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Contexte d’émergence du burlesque

Chapitre 2 : Aventures ou écritures burlesques ?

I. Contexte d’émergence du burlesque

Par rapport aux œuvres de la littérature classique, le burlesque peut sembler problématique : s'agit-il d'un courant littéraire ? d'un style ? d'un langage ? Qu’est-ce- que le burlesque ?

En 1649, Gabriel Naudé déclare que le burlesque n’est qu’une mode. En 1652, Paul Pellisson exprime sa méfiance à l’égard de cette écriture dans son Histoire de l’Académie française: « Cette fureur de burlesque, dont à la fin nous commençons à guérir, étoit venue si avant, que les libraires ne vouloient rien qui ne portât ce nom […]. »54

Les critiques modernes ne dédaignent pas ce courant: Antoine Adam refuse de le reléguer en marge d'une littérature classique, doctrinaire et académique, comme une littérature condamnée à l’envers du Grand Siècle.

. Si les critiques classiques ont bien considéré le burlesque comme une mode dérisoire de l’époque, la recherche récente en a exploré les différentes facettes.

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Paul Pellisson-Fontanier, Histoire de l’académie française, 1989, vol. I, p. 79-80.

55 Jean Leclerc, L’Antiquité travestie et la vogue du burlesque en France (1643-1661), op.cit., p. 28. et A.

Adam, Histoire de littérature française du XVIIe siècle, collection « Bibliothèque de l'Évolution de

l'Humanité », Éditions Albin Michel, 1997.

De plus, Dominique Bertrand, estime que les parodies burlesques, à l’instar du Virgile travesti de Scarron, qui se présente comme une tentative de reprise burlesque d’un texte antique, ne définissent pas

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un genre à part. Le burlesque soulève donc une véritable difficulté de définition et d'étude. C’est ainsi que, la même critique présente cette thématique :

Si l’esthétique burlesque constitue une des manifestations les plus éclatantes de « la seconde main », elle relève aussi de la difficile théorisation des genres comiques. Une première distinction s’impose entre les procédures intertextuelles, dans la lignée du travestissement, et un esprit burlesque plus diffus, qui inclut des procédés variés de comique outré et trivial, de dissonance et d’autodérision.56

Une entreprise telle que la définition du burlesque repose sur des hypothèses qui restent à expliciter. A l’origine, le terme « burle » ou bien « bourle », emprunté à l’italien burla, avait pour signification « plaisanterie ». Quant au mot « bourrelesque », provenant lui aussi de la langue italienne, il avait pour sens le ridicule ; l’évolution du terme à travers l’histoire ne l'enlève pas au champ lexical du comique, de la bouffonnerie outrée, de ce qui se présente comme plaisant par bizarrerie ou grotesque et loufoque. Il constitue un genre parodique dont la pratique remonte à l’Antiquité: Homère et Sénèque en donnent d'excellents exemples

Le texte burlesque est souvent une parodie dont la définition générique n’est pas précise. Par l’analyse de l’œuvre de Dassoucy en général et de ses Aventures burlesques en particulier, nous tenterons toutefois de démontrer que l’épithète trouve un autre sens et se dote d’une autre dimension. Il importe donc d’orienter notre critique vers cet autre volet générique. Pour ce faire, nous nous proposons dans un premier temps de présenter une définition du terme, du genre et du style sans oublier un bref aperçu historique du burlesque. Nous avons aussi pour objectif de mettre l’accent sur les différentes manifestations du burlesque chez Dassoucy afin de préciser qu’il pénètre, avec cette écriture, au cœur de l’univers culturel, religieux et politique du XVIIe siècle.

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En effet, les critiques cherchent à établir le champ lexical du « burlesque »: on cite grotesque, carnavalesque, ridicule, extravagant et comique. De surcroît, de nombreux critiques se sont penchés sur la question pour montrer qu’il ne s’agit pas seulement d’un style mais aussi d’un genre d’écriture. Pour Boileau, qui est considéré comme l’un des fondateurs et protecteurs de l’esthétique classique, le burlesque vient s’opposer à l’ordre, à la raison et à la clarté du Grand Siècle. Il est question de « la lutte d’un esprit

.

