3. Les travaux récents en France
3.1. Les travaux du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) et de la Cour des
3. Les travaux récents en France
3.1. Les travaux du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) et de la Cour des Comptes
3.1.1. L’évaluation du CPO
En 2007, le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) a consacré un rapport à « La fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle ». Dans ce cadre, le CPO a produit une évaluation du manque à gagner sur le champ des prélèvements sociaux (cotisations et contributions sociales), d’une part, et sur celui des prélèvements fiscaux (TVA, impôt sur les sociétés, impôt sur le revenu, impôts locaux, autres), d’autre part. Cette évaluation repose sur la méthode directe de post‐
stratification des résultats des contrôles ciblés opérés par les Urssaf et l’administration fiscale.
S’agissant de la partie fiscale, le CPO s’est appuyé sur une base de données regroupant les résultats des « contrôles sur place »42 2002, 2003 et 2004. L’évaluation du manque à gagner en matière de prélèvements sociaux portait quant à elle sur les contrôles ciblés des Urssaf de 2004 : les contrôles LCTI pour le champ du travail dissimulé, les contrôles comptables d’assiette pour le champ hors travail dissimulé. L’évaluation par post‐stratification aboutit ainsi à un montant de manque à gagner de 21,4 Md€ sur le champ fiscal et de 8,0 Md€ sur le champ social (Tableau 7) 43.
D’un point de vue général, bien que le rapport du CPO porte sur la « fraude », il convient de privilégier le terme « manque à gagner ». En effet, les montants redressés sur lesquels s’appuie l’évaluation par post‐stratification peuvent aussi bien résulter d’irrégularités dont l’intentionnalité est avérée que d’erreurs ou omissions non délibérées. Néanmoins, cette ambiguïté n’existe pas sur le champ des contrôles LCTI : le manque à gagner de cotisations et contributions sociales lié au travail dissimulé relève bien d’un comportement frauduleux.
42 Les données portent donc principalement sur des entreprises, les contrôles sur les particuliers étant essentiellement « sur pièces ».
43 Le Tableau 7 reprend les montants estimés par la méthode de post‐stratification. Néanmoins, le CPO affiche dans son rapport un intervalle de 7,3 à 12,4 Md€ pour la TVA éludée, qui correspond à l’évaluation de la comptabilité nationale, et un intervalle de 6,2 à 12,4 Md€ pour la fraude aux prélèvements sociaux liée au travail illégal, dont la borne supérieure (très approximative) s’appuie sur les premiers résultats des contrôles aléatoires Urssaf sur le secteur de l’hôtellerie‐restauration.
Tableau 7 : Évaluation du manque à gagner en matière de prélèvements fiscaux et sociaux (CPO, 2007)
En Md€
Prélèvements fiscaux Prélèvements sociaux* TOTAL TVA IS IR IDL Autres TOTAL Travail PO
dissimulé
Hors travail dissimulé** TOTAL Montant
éludé 8,2 4,6 4,3 1,9 2,4 21,4 6,2 1,8 8,0 35,6
* y compris retraite complémentaire et assurance chômage Source : CPO (2007)
** Montant net des restitutions en faveur des entreprises
L’efficacité de la méthode d’évaluation par post‐stratification dépend crucialement de la capacité du statisticien à décomposer de façon pertinente la population étudiée (cf. section 2.1.2.2). Or, compte tenu du nombre relativement limité de contrôles ciblés (par exemple environ 10 000 contrôles LCTI en 2004), d’une part, et de la non‐observabilité de certaines informations, d’autre part, les possibilités de stratification sont faibles. L’évaluation du CPO retient ainsi seulement deux critères de stratification sur chacun des champs :
‐ le régime d’imposition (5 strates) et le secteur d’activité (118 strates) pour le champ fiscal ;
‐ la taille d’entreprise (7 strates) et le secteur d’activité (17 strates) pour le champ social.
En conséquence, s’il convient de saluer l’intérêt de cette tentative d’évaluation, ne serait‐ce que pour son impact sur le débat public, il importe aussi de souligner, à l’instar du CPO lui‐même, la fragilité des résultats obtenus.
3.1.2. L’évaluation publiée par la Cour des comptes
A la demande de la DNLF, puis de la Cour des comptes, l’Acoss a reconduit les calculs correspondant à la démarche du CPO, à partir des données issues des contrôles Urssaf de 2008, 2009 et 2012.
