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Les rapports de Dassoucy à l’espace

I. Les voyages de Dassoucy

1. Les rapports de Dassoucy à l’espace

Comme le montrent les textes de notre corpus, l’espace recèle une particularité double ; car il peut être représentation, lorsqu’il accueille le déplacement du personnage, mais aussi expression dans la mesure où il peut refléter l’expérience scripturale de Dassoucy. Etudier les rapports de l’auteur et du narrateur à l’espace dans Les Aventures et les prisons, c’est examiner d’une part une plénitude sensorielle, voire une complémentarité, et d’autre part une rupture avec l’espace parcouru.

Autant par la présentation du parcours du voyageur que par l’énumération des obstacles auxquels il fait face, les Aventures donnent l’image du picaro errant et nous permettent aussi de saisir son statut dans la société et dans la littérature. Mais avant de nous engager dans cette perspective et montrer comment l’espace et, en particulier, les villes traversées contribuent à la compréhension du parcours du voyageur, nous devons rappeler qu’au Moyen Age, des aménagements, comme la construction de rues, de places et de quais, ont déjà été effectués à Paris, la ville de départ de Dassoucy. C’était cependant une période de trouble sous les règnes de Charles V, de Charles VI, et de Charles VII, où l’évolution spatiale n’était pas considérable. Ce n’est qu’au XVIe siècle que la ville trouve son essor. Il s’agit d’une époque d’expansion où ont été érigés les hôtels de Montmorency, de Guise, de Lorraine et d’Angoulême. L’urbanisation augmente au XVIIe lorsqu’Henri IV se donne comme projet l’aménagement du Marais, et, notamment de la place Dauphine, de la place Royale, de la place de France ainsi que de l’île de la Cité et du Louvre. La ville, en tant qu’espace en gestation, avait donc un statut privilégié dans la vie sociale et dans la littérature romanesque.

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Cependant, Dassoucy voit en la ville une source d’ennuis de toutes sortes et la quitte au début des aventures en disant :

J’étais si las de traîner mes guêtres dans Paris, et de la puanteur de ses boues, que sans me souvenir du bœuf salé de la ville d’Anvers, et du bon vin de Chablis, il me semblait, à la sortie du quai de Saint Paul, que je sortais du petit Châtelet. [c’est à dire de la prison] (AMD, 106)

De nombreux passages dans les Aventures, sont, eux aussi, fortement marqués par le désir de voyage, comme lors de l’arrivée à Auxerre :« […] je rentrai glorieux et triomphant dans le coche d’Auxerre où, le même soir étant arrivé, je disposai toute chose pour la continuation de mon voyage. » (AMD, 141) Le voyage en bateau45

Et comme un précipice attire l’autre, ayant ouï dire qu’il y avait dans Avignon une excellente voix de dessus dont je pourrais facilement disposer, au lieu de suivre par le col de ses montagnes cet agréable torrent qui mène à Turin, je m’embarquai avec Molière sur le Rhône, qui mène en Avignon, où, étant arrivé avec quarante pistoles de reste de débris de mon

est pour Dassoucy une occasion de changer de lieu et de faire de nouvelles connaissances. D’ailleurs, une comparaison entre l’état d’âme du voyageur avant qu’il ne parte et après son arrivée à Auxerre, constituant sa première escale, est très révélatrice. La lassitude cède, en effet, à la joie, dont le mouvement est à la seule cause.

Ce trajet ontologique, qui lui permet de s’enrichir et de prendre conscience de soi, se poursuit à Lyon : « Le lendemain, suivant la coutume de nos bateliers, nous partîmes dès la pointe du jour, où je ne vis plus paraître ni le pédant échaudé, ni l’homme à l’ours, et, le jour suivant, j’arrivai à Lyon, qui au respect de Paris, me parut […] un très beau village ». (AMD, 201) La trajectoire excessivement complexe de Dassoucy ne souligne pas seulement la rivalité entre les deux grandes villes françaises mais sert encore à mettre en évidence le travail de l'écriture du voyage qui traduit son récit.

