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Le travail dissimulé dans le cadre des prestations de services internationales

1. Définitions et contexte

1.1.   Le cadre juridique

1.1.2.   Le travail dissimulé dans le cadre des prestations de services internationales

Bien qu’il ne représente qu’une faible part de l’emploi total5, le travail exercé dans le cadre des  prestations  de  services  internationales  (PSI),  notamment  entre  Etats  membres  de  l’Union  européenne, focalise l’attention depuis quelques années en particulier dans les secteurs d’activité à  main d’œuvre peu qualifiée comme la construction, l’agriculture et le transport routier. En effet,  dans un cadre réglementaire européen favorable, les PSI se sont fortement développées, en lien avec  les  facilités  de  mobilité  internationale,  la  diversification  des  formes  d’emploi  (plateformes  collaboratives, pluriactivité …) et les différences internationales en matière de législation sociale. Ce  développement s’accompagne de l’essor de la fraude transnationale, se traduisant en général par  des infractions de travail dissimulé.  

Les PSI recouvrent différentes situations de travail. Une grande majorité concerne le détachement de  travailleurs salariés, mais d’autres situations portent sur le travail indépendant, l’exercice d’un travail  dans plus d’un Etat... En outre, de plus en plus de PSI s’accompagnent de montages complexes,  rendant difficile leur analyse. 

1.1.2.1. Le détachement de travailleurs et les autres situations de mobilité transfrontalière

Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose dans son article 56 que « les Etats  membres doivent garantir la libre prestation de service. Cette liberté fondamentale comporte le droit  pour un prestataire établi dans un Etat membre de détacher temporairement des salariés dans un  autre Etat membre et d’y prester ». Ce droit au détachement implique le respect de plusieurs  conditions pour être conforme aux dispositions européennes en matière de droit du travail (Directive  96/71/CE) : 

‐ le détachement doit être effectué par une entreprise légalement établie dans son pays  d’origine (pays d’envoi), ayant une activité réelle dans ce pays et qui détache des salariés  dans le cadre d’une prestation commerciale (prestation de service internationale) ; 

‐ l’intervention dans le pays où est exercée l’activité (pays d’emploi) doit être réalisée de façon  temporaire et non durable (pour la durée de réalisation de la mission), au bénéfice d’un  client (particulier ou entreprise). La durée de la prestation est liée à la réalisation de l’objet  du contrat ou du marché ; 

      

5 En 2015, la DGT a recensé 286 000 travailleurs détachés via les déclarations préalables de détachement. Ce  nombre est probablement une sous‐estimation du nombre réels de travailleurs détachés. Toutefois, il s’agit  d’un flux de salariés dont la durée moyenne des missions est de l’ordre de 2 mois, et qui est donc relativement  faible en comparaison du « stock » mensuel de salariés qui s’établit en France à environ 17,8 millions dans le  secteur privé en 2015 (Acoss Stat n° 236).  

‐ les conditions d’emploi des salariés détachés doivent respecter les règles du « noyau dur » du  droit du travail du pays d’emploi (durée de travail, congés, salaire minimum, sécurité,  hygiène…). 

Les conditions du détachement en France sont précisées aux articles L.1261‐1 à L.1265‐1 du Code du  travail. La législation française impose notamment aux entreprises détachantes de transmettre avant  le début de la prestation une Déclaration préalable de détachement (DPD) à l’inspection du travail  dont dépend le lieu de la prestation. L'entreprise détachante doit y préciser l'identité de tous les  salariés qu'elle souhaite détacher en France, qu'ils soient ressortissants de l'UE ou d'un autre État. La  loi n°2015‐990 du 6 août 2015 (dite « loi Macron ») rend obligatoire, à compter du 1er octobre 2016,  la déclaration en ligne (via le portail SIPSI) de cette formalité. 

En matière de droit de la sécurité sociale, les travailleurs effectuant des prestations de services  internationales au sein de l’Espace économique européen et en Suisse sont soumis aux Règlements  européens de coordination des systèmes de sécurité sociale. La législation de sécurité sociale de  chaque travailleur est déterminée selon les règles fixées aux articles 11 à 16 du règlement (CE)  nº 883/2004 et aux articles 14 à 21 du règlement (CE) nº 987/2009, précisées par la décision A2 du  12 juin 2009. Le règlement européen 883/2004 stipule dans son article 11 que chaque individu ne  doit  être  soumis  qu’à  un  seul  régime  de  sécurité  sociale  (principe  d’ « unicité  de  la  législation applicable »). En règle générale, la personne qui exerce une activité salariée ou non  salariée dans un État membre est soumise à la législation de cet État membre (principe de 

« territorialité »). Mais le Règlement prévoit plusieurs exceptions à ce principe dont la plus répandue  est celle du « détachement » de travailleurs salariés. 

