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L’autobiographie et l’autofiction

TROISIEME PARTIE Dassoucy et la modernité

Chapitre 1 : Dassoucy pluriel

I. Le développement de l’individualisme

4. L’autobiographie et l’autofiction

La biographie, le roman personnel et l’écriture personnelle de Dassoucy contribuent à mettre en relief son individualisme, le rehaussant au statut d’un philosophe moderne conscient avec acuité de sa situation d’homme ancré dans le présent et en quête d’un futur meilleur. La conception du pacte autobiographique est essentiellement basée sur « l’homonymat » entre l’auteur, le narrateur et le personnage – aspect qui a déjà été présenté dans ce qui précède. Philippe Lejeune définit l'autobiographie comme un écrit qui présente

[...] toute l’existence de ce qu’on appelle l’auteur : seule marque dans le texte d’un indubitable hors-texte, renvoyant à une personne réelle, qui demande ainsi qu’on lui attribue, en dernier ressort, la responsabilité de l’énonciation de tout le texte écrit.23

Il avance encore : « très souvent le pacte autobiographique entraîne l'identité de nom entre l'auteur dont le nom est sur la couverture, et le narrateur-personnage qui raconte son histoire dans le texte. »

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Dans l’état actuel des recherches sur Dassoucy, une reconstitution biographique objective apparaît aporétique. Pour combler les blancs trop nombreux de la vie de Dassoucy, seul un travail d’interprétation et de construction imaginaire peut avoir du sens.

Dans son œuvre et en particulier dans ses Aventures burlesques, Dassoucy se conforme-t-il bien à cette règle ? Cette affirmation de Dominique Bertrand semble s'y opposer :

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Or, Dassoucy défend ses valeurs par le biais de l’entremêlement générique. Ruth Amossy affirme que « Les anciens, déjà, insistaient sur la nécessité pour l’orateur

23 Philippe Lejeune, Le pacte autobiographique, op., cit., 1975, p. 23. 24 Philippe Lejeune, http://www.autopacte.org/pacte_autobiographique.html 25 Dominique Bertrand, op. cit., p. 569.

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d’élaborer dans son discours un “ethos”, c'est-à-dire une image de soi favorable susceptible de lui conférer son autorité et sa crédibilité. »26

Le genre autobiographique est bien plus large, et comprend également par exemple les récits de souvenirs, le journal intime, les romans inspirés par la vie de l’auteur et que l’on qualifie de romans autobiographiques ou romans autobiographies comme L’homme foudroyé de Cendrars, A la recherche du temps perdu de Proust, Mort à crédit ou voyage au bout de la nuit de Céline.

En effet, l’écriture des Aventures burlesques peut être analysée comme une autobiographie ayant l’analyse de soi pour objectif. La littérature connaît de nombreux genres d'écrits autobiographiques:

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Les genres autobiographiques et les genres romanesques sont bel et bien mélangés chez lui.28 Dans la succession des événements qu’il rapporte apparaissent des indices relatifs à la simple autobiographie en tant que « récit rétrospectif »29

Il y a bien de l’apparence de croire que je ne suis pas entré en prison pour mes mauvaise qualitez, puisqu’on ne m’y a trouvé que de bonnes, et que, depuis 50 ans que je respire l’air de vostre Cour, ces bonnes qualitez y sont encore connuës et que les mauvaises y sont encore à connoistre ; c’est

que l’auteur « confectionne » de sa vie. Ainsi, classer les multiples étapes du récit fait aussi remonter en surface l’autobiographie romancée que propose Dassoucy en succombant au charme romanesque. Transmet-il ainsi un autoportrait spécifique à son statut de picaro ? En réalité, alors que la narration évolue, de nombreuses caractérisations directes ou indirectes du personnage-auteur-narrateur – dont l’œuvre est aussi à prendre comme un journal intime où se succèdent les actions aussi bien que les réflexions – sont aussi repérables. L’œuvre de Dassoucy est ainsi conçue sur le seuil de la fiction, de l’autobiographie et de l’autofiction. En effet, ce n’est pas parce qu’il parle de soi que c’est autobiographique. La confrontation des faits avérés et de la fiction, que nous avons effectuée afin de caractériser sa posture par rapport aux écrivains de son époque et sa modernité historique montre que l'entremêlement générique fait que l’écrivain est pris à son propre piège.

Les conditions sociales dans lesquelles Dassoucy écrit ne lui permettent pas de s’exprimer librement. La fiction est là pour semer le doute autour de son libertinage et de sa pensée libre et contestataire dans une société de facture conservatrice et dogmatique.

26 Ruth Amossy, La Présentation de soi, Ethos et identité verbale, PUF, Paris, 2010, p. 5.

27 Joëlle Gardes-Tamine, Marie Claude Hubert, CRITICA, Dictionnaire de critique littéraire, Cérès,

Tunis, 1998, p. 30.

28 Il existe de nombreux genres romanesques comme le roman antique, le roman à tiroirs, le roman

d’aventures, le roman familial (concept freudien), le roman feuilleton, le roman historique, le roman noir, le roman policier et le roman picaresque.