Deux villes l’ont essentiellement marqué : il s’agit de Montpellier et surtout d’Avignon. Pour ce qui concerne la première, il y a séjourné pendant trois mois en prison et il y revient après son incarcération comme pour se défendre des calomnies : c’est une des raisons primordiales qui l’amènent à écrire les Aventures. Il dit : « […] Pierrotin, [ …] n’eut pas de peine, durant six semaines que je demeurai à Montpellier, de me rendre l’objet de la haine publique » (AMD, 235). Commencent alors les périples de Dassoucy, surtout lorsqu’il se met à savourer les plaisirs du vin et du chant et ne cesse d’errer au lieu d’avancer et de continuer son voyage. Il affirme pour décrire son arrivée à Avignon:

45Il faut dire qu’au XVIIe siècle, le coche est un bateau servant à transporter les voyageurs de Paris à

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naufrage, comme un joueur ne saurait vivre sans cartes non plus qu’un matelot sans tabac, la première chose que je fis, ce fut d’aller à l’académie. (AMD, 205)

Dassoucy a une affinité particulière avec la ville d’Avignon ; il y retourne :

Mais comme un vaisseau qui a le vent contraire ne saurait entrer dans le havre, quoiqu’il soit tout voisin du port, je pouvais bien contempler ses montagnes comme les hyperboles que l’on découvre de loin, mais qu’aucun mortel n’a jamais pu franchir. Car ne pouvant éviter de repasser en Avignon, qui était la pierre d’achoppement qui s’opposait à mon passage, je n’y fus pas plutôt arrivé qu’au lieu d’aller droit à la boutique de mon marchand linger, pour y employer en rabats et en chemises trente pistoles qu’au moins j’aurais eu de reste en marchandise, je fus tout droit en cette synagogue, où véritablement je ne fus pas dépouillé comme la première fois par les sieurs Moïse et Melchisédech mais par un autre grand juif nommé Mercada, que je trouvai aux prises avec le pauvre Monsieur de Mondevergues, qui, étant déjà aux agonies, après plusieurs coups d’estramaçon qu’il reçu dans ce combat, acheva quasi à même temps d’expirer avec moi par les puissantes mais de ce vaillant hébreu. (AMD, 255, 256)

Par le voyage, Dassoucy découvre ses relations avec l’espace et développe une conscience de son être. Mais il fait face à des obstacles qui l’empêchent de poursuivre son itinéraire. Le thème de l’obstacle est inhérent à son œuvre et il est un élément fondamental pour notre analyse. Bien qu’au début du roman, ce cavalier errant ne fasse aucun doute sur son objectif d’arriver à Rome, il fait des montagnes séparant la France et l’Italie un prétexte pour revenir à Avignon :

Puis refoulant aux pieds de mes chevaux le même chemin ou le temps, en l’honneur de mes Muses, conservait encore bien précisément les vestiges des semelles de mes souliers, je repassai en Arles, non sans y boire de ce vin de Cros qu’on appelle vin de pierre à fusil ; et puis en Avignon, où, me ressouvenant des grandes peines que ces admirables dégraisseurs de bourses avaient prises par deux fois à me dégraisser la mienne, pour ne demeurer ingrat à leurs soins, je leur voulus laisser quelques marques de ma reconnaissance dans ce sonnet… (AMD, 273)

Le narrateur-personnage est souvent animé par un désir de découverte, ce qui compte pour lui, c’est d’avoir de l’argent afin de satisfaire ses envies et d’avancer dans ses aventures. D’ailleurs, il fait preuve des qualités d’un véritable picaro en se comportant de la sorte puisque « […] ni la qualification d’autobiographique, ni celle de réaliste ne suffisent à classer un ouvrage dans la littérature picaresque. Il faut pour cela que le personnage principal soit un véritable vaurien qui ne recule devant aucun obstacle pour gagner sa vie. » 46

Etant un peu revenu de ma défaillance, et ayant le gousset encore une fois assez bien garni, n’étant qu’à quatre lieues d’Orange, je voulus aller voir cette forteresse, où après avoir passé quelques jours avec le comte Donat, et y avoir été régalé d’une bague de vingt pistoles, je repris

Il continue son voyage et s’arrête à Orange pour décrire sa peur des montagnes :

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encore mon chemin devers les monts ; mais hélas ! qu’un homme qui veut passer les monts est éloigné des monts ! (AMD, 259)

Les dernières aventures de Dassoucy ont lieu à Béziers :

Je fus donc à Béziers, où je ne tardai guère à connaître que j’étais tombé de fièvre en chaud mal.

