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Les insultes et les injures

DEUXIEME PARTIE Dassoucy le libre penseur

Chapitre 1 : Le libertinage des mœurs

III. L’usage de la fourberie

2. Les insultes et les injures

Le discours libertin est certes à rattacher à l’écriture burlesque sur laquelle nous nous sommes penchée dans la partie précédente. L’objectif de cette section est de présenter des exemples d’écriture libertine dans l’affranchissement des mœurs. Il n’est pas interdit de penser que l’injure rime avec la défense de l’honneur et la prise de revanche. Les querelles entre Dassoucy et ses anciens amis – Chapelle et Bachaumont – sont à considérer parmi les raisons qui l’amènent à se défendre. Un échange de propos de plus en plus violents s’instaure entre ces rivaux. Ainsi, loin de se présenter comme des hommes qui maîtrisent les valeurs de l’honnêteté, s’opposant aux principes de la maîtrise des gestes, des yeux et du visage profondément inscrits à l’époque classique, ils ne laissent pas d’échanger des injures et des insultes. Pour ne pas être soumis à ses ennemis, l’empereur du burlesque, ne parle pas et n’agit pas contre ses sentiments d’indignation, voire de déception. Il s’inscrit dans la tradition homérique – dans l’Iliade par exemple – où le personnage vocifère un discours orgueilleux avant de recourir aux armes.

Nous ne nous attarderons pas ici sur les aspects politiques et ecclésiastiques des propos violents qui feront l’objet du chapitre suivant : nous chercherons plutôt à signaler quelques termes, utilisés dans les différents épisodes de querelles et leur impact. L’origine du terme insulte vient du bas latin, insultus, au Moyen âge, il signifie « attaque ». Furetière définit l’insulte comme une querelle ou attaque qu'on fait à

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quelqu'un par surprise et le plus souvent sans sujet.28

Il dit à ceux qui le maltraitent qu’ils n’ont pas seulement la cruauté des animaux féroces, mais ils sont aussi des mangeurs d’hommes, selon l’origine grecque du mot. La Les insultes sont très nombreuses dans les Aventures burlesques. Avant d’en étudier les procédés, il est important de les rappeler ou d’en présenter les plus marquants : les épisodes des disputes entre Pierrotin et le dévot voulant mener son enquête sur la vie libertine de Dassoucy, la scène entre le maître et son valet Pierrotin après la découverte de son complot aussi bien que la défaite de ce couple devant la reine italienne. Bien qu’elles soient ultérieurement évoquées, ces séquences demeurent des passages-clés pour la compréhension des stratégies de l’écriture « armée ». De surcroît, ils sont à considérer comme un outil d’analyse de l’écriture libertine ; ce sont des exemples d’une extrême complexité qui multiplient les allusions et qui témoignent d’une maîtrise de la parole dialogique avec en particulier des références antiques. Les paroles injurieuses du libertin se prolongent dans les Aventures burlesques de Dassoucy. En insultant ses ennemis, Dassoucy défend son honneur, sa virilité littéraire et son prestige:

O gens barbares et dénaturés, cruels anthropophages, qui ne vivant que de la substance d’autrui, ne pouvez souffrir qu’on touche à la vôtre, que trouvez-vous en moi qui ne soit point en vous ? (AMD, 26 éd. Colombey/ 124 éd. Bertrand)

Comme Dassoucy a une réputation sulfureuse, ses opposants l’ont déclaré mort. Sa vengeance s’exprime dans la violence même du discours qu’il leur adresse. Pour Scaliger, « barbare », vient de l’Arabe, bar, qui renvoie au désert, à la solitude. Selon Furetière, le barbare est l’étranger qui est d’un pays fort éloigné, sauvage, impoli, et qui présente des mœurs dissemblables aux citadins ; le barbare est aussi cruel, impitoyable, n’obéissant ni à la pitié ni à la raison : il tyrannise ses sujets. Furetière les considère comme des gens qui ont perdu tout sentiment. Dassoucy veut exprimer la cruauté de ses détracteurs et il y insiste davantage par la défiguration de ces derniers jusqu’à leur faire perdre les traits considérés comme naturels.

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On est sujet à Paris aux insultes des filous et des bretteurs. Ce bon bourgeois ne disoit mot à personne, il est venu des insolents qui luy ont fait insulte de gayeté de cœur. Des vagabonds ont fait insulte à cette femme, et luy ont jetté tous ses meubles par la fenestre.

INSULTE, se dit aussi d'un assaut qu'on donne à une place brusquement et à découvert sans l'assieger par les formes. On prend les chasteaux et les petites places d'insulte. Valenciennes a esté prise d'insulte cette citadelle n'est pas encore achevée, mais elle est hors d'insulte, en estat de se deffendre.Furetière,

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connotation agressive de cette réponse de Dassoucy montre qu’il sait manier les outils linguistiques d’une bataille verbale. En effet, l’agressivité des mots va crescendo.

De plus, à une époque où l’injure de « sot » conduit celui qui les prononce en prison, Dassoucy déploie le terme sous ses différentes formes. Il lui consacre toute une épître afin de critiquer, la sottise du peuple. Le passage que nous allons étudier se situe au cœur de ses aventures françaises où il est indigné par les rumeurs. Dans une critique acerbe des mœurs, il précise :

Quoique je ne sois ni des plus sages ni des plus sots, cela n’a pas empêché que les sots et les méchants n’aient trouvé en moi quelque chose d’assez dissemblable à eux, pour avoir été digne de leur haine, et mériter l’honneur de leur persécution. (AMD, 208 éd. Bertrand)

Le sot est le niais, le dépourvu d’esprit, le ridicule – d’après Furetière. Dassoucy est convaincu de son innocence et se venge de ses contemporains en leur adressant l’insulte de la sottise et de la méchanceté sans crainte aucune. La figure du peuple s’opposant à Dassoucy est l’une des raisons qui l’ont amené à recourir à de telles armes. Ainsi, il s’avère que l’injure de « sot » a pour mission de mettre à l’épreuve les règles sociales non respectées. Associée aux insultes, « lièvre » (AI, 282), « canaille » (AMD, 166, 193, 203), « poltron » (AMD, 193) et aux jurons blasphématoire, « morbleu », (JJP, 3), « vertubleu » (PR, 410), fréquents dans l’œuvre de Dassoucy, elle sert à signaler de nombreuses particularités à son libertinage des mœurs. Au cours de son déplacement de picaro, il exprime sa rage à sa propre façon, c’est toujours son écriture qui lui permet de conquérir la postérité et de revendiquer son innocence. Loin de tenir sa langue, sa plume est son épée.

Recourir au dialogue injurieux pour revendiquer son innocence renseigne sur la rhétorique de leur auteur et sur son art de persuasion ainsi que sur son inspiration antique. En intervenant dans le récit, Dassoucy annonce son libertinage mais il cherche à camoufler son homosexualité et sa pédophilie.

Dassoucy se démarque de ses contemporains en montrant sa soumission aux vices et son instabilité amoureuse. Il n’est pas un bon chrétien puisqu’il remplace la croyance divine par un autre type de croyance, celui de la foi en l’écriture, qui le met en scène comme Diogène du siècle. Ainsi, le libertinage des mœurs de Dassoucy touche l’institution religieuse et politique car une large place de son œuvre est offerte à la contestation de l’autorité. Mais quelle opposition est-elle possible à l’époque de la concentration du pouvoir ?

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