56 Dominique Bertrand, Poétiques du burlesque, op.cit., p. 9.

57 Nous citons à titre d’exemple les œuvres d'Homère (Batrachomyomachia, Margitès, Hymnes

homériques) et de Sénèque (Apothéose burlesque du César Claude) qui sont des exemples de la pratique

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contre un tempérament », l’esprit étant « raisonnable », le tempérament « passionné »58. On comprend ainsi que le classicisme n’est que l’une des facettes de la littérature du XVIIe siècle: l’idée que la critique s’est faite de la période classique n’est qu'un stéréotype puisque cette époque a aussi connu l’apparition d’une littérature baroque portant l’étendard de l’irrégularité. Nous rappelons ici l’importance des travaux de Claudine Nédelec59

Ce climat littéraire, joint à des influences étrangères, a favorisé le développement d’un genre plaisant, très libre dans ses procédés stylistiques, et qui utilise un vocabulaire très riche et varié : c’est notre genre burlesque

. Dans cet ouvrage, elle explique la valeur littéraire et la poétique de l’argot dans le monde des marginaux, elle accorde en plus de l’intérêt au langage codé, subversif, et à ses rapports à la société.

Parlant de la présence du burlesque dans ce foisonnement thématique aussi bien que générique, Francis Bar, déclare

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Nous aborderons d'abord la réception du burlesque au XVIIe siècle, qui a été pratiqué pour la première fois par Scarron. Son l’œuvre a été l’objet d’investigation de nombreux critiques, qui signalent que des influences de la littérature espagnole et italienne y sont à relever: il s’agit parfois d’imitations de Lope de Vega. Saint-Amant, à son tour, imite Gongora et prend l'Italien Alessandro Tassoni pour modèle. L’auteur du Passage de Gibraltar (1641) s’inspire aussi des poèmes de Francesco Berni

.

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. Antoine Adam définit le burlesque comme «l’enrichissement du badinage marotique par des apports transalpins.»62. Francis Bar tombe d'accord sur ce point: « Quoi qu’il en soit, bien des caractères qui sont ceux des poèmes burlesques en vers français se trouvaient déjà dans les œuvres analogues des Italiens, et selon toute vraisemblance, proviennent de l’imitation de ces œuvres… »63

Mais dire qu’un texte est burlesque, ce n’est pas le définir, comme de dire que ce texte est un texte narratif, on relève de la tragédie régulière, où est rédigé en « style

.

Ainsi la définition, du burlesque n’est pas simple. De son côté, Claudine Nédelec affirme :

58 G. de Reynold, Le XVIIe siècle. Le classicisme et le baroque, Montréal, 1944, p. 125.

59 Le langage de l'argot - de "la vie genereuse des mercelots", "gueux et bohemiens" aux "mysteres de

paris" (1596-1842) par Claudine Nédélec Delezoide, Thèse de doctorat en Littérature française, Sous la direction de Alain Viala, Soutenue en 1992, à Paris 3 .

60 Francis Bar, Le Genre Burlesque en France au XVII e siècle, Editions D’ARTREY, Paris, 1960, p. XI. 61 Ibid. , p. XX.

62 Ibid., p. XIX. 63 Ibid., p. XXI.

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bas » - le burlesque est ni un type, ni un genre, ni vraiment un style, il est de l’ordre relatif, voire subjectif du registre, de la tonalité.64

La vogue du burlesque en France au XVIIe siècle soulève un certain nombre de questions et d’interrogations ; en effet, le recours à un style bas contrariant les règles imposées par l’Académie française et aussi le travestissement de l’Antiquité sont une tendance à l’époque située entre 1643 et 1661

En effet, l’explication d’un texte en tant que burlesque nécessite une opposition aux différents codes esthétiques: y sont prônés le trivial, le bas et l’extravagant aussi bien qu’une reprise du genre et du style. Il importe dans ce contexte d’étudier le contexte d’émergence du burlesque afin de comprendre ses différentes manifestations dans l’œuvre de Dassoucy.

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. Le contexte social et culturel de la fin du règne de Louis XIII et du début de la Régence d’Anne d’Autriche favorise la tradition de réécriture bouffonne des chefs d’œuvre gréco-latins. L’instabilité politique de la Régence, période du rééquilibrage des pouvoirs entre l’autorité royale et les grandes familles féodales, connaît son apogée avec les événements de la Fronde. En réalité, la mort de Richelieu et celle de Louis XIII ainsi que la période de la Régence provoquent des oppositions, des discordes, voire des révoltes menées par toutes les catégories sociales.

