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L’affaire de Montpellier

DEUXIEME PARTIE Dassoucy le libre penseur

Chapitre 1 : Le libertinage des mœurs

II. « Le parfum des rumeurs »

1. L’affaire de Montpellier

. En réalité, l’ « empereur du burlesque », dont les travestissements concurrencent ceux de Scarron, est déchu à cause du scandale de son homosexualité. Ses relations équivoques sapent sa réputation et ses contemporains s’accordent ainsi à le situer à mi-chemin du poète et du rebelle et à voir dans ses écrits des péchés au lieu d’audaces esthétiques. Ses relations occupent une place charnière dans son œuvre et permettent de saisir la singularité de son héroïsme picaresque.

Le voyage de Chapelle et de Bachaumont est tout d’abord une forme d’expression de la liberté des mœurs. Ils y relatent leur amitié avec Dassoucy et avec Cyrano. Celle-ci n’est pas abordée de la même manière chez les différents auteurs. Evidemment, le parti qui accuse ne l’entend pas de la même oreille que la partie victime. Mais, il importe de

12 Dassoucy, Les Aventures et prisons, édition critique par Dominique Bertrand, op., cit., p 16.

13 Chapelle et Bachaumont, Voyage à Encausse, édition critique établie par Laurence Rauline et Bruno

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préciser que Dassoucy a déjà parlé des versions différentes de chaque histoire dans ses Rimes redoublées :

Lecteur pieux et charitable Use ici de ta charité Chapelle t’en a bien conté,

Dassoucy t’en fait le semblable. (RR, 104)

Nous commençons notre commentaire par l’objet des calomnies, à savoir Dassoucy. Après avoir expliqué la sottise du peuple, vient le douzième chapitre des Aventures burlesques. A Montpellier, Dassoucy raconte l’épisode de la discorde entre Pierrotin et la femme du colonel B. Cette bourgeoise montpelliéraine espère conquérir le page, qui préfère Madame Royale de Turin. Se sentant blessée, l’épouse du colonel décide de se venger de Pierrotin en attaquant Dassoucy. Solidaire avec les autres femmes de Montpellier, elle vise ses relations sexuelles « inappropriées » en particulier. En évoquant de la médisance qu’elle déclenche, le narrateur des Aventures avance :

Comme la médisance est de la nature du feu, dont il ne faut qu’une étincelle pour embraser tout un monde, incontinent cette Ville fut toute embrasée du feu de sa médisance contre la fureur de cette femme irritée et la rage de ce filou désespéré. (AMD, 236 éd. Bertrand)

Le narrateur recourt à un ton ironique, propre à une écriture burlesque, parce qu’il se trouve dans l’ardente nécessité de préciser la stratégie des femmes pour rendre sa réputation de plus en plus sulfureuse. La métamorphose sert à souligner la force et la vitesse de la médisance, égales à celles du feu. Il se pose ainsi en victime et cherche à persuader de son innocence. La Ville qui l’accuse d’homosexualité serait manipulée par ces précieuses. La personnification est un procédé qui lui permet de critiquer le système de valeurs et de croyances qu’elles incarnent :

[ …] les femmes galantes, plus amies de leurs intérêts, et plus spéculatives, laissent le bon Dieu à part, m’appelaient hérétique, non en fait de religion mais en fait d’amour (…) elles m’accusaient injustement des duretés que jadis Orphée eut pour les Bacchantes ; et tout cela sans autre fondement que leur chimérique imagination déjà préoccupée par la renommée qui leur avait appris les longues habitudes que j’avais eues avec C., feu D.B. et feu C., et fomentée par la malignité de ces esprits irrités, qui tous ensemble , afin d’émouvoir le présidial contre moi, faisait croire à tous ces Messieurs qui dans ce glorieux tribunal administrent la justice, que je les traitais d’ignorants et ridicules, et que je me moquais de leur autorité. (AMD, 238-239/ éd. Bertrand)

Frappé par la longueur de cette phrase, le lecteur comprend qu’elle rime avec l’objectif de son auteur : la représentation des accusations, qui vient offrir l’une des significations les plus importantes de l’œuvre. Ce passage s’inscrit dans un contexte émouvant : il présente les relations de Dassoucy avec les femmes aussi bien qu’avec Chapelle et Cyrano de Bergerac. Ses rapports avec eux semblent notamment fondés sur

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l’opposition. Il existe une différence sociale et une différence de caractère. Dassoucy est amené à s’assimiler à Orphée pour rappeler plusieurs images du héros légendaire. Cependant, le statut de héros voyageur, le dieu de la lyre à neuf cordes ne sont pas les seuls points de convergence entre Dassoucy et Orphée : il s’agit surtout de la pédérastie. L’amour des jeunes gens, loin des femmes, est le point commun le plus impressionnant entre Dassoucy et ce personnage de la mythologie.

Cet amour occupe une place importante dans l’œuvre de Dassoucy puisqu’il conditionne l’évolution des rapports entre les personnages et devient comme un élément primordial de l’intrigue et des aventures. Cependant, ce thème n’est pas représenté de la même manière chez Dassoucy et chez ses contemporains. Il est vrai qu’il rapporte lui- même cette scène de Montpellier. Il n’est pas moins vrai que Chapelle et Bachaumont racontent à leur tour cette mésaventure dans leur Voyage à Encausse. Dès leur arrivée à Montpellier, après avoir peint ses « plantades »14 et ses « blanquettes »15, ils présentent la rue des Parfumeurs16

A tous ceux qui vivent ainsi.

, qui leur sert d’antithèse, retraçant les rumeurs concernant l’affaire de Dassoucy et des bourgeoises. Ils écrivent non sans ironie :

Cette rue si parfumée conduit dans une grande place où sont meilleures hôtelleries. Mais nous fûmes bientôt épouvantés

De rencontrer en cette place Un grand concours de populace ; Chacun y nommait Dassoucy. Il sera brûlé, Dieu merci, Disait une vieille bagasse, Dieu veuille qu’autant on en fasse

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Chapelle et Bachaumont, op. cit., p 72.

15Ibid. 16Ibid.

17Ibid., p. 72-73.

Il semble que Chapelle et Bachaumont, loin de vouloir garder l’amitié de Dassoucy, dévoilent ses secrets : ils n’ont pas l’air de vouloir l’aider et même ils sont prêts à célébrer son exécution. Ils sont impitoyables à son égard car il refuse de se soumettre aux valeurs morales. Il a pris le chemin épineux de la contestation et de l’opposition aux règles sociales. Ainsi, un jeu d’opposition entre l’image du feu, utilisée par Dassoucy, et l’image du parfum de Chapelle et Bachaumont s’exprime clairement. Cette contradiction introduit un conflit entre les différents auteurs, ces derniers interviennent dans la vie de Dassoucy et perpétuent sa mauvaise réputation.

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Un parallélisme est instauré entre ces deux textes pour montrer une amitié fondée sur un conflit perpétuel. En aucun cas, les auteurs ne sont fidèles les uns aux autres. L’univers où ils évoluent est celui de la calomnie, malgré l’amour qui les a reliés avant la discorde avec les bourgeoises montpelliéraines. Ainsi, ils expriment la crainte d’être considérés comme ses proches :

Et, de peur d’être pris aussi Pour amis du sieur Dassoucy, Ce fut à nous de faire gille : Nous fûmes donc assez prudents Pour quitter d’abord cette ville, Et cela fut d’assez bon sens. 18