Quelques ajustements méthodologiques mineurs ont été réalisés, notamment l’ajout d’une strate (ancienneté de l’entreprise) sur le champ hors travail dissimulé. Les résultats portant sur l’année 2012, publiés dans le rapport 2014 de la Cour des comptes sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, font état d’un montant de cotisations et contributions sociales éludées (y compris retraite complémentaire et assurance chômage) compris entre 20,1 et 24,9 Md€, soit 2 à 4 fois plus que le montant estimé par le CPO sur les données de 2004 (Tableau 8).
Le taux de cotisations éludées (rapport entre le montant de fraude et le montant des cotisations déclarées majoré des cotisations éludées) en 2012 serait ainsi de l’ordre de 6,3 à 7,7 %, dont 5,8 à 7,1 % au titre du travail dissimulé. Au niveau sectoriel (Figure 7), le taux de cotisations éludées liées au travail dissimulé est particulièrement élevé dans le secteur de la construction (18,1 %) ; viennent ensuite les activités « autres ou non classées » (11,7 %), le commerce de détail non alimentaire (11,0 %), l’hébergement‐restauration (10 ,0 %) et le commerce de détail alimentaire (9,0 %).
Tableau 8 : Évaluation du manque à gagner en matière de prélèvements sociaux par post‐stratification
Champ : établissements contrôlables selon les Urssaf, Cotisations et contributions sociales, y compris retraite complémentaire et assurance chômage, En milliards d’euros
2004 (CPO)
2008
2009
2012 (Cour des comptes)
Fraude liée au travail dissimulé 6,2 à 12,4 11,7 à 16,9 14,0 à 17,1 18,5 à 22,9 Manque à gagner hors travail dissimulé 1,8 1,0 à 1,6 1,5 à 2,0 1,6 à 2,0 Manque à gagner total (Md€) 8,0 à 14,2 12,7 à 18,5 15,5 à 19,0 20,1 à 24,9
Source : données Acoss-Urssaf
Figure 7 : Taux de cotisations éludées liées au travail dissimulé par secteur (post‐stratification, 2012) Services administratifs et d'assistance (5,7 %) Administration publique (14,6 %) Santé et action sociale (9,8 %) Autres ou non classées (5,5 %) Total (100 %)
NB : les pourcentages entre parenthèse représentent le poids du secteur en termes de cotisations sociales liquidées.
Source : Acoss-Urssaf
Ici encore, comme rappelé dans la réponse de l’Acoss portée en annexe du rapport de la Cour des comptes, « il n’est guère possible de bien corriger l’ensemble des biais de sélection dans une méthode s’appuyant sur des contrôles ciblés en ne prenant en compte que les critères de ciblage objectivables ou mesurables, en pratique les seuls effets taille et secteur pour la LCTI. Il existe en effet des critères de ciblage non mesurables générant un biais de sélection résiduel potentiellement important ».
En outre, comme le souligne l’Acoss dans sa note sur l’évaluation de l’évasion sociale (Acoss, 2016), la correction du biais de sélection apparaît d’autant plus délicate que les contrôles des Urssaf sont de mieux en mieux ciblés. Ainsi, 80 % des contrôles LCTI opérés par les Urssaf ont conduit à un redressement en 2012, contre seulement 22 % en 2004 (Figure 8). De plus, l’amélioration du ciblage
2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 Fréquence de redressement LCTI
(actions redressées/actions réalisées)
Montant moyen des redressements
Source : Urssaf jusqu’en 2007, Acoss/Pleiade depuis 2008 (actions LCTI 130-131)
a eu pour conséquence de faire progresser le montant de fraude détectée (ie les redressements) : le montant moyen de redressement est passé de 28 832 € en 2004 à 41 334 € en 2012. En conséquence, comme l’illustre la forte corrélation entre montant de fraude détecté et montant de fraude estimé (Figure 9), il est très probable que l’augmentation du montant de fraude estimé sur la période 2004‐2012 s’explique en grande partie par l’amélioration du ciblage et de l’efficacité des contrôles LCTI et non par la hausse de la fraude elle‐même.
Figure 9 : Évolution du montant de fraude estimé vs évolution du montant de fraude détecté
0 Md€
5 Md€
10 Md€
15 Md€
20 Md€
0 M€
75 M€
150 M€
225 M€
300 M€
2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 Montant des redressements LCTI
Minim um et m axim um estim és
Fourchette d'estim ation du m ontant de fraude
Source : Urssaf jusqu’en 2007, Acoss/Pleiade depuis 2008 (actions LCTI 130-131)