours y joüoient à courre,

Et le Dieu Vulcan à la Mourre (JP, v. 245-258)

Il s’agit ici d’une amusante reprise des divinités par rapport au texte initial. En réalité, l’accumulation des noms des Dieux, doublée par la multiplication des moyens de divertissement de chacun, traduit sur le mode comique et trivial la diversité d’une fête divine. En plus, quand on dit en poésie que les Amours jouent, ce n’est pas sans connotation érotique selon Furetière dans son Dictionnaire universel. Toujours d’après Furetière, la Mourre est un

Jeu fort commun en Italie, que deux personnes jouënt ensemble, en se montrant les doits en partie eslevez, et en partie fermez, et en devinant en même temps le nombre de ceux qui sont eslevez. Les gens qui n'ont rien à faire jouënt à la mourre pour passer le temps. Le jeu et le nom sont venus d'Italie, où on l'appelle morra.

Ainsi les deux derniers vers témoignent de l’oisiveté ridicule que Dassoucy attribue aux Dieux.

D’autres figures dans le portrait de Pâris témoignent de la volonté de Dassoucy de trivialiser le monde antique :

[…] tantost chantant à voix plaine Mirlaridon, laridondenne:

Ausquels chants alloient respondans Mille echos mirlaridondans:

Mais pour lors dans un antre-sombre, Le beau Pâris estant à l'ombre

Ne mirlaridondinoit rien (J.P. 173-179)

Le refrain « mirlaridondans » suggère une parenté avec Rabelais. Jean Leclerc souligne la ressemblance entre les idées des deux auteurs: « En opérant une contamination des textes nobles antiques par le réalisme de la place publique et de la foire, le travestissement se rattache à l’esprit carnavalesque, à la tradition gauloise et rabelaisienne. »71

Dassoucy est un véritable virtuose de la langue et de ses effets musicaux dans le vers, et plusieurs chercheurs ont contribué à réhabiliter cet auteur parmi les grands techniciens du vers français du XVIIe siècle.

. Il affirme aussi que

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Dans ces récits burlesques, l’écriture s’oppose à celle des auteurs classiques. Dassoucy accumule plusieurs procédés qui nous éclairent sur son style, nous aident à interpréter son texte et à comprendre ses intentions profondes.

71 Jean Leclerc, op.cit, p. 288. 72 Ibid. , p. 252.

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