Selon l’article 12 paragraphe 1 du règlement,  

« la personne qui exerce une activité salariée dans un État membre pour le compte d’un employeur y  exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache pour effectuer un travail pour son  compte dans un autre État membre, demeure soumise à la législation du premier État membre, à  condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas vingt‐quatre mois et que cette personne  ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne détachée ». 

En d’autres termes, le maintien à la législation de l’Etat d’envoi du travailleur détaché  constitue un  cas dérogatoire de droit au principe de territorialité. Ce maintien est subordonné à plusieurs  conditions : l’entreprise qui détache doit exercer  normalement son activité dans le pays où elle est  établie (notion d’activité substantielle), la durée prévisible du travail à effectuer dans le cadre du  détachement ne doit pas excéder 24 mois (un nouveau détachement est possible après 2 mois  d’interruption), un lien organique doit exister entre l’employeur et le travailleur (ie le travail doit être  accompli pour le compte de l’employeur et le lien contractuel doit être maintenu pendant la durée  du détachement), la personne détachée ne doit pas remplacer une personne elle‐même parvenue au  terme de son détachement, le travailleur détaché doit être assujetti depuis au moins 1 mois à la  législation du pays d’envoi avant le début du détachement. 

Une autre situation particulière, régie par les règles de conflit prévues   à l’article 13 du règlement  (CE) nº 883/2004, porte sur l’exercice d’une activité ou plusieurs activités dans plus d’un Etat. Cette  situation, dite de « pluriactivité », concerne les personnes qui exercent simultanément, ou en  alternance, pour le même employeur ou pour différents employeurs, une ou plusieurs activités  différentes, salariées ou indépendantes, dans au moins deux Etats membres. La détermination de la  législation applicable est dans ce cas appréciée au regard de la situation future du travailleur au cours 

des 12 mois civils à venir et dépend du type d’activités (salariées ou non), du caractère substantiel de  l’activité (au moins 25 %), de l’Etat de résidence du travailleur et de l’Etat du siège des employeurs  (cf. Annexe 3.1). Il convient de souligner que la situation de personnes qui, de façon prévisible, sont  appelées à être détachées de manière régulière dans des Etats différents au cours des 12 mois  suivants relève en principe de la « pluriactivité » et non pas du « détachement ». 

D’autres règles spécifiques de détermination de la législation applicable s’appliquent à certains  professionnels (personnel  navigant  aérien …)  ou à  certaines  situations (auto‐détachement des  travailleurs  indépendants …).  Par  ailleurs,  il  est  à  noter  que  l’article  16  du  règlement  (CE)  nº 883/2004 prévoit que les autorités compétentes des Etats membres peuvent conclure des accords  dérogeant aux règles de détermination de la législation applicable aux situations de détachement ou  de pluriactivité, soit pour un ensemble de personnes, soit pour des cas individuels.   En France, les  demandes d’accords dérogatoires émises dans ce cadre sont instruites par le Centre de liaisons  européennes et internationales de sécurité sociale (Cleiss). 

1.1.2.2. Les fraudes au détachement relèvent souvent du travail dissimulé

La fraude au détachement prend des formes multiples qui se traduisent souvent par de la fraude à  l’établissement (cas où l’entreprise aurait dû déclarer un établissement dans le pays d’exercice de  l’activité), des infractions au droit du travail (salaire minimum, durée maximale du travail, conditions  de travail, etc.), le non‐respect des règles de sécurité sociale et/ou de la fraude fiscale. 

Ces fraudes, qui ont pour objectifs d’échapper non seulement au paiement des cotisations sociales  mais aussi aux  obligations  fiscales, sont  susceptibles  d’être  qualifiées d‘infractions  de  travail  dissimulé par dissimulation d'activité, de prêt illicite de main‐d'œuvre, voire de marchandage. Elles  peuvent en outre être associées à d’autres problématiques telles que les délocalisations fictives, les  fausses sous‐traitances, les conditions de travail et d’hébergement incompatibles avec la dignité  humaine, la traite d’êtres humains, etc. 

L’entreprise détachante peut être une société de travail temporaire qui met à disposition des  entreprises du pays d’emploi des salariés recrutés dans des pays tiers. Ce type d’entreprise est  d’ailleurs souvent impliqué dans les montages complexes qui se déploient sur plusieurs Etats,  nécessitant des coopérations administratives internationales renforcées pour rechercher et établir le  caractère frauduleux. 