Cette ville est très belle et bonne, Son muscat très bel et bon ; Elle est gentille, elle est bouffonne, Et, dans mainte honnête maison, Mainte noble et riche personne Y plume la poule et l’oison. (AMD, 268)

Il ne retrouve une certaine stabilité qu’à Aix-en-Provence, où il déclare : « je fus à Aix [… ] Ce fut en cet endroit que je commençai à devenir plus sage… » (AMD, 274). A l’approche de son objectif, Dassoucy voit la nécessité d’être raisonnable et ce avant d’arriver à Marseille :

D’Aix je fus à Marseille sur de très bons chevaux de relais, qui, moyennant vingt-cinq sols, me firent faire cinq lieues fort gaillardement à pied. Je vis donc ma chère et bien aimée Marseille pour la troisième fois, que j’aime mieux ni que mon cœur ni que mes yeux ; Marseille, ville sans pareille, où je fus jadis amoureux… (AMD, 274)

La première partie des Aventures se termine par l’arrivée de Dassoucy à Marseille. Ses entreprises téméraires italiennes commencent à Toulon :

Je dirai donc qu’autant lassé de la fumée des sardines que la senteur du goudron de Marseille, pressé du désir de revoir le séjour de mes dieux, je quittais les Néréides et les Tritons pour traverser la basse Provence, et passer ces merveilleuses barrières, qui des deux plus beaux climats du monde font l’admirable séparation. Et, pour cet effet, monté comme un saint George, sur des chevaux de pas, je dirigeai les pas de mes grands chevaux vers la ville et port de Toulon. (AI, 313)

Antibes constitue, quant à elle, la dernière ville française visitée par Dassoucy avant qu’il n’arrive à Turin : « Cet honnête voleur étant parti très content de moi, et moi très content de lui, je poursuivis mon chemin, et étant arrivé à Antibes à la dînée, j’aperçus dans l’hôtellerie un homme à qui un bandage qu’il avait à la tête n’empêchait pas de jouer fort gentiment des mâchoires. » (AI, 329) Les voyages de Dassoucy dans ces différentes villes se trouvent toujours marqués par des imprévus, par des événements inattendus auxquels le voyageur doit faire face.

Etant arrivé à Turin et descendu de cheval, à peine avais-je fait deux pas dans la rue que je trouvais un homme qui était fort imbu du mérite de cette Gazette qui m’avait réduit en cendre, que dans cette rencontre inopinée qui le fit pâlir et puis chanceler, peu s’en fallut qu’il ne tombât de son haut à la renverse, croyant sans doute que je fusse quelque fantôme ou l’âme vengeresse des mauvais offices qu’il avait autrefois rendus dans cette Cour. (AI, 339)

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Ayant passé beaucoup de temps en voyage vers l’Italie, Dassoucy est victime de rumeurs qui circulent sur sa mort. Cependant, son voyage est pour lui une façon de prouver sa vie. Il focalise sur le déplacement afin de résister aux calomnies. D’ailleurs, l’expression rapportant l’expérience spatiale sert à insister sur l’utilité du déplacement.

A la lecture des Aventures de Dassoucy, nous percevons une prédilection pour le voyage, comme tentation d’un ailleurs géographique inconnu qui caractérise l’éthos du personnage principal. Dans ce cas, le mouvement entre les villes nous paraît assez représentatif d’une plénitude sensorielle illustrée parfaitement par la multiplication des expériences.