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pourquoy il ne se faut pas étonner si, ayant toujours esté assez favorisé du Ciel, pour n’avoir jamais esté détaché du centre glorieux de vostre maison royale… ( Pr. MD, 400, éd. Colombey)

De tous les textes que nous avons analysés, La prison est celui qui suscite le plus d’intérêt pour nous à ce niveau de l’analyse, car il est l’expression de la souffrance de Dassoucy situé dans un va-et-vient entre la réalité et la fiction. Une crise habite le « je » qui se déclare innocent et qui se vante de se plier à la voix de l’ordre. Cependant, outre la dis/simulation de sa pensée il procède à un enchevêtrement bien moderne entre la réalité et la fiction.

En 1977, trois siècles après la publication des Aventures burlesques en 1677, surgit l’autofiction – qui peut décrire le genre dans lequel Dassoucy s’inscrit – où l’on stipule fondamentalement que « le moi dès l’origine [est] pris dans une ligne de fiction »30

Fausse fiction, qui est histoire d’une vraie vie, le texte, de par le mouvement de son écriture, se déloge instantanément du registre patenté du réel. Ni autobiographie ni roman donc au sens strict, il fonctionne dans l’entre-deux, en un renvoi incessant, en un lieu impossible et insaisissable ailleurs que dans l’opération du texte. Texte/vie : le texte, à son tour, opère dans une vie, non dans le vide.

. C’est à Serge Doubrovsky que nous devons l’apparition du concept de l’autofiction, qu’il explique comme suit :

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Mais si Doubrovsky-narrateur répond bien au nom de Doubrovsky-auteur, on peut se demander lequel est le personnage de l’autre dans cette fiction dont on ne sait vraiment, au fond, si elle en est une, et dont on ignore si sa dominante n’est pas d’être autobiographique?

L’œuvre de Dassoucy, ses Aventures burlesques en particulier, qui sont la représentation de sa vraie vie, sont fortement imprégnées de ce qui définit l’avant- gardisme de l’empereur du burlesque. En effet, dans l'élaboration théorique de l’autofiction, Philippe Vilain demande:

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L’affaire chargées de signes autobiographiques pour Dassoucy devient riche de significations littéraires si bien qu’elle éclaire le lien étroit entre l’expérience vécue et Cette formule s’applique parfaitement à l’œuvre de Dassoucy, qui affirme dans ce passage, qui doit être considéré comme de l’autofiction :

Cette affaire vuidée, ils reprirent le chemin de leur grand Clocher, et moy le chemin des Alpes ; mais helas ! qu’il est difficile de faire de longs voyages sans faire quelque mauvaise rencontre ! ( AI, 220, éd. Colombey)

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Lacan cité par Isabelle Grell, L’Autofiction, Armand Colin, Paris, 2014, p. 10.

31 Serge Doubrovsky, Autobiographies de Corneille à Sartre, Paris, PUF, coll. « Perspectives critiques »,

1988, p. 69-70.

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l’expérience scripturale à l’instar d’une autofiction moderne, comme par exemple le Portrait d’un inconnu de Nathalie Sarraute.

L’objectif de l’autofiction consiste en fait en une plaidoirie de trois entités, à savoir l’auteur, le narrateur et le personnage:

La pragmatique de la plaidoirie, à l’origine de la publication, emprunte toutefois la voie détournée et équivoque d’une « autofiction » avant la lettre qui instaure un jeu de dédoublement entre l’auteur et le narrateur. 33

L’autofiction vient donc soutenir « la déréalisation [qui] est accentuée par les jeux d’écho entre la distanciation critique du narrateur et la dissociation affective qui caractérise le héros de l’autofiction. »

Dassoucy est en quête de liberté, tiraillé entre la volonté de prouver son innocence et la difficulté d’y croire, d’où l’alternance insaisissable entre les différents rôles joués. C’est ainsi que sa fiction et son autobiographie témoignent de la fissure de son moi, tiraillée entre aspiration à l'innocence et misère parodique assumée.

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Dès le début de ses Aventures, il revendique l’exaltation du moi. En même temps, il met en exergue le goût amer d’une vie marquée de misères. Ce désenchantement donne naissance à une réflexion sur la condition humaine dans le sens balzacien du terme. Il en . C’est ainsi un choix moderne de militantisme pour un « canon » révolutionnaire. Son œuvre déploie un « divorce semi-fictif » entre les piètres résignés et les révoltés dis/simulés. Dassoucy ne plaidera en aucun cas coupable. Malgré les arguments et les témoignages de ses adversaires, son inconscient fait remonter à la surface les traces du métier de son père, avocat au Parlement de Paris, et c’est le genre littéraire qui lui permet d’assurer sa propre défense.

En effet, il tente d’établir un pont entre le réel et le fictif. Joindre ces deux éléments relève de la gageure et symbolise l’ébranlement des contraintes conventionnelles. Dassoucy tente en effet de se libérer de toute autorité, d’où cette interférence – voire hybridation – générique qui favorise le culte de sa propre personne. Sa façon de voir obéit tantôt à une fine stratégie, tantôt à une volonté d'imposer ses désirs. Si l’étude des genres offre à la littérature les prémices d’une écriture moderne, c’est que Dassoucy se présente comme un homme qui sort de l’ordinaire avec une volonté de changer le cours de l’histoire. La première personne, le « je », accréditant et discréditant son discours burlesque de libertin, souligne sa maturité littéraire et artistique.

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Dominique Bertrand, « Le « sens de l’humour » dans Les Aventures de Dassoucy », Loxias, 36,