Ces événements ont aussi concerné les auteurs qui ont été privés de leurs pensions et de leurs récompenses par la mort de Richelieu, si bien qu’ils étaient amenés à se mettre au service des nobles. Se forment alors le clan des érudits et celui des adversaires du pédantisme. Ces derniers, comme Scarron, Balzac, Ménage, Cyrano et Dassoucy s’opposent au pédantisme de Voiture et de Sarasin: d’une part, ils montrent leur engouement pour l’Italie antique et, d’autre part, ils exaltent la grandeur de l’héritage antique sur un ton moqueur. Au moment de l’apparition des mazarinades, et grâce à la publication du sonnet de Scarron, qui s’est opposé à la culture italienne par son imitation de Lope de Vega, nous assistons à l’apparition du premier burlesque. La première utilisation du terme est due à Chapelain dans sa correspondance avec Balzac. Il dit :

http://dossiersgrihl.revues.org/329. Voir aussi son ouvrage: Claudine Nédélec, Les Etats et empires du

burlesque, Paris, Honoré Champion, 2004.

65 Voir Jean Leclerc, L’Antiquité travestie et la vogue du burlesque en France (1643-1661), Paris,

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Mr d’Ablancourt, qui estoit de nostre trouppe, nous fit voir une lettre que vous escrivistes, le mois de septembre dernier, à Mr de la Thibaudière en stile familier et burlesque qui nous sembla très digne de vous. 66

En dépit de l’intérêt que la société bourgeoise accorde aux publications burlesques, cette nouvelle tendance arrive au déclin avec la publication des Lettres

Le Recueil de quelques vers burlesques de Scarron met le burlesque à la mode. En effet, après le succès du Virgile travesty, Du Fresnoy tente d’achever la réécriture de l’Enéide avant Scarron. Il publie son ouvrage en 1649, en même temps que le fameux « blocus de Paris ». Quant à Antoine Furetière, il arrive à devancer Scarron, ayant lancé le défi de terminer ses travestissements de Virgile en douze mois, en accordant un mois à chaque épisode de l’œuvre antique, et de publier avant lui L'Enéide travestie, livre quatrieme contenant les Amours d’Aenee et de Didon. Scarron abandonne la partie et mène une « querelle littéraire » avec Cyrano pendant les événements de la Fronde.

Quelques années plus tard, Richer reprend l’œuvre d’Ovide et s’inscrit dans la tradition du divertissement par le truchement de vers burlesques. L’un des premiers travestissements des Métamorphoses est dû à Richer, qui publie l’Ovide bouffon en 1649 bien avant l’Ovide en belle humeur de Dassoucy. En effet, c’est Ovide qui était le plus à la mode après Virgile puisque la reprise de ses Métamorphoses était plus facile. La Barre Mateï publie en 1650 L’Heratotechnie, ou L’art d’aimer d’Ovide en vers burlesques.

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Ce n’est pas que je n’estime son jugement d’avoir choisi pour escrire un style moqueur, puisqu’en vérité escrire comme il fait, c’est se mocquer du monde, car de m’objecter qu’il travaille d’une façon où il n’a personne pour guide, je vous l’advoue, mais aussi par vostre foy, n’est-il pas plus aysé de faire L’Enéide de Virgile comme Scarron, que de faire L’Enéide de Scarron comme Virgile ?

de Cyrano en 1654. La lettre où ce dernier discrédite l’œuvre burlesque de Scarron porte-t-elle l’attaque contre tout le mouvement burlesque ? Il importe dans ce contexte de lire attentivement ce passage de la lettre :

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Le ton ironique de ces propos prédomine encore dans la lettre adressée à Dassoucy qui engendre la rupture entre les écrivains, une querelle littéraire et la fuite de Dassoucy de Paris. Chapelain et Balzac s’opposent à ce qu’ils appellent le « mauvais burlesque ». Néanmoins, les lecteurs s’y intéressent à cause de la publication du Juvénal burlesque

66 Jean Chapelain cité par Jean Leclerc dans L’Antiquité travestie et la vogue du burlesque en France

(1643-1661), op.cit, p. …

67 Savinien de Cyrano de Bergerac, Les Lettres, Œuvres complètes de Cyrano de Bergerac, Paris, Honoré

Champion, 1921.

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de Colletet en 1656, dédié à Saint-Aignan. En 1660, la réédition de l’Ovide en belle humeur de Dassoucy ne justifie pas seulement le retour du mouvement mais aussi la dimension poétique et artistique d’une écriture dont l’héritage antique constitue la principale source d’inspiration. C’est une écriture située au confluent de la littérature entre de la pensée classique et les chefs-d’œuvre latins.