Du point de vue de la sécurité sociale, une infraction de travail dissimulé pour défaut de déclarations  sociales est susceptible d’être constatée dans l’hypothèse où le travailleur est assujetti à la législation  sociale d’un autre Etat alors qu’au regard des conditions d’exercice de son activité, il relève de celle  de l’Etat d’emploi. 

Afin  d’apporter  la  preuve  de  la  législation  sociale  applicable,  le  travailleur  détaché  (ou  en  pluriactivité) dans un Etat de l’EEE ou en Suisse doit se faire délivrer par l’institution compétente de  sécurité sociale — celle du pays d’envoi en cas de détachement dans un seul Etat — une attestation  dite « formulaire A1 ». Ce formulaire est opposable aux institutions et autorités 6 de l’Etat autre que  celles de l’Etat émetteur, tant qu’il n’a pas été retiré ou déclaré invalide par l’institution qui l’a émis. 

      

6 La CJUE est toutefois saisie de plusieurs questions préjudicielles sur la portée de l’opposabilité du formulaire 

A1. 

Tableau 1 : Formulaire A1 et travail dissimulé

3‐d  la durée du détachementexcède 24  mois 

4‐a  le droit du travail n'est pas respecté  Cas possibles de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié (sous déclaration des  heures travaillées). Les  inspecteurs du recouvrement du pays d’emploi ne sont toutefois  pas habilités à réaliser un redressement pour le compte du pays d’envoi.  

Cas possibles de « fraude à  l’établissement » : l’entreprise exerce une activité habituelle et  stable dans le pays d’emploi ; elle aurait dû immatriculer un établissement dans le pays  d’emploi. 

4‐b  le droit du travail est respecté  L’entreprise est en règle avec le droit du pays d’emploi mais il n’est pas sûr qu’elle paye  bien les cotisations sociales à la Sécurité sociale du pays d’envoi. Cela ne peut pas être  considéré comme  du travail dissimulé au sens du droit du pays d’emploi. 

Source : travaux du groupe

En France, l’émission des formulaires A1 est assurée par les organismes d’assurance maladie (CPAM,  caisses MSA ou RSI).7 

L’absence de production du formulaire A1 alors que les conditions d’exercice de l’activité entrainent, 

7 Voir le formulaire en Annexe 3.2. 

Indépendamment des investigations menées par les inspecteurs du recouvrement, un constat de  travail dissimulé est susceptible d’être établi par les autres services de contrôle compétents (cf. 

section 1.2) pour des motifs autres que le non‐respect des règles de sécurité sociale. Or, il apparaît  que  le  détachement  est  intrinsèquement  source  d’infraction  du  droit  du  travail.  En  effet,  contrairement aux idées reçues, l’avantage concurrentiel du détachement en termes de coût de la  main d’œuvre n’est pas évident. A ce titre, une étude de la Direction générale du trésor (Chevreux et  Mathieu, 2016) montre que lorsque les règles du « noyau dur » du droit du travail sont respectées  (salaire minimum et durée de travail notamment), une entreprise française n’a pas d’avantage  économique significatif à recourir à un salarié détaché plutôt qu’à un salarié local, en particulier si  celui‐ci est rémunéré au Smic. Ainsi, si l’on tient compte des dispositifs d’exonération existant en  France (environ 30 pts de cotisations au niveau du Smic) et des frais liés au détachement (voyage,  logement, nourriture), le coût du travail d’un salarié français rémunéré au Smic à temps plein n’est  pas significativement plus élevé que celui d’un salarié détaché travaillant dans les mêmes conditions.  

En conséquence, le détachement s’accompagne « souvent »8 du non respect du noyau dur du droit  du travail, se traduisant notamment par une sous‐déclaration des heures travaillées. Une infraction  couramment constatée est celle qui consiste à faire travailler les salariés détachés bien au‐delà de la  durée légale du travail de façon à réduire nettement le coût du travail horaire, les heures dépassant  la durée légale étant bien entendu non déclarées. Une autre infraction fréquente porte sur le salaire  minimum applicable. En effet, alors que celui‐ci s’entend du salaire minimum conventionnel, il peut  arriver qu’un salarié détaché se voit attribuer le Smic alors que la classification de son emploi lui  confère le droit de bénéficier d’une rémunération plus élevée (cas du chef de chantier par exemple). 

En ce cas, si les conditions du détachement prévues par l’article 12 (1) du Règlement n°883/2004  sont remplies, les services de contrôle ne peuvent contester l’assujettissement des travailleurs à la  législation de sécurité sociale d’un autre Etat mais seulement transmettre les informations à  l’institution d’affiliation aux fins de rectification éventuelle de l’assiette des cotisations dues auprès  de l’autre Etat. 

 

1.2. Les sources de données sur le travail dissimulé : des