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1. Définitions et contexte

1.3.   Le contour économique du travail dissimulé

1.3.2.   L’économie non observée (ENO)

Plusieurs institutions  ont  élaboré  des cadres  d’analyse  liés  à la  notion  d’activité dissimulée. 

L’Organisation de développement et de coopération économique (OCDE), en particulier, a joué un  rôle moteur en proposant à la fois une définition et une typologie de l’économie non observée. 

L’ENO est d’abord un concept très lié à la comptabilité nationale puisqu’il retrace la part de l’activité  économique  qui  échappe  spontanément  aux  statisticiens,  et  qui  doit  donc  faire  l’objet  de  redressements pour assurer l’exhaustivité des agrégats de comptabilité nationale, dont le produit  intérieur brut (PIB). Le concept d’ENO est donc très extensif puisqu’il va bien au‐delà des notions  usuelles de travail dissimulé ou de travail illégal, et prend en compte également l’activité non  observée du fait d’éventuelles déficiences du système statistique. Du fait de son objet ‐ s’assurer de  la complétude du PIB ‐ l’ENO ne peut se comprendre qu’en référence au périmètre de la production  en comptabilité nationale (Figure 3).  

En comptabilité nationale, la production correspond aux activités exercées sous le contrôle et la  responsabilité d'une unité institutionnelle (ménage, entreprise, administration publique…) qui utilise  en inputs du travail, du capital ainsi que des biens et services, pour produire des biens et services. Par  convention, toute activité productrice de biens relève de la production dans les comptes nationaux,  même quand le producteur se réserve l'usage de ce bien et qu'il n'y a donc pas de transaction avec  un autre agent : cas des ménages produisant des biens agricoles pour leur propre consommation, ou  construisant eux‐mêmes leur logement. En revanche, les activités de services ne relèvent pas du  périmètre de la production lorsqu'elles sont produites et consommées au sein d'un même ménage :  préparation des repas, éducation des enfants… Il existe toutefois une exception de taille à cette  dernière règle : les propriétaires occupant leur propre logement se voient imputer une production de  services de logement (cette exception étant notamment motivée par un souci de comparabilité des  agrégats entre des pays où les proportions de propriétaires occupants diffèrent fortement, et au 

souhait de pouvoir comptabiliser en investissement tous les achats de logement des ménages) ; la  production imputée est égale au loyer que percevraient les propriétaires s'ils mettaient leur bien sur  le marché locatif. 

Figure 3: Le domaine de la production selon le Système de comptes nationaux (SCN) 

  Source : OCDE 

 

Sur la base de ce périmètre, l’OCDE a proposé en 2003 une typologie de l’ENO en identifiant cinq  sous‐ensembles  pour  lesquels  l’estimation  de  la  production  peut  s’avérer  particulièrement  problématique : 

- La production souterraine (underground production) désigne des activités productives en,  elles‐mêmes légales, mais délibérément cachées à l’administration afin de ne pas payer  d’impôts et de cotisations sociales, et/ou de ses soustraire à des obligations réglementaires  (par exemple la durée légale maximale du travail, le salaire minimum…). 

- La production illégale (illegal production) qui vise des activités soit interdites par la loi (ex :  production  et trafic  de stupéfiants,  proxénétisme…) soit en  elles‐mêmes  légales  mais  subordonnées à une autorisation préalable qui n’a pas été demandée et obtenue (exemple :  exercice illégal de la médecine). On notera que le vol n’entre pas dans cette catégorie car ne  relèvent de la production que les transactions reposant sur le consentement mutuel des  parties impliquées. 

- La production non observée du secteur informel (non‐observed informal sector production) :  sont visées des activités d’ampleur réduite impliquant des entreprises non répertoriées dans  les registres publics et où les relations de travail ne sont pas contractualisées. Échapper à  l’imposition ou à la réglementation ne doit pas être la seule motivation pour demeurer dans  le secteur informel. 

- La production des ménages pour usage final propre (production of households for own final  use) : sont visés principalement les cas d’autoconsommation alimentaire, ou de ménages 

construisant  eux‐mêmes  leur  propre  logement  (sans  recourir  à  une  entreprise  de  construction). 

- La production non observée du fait de déficiences du système de collecte (production missed  due to deficiencies in data collection programme) : sont visées là par exemple les activités  d’entreprises nouvellement créées ou de très petite taille qui ne cherchent pas à s’exonérer  des impôts ou de la réglementation, mais dont le système statistique peine à rendre compte  correctement via ses enquêtes. Mais le défaut de couverture peut aussi avoir une origine  réglementaire : par exemple, en France, le développement de régimes d’imposition dans  lesquels  les  obligations  déclaratives  sont  extrêmement  simplifiées  (cas  de  l’auto‐

entreprenariat et plus généralement du régime fiscal des micro‐entreprises : seul le chiffre  d’affaires est déclaré) limite la capacité des statisticiens à appréhender précisément l’activité  des très petites entreprises via leurs liasses fiscales. 

Ces différentes catégories peuvent partiellement se recouper. Par exemple la prostitution non  déclarée peut relever aussi bien de la production souterraine que de la production illégale (Encadré 2  et annexe 5.7). De même il n’est pas forcément simple, dans le cas d’une entreprise ne remplissant  pas toutes ses obligations déclaratives, de déterminer si son comportement est mû uniquement par 

Encadré 2 : L’évaluation de l’importance de la prostitution dans l’économie 

En principe la prostitution n'est pas une activité illégale en France. Toutefois le proxénétisme est depuis longtemps un  délit, voire un crime selon les circonstances dans lesquelles il est commis. De plus, la loi d'avril 2016 pénalise le fait de  recourir aux services d'un(e) prostitué(e), la sanction prenant la forme d'une amende. Tout concourt donc à ce que la  prostitution s'exerce dans un cadre largement dissimulé. Dans certains cas pourtant les revenus de la prostitution peuvent  être déclarés, mais en général sous couvert d'une autre activité (ex : salons de massage) : la prostitution est donc dans  tous les cas difficiles à isoler et quantifier à partir de sources administratives. 

Par ailleurs, la prostitution recouvre en pratique trois segments distincts : la prostitution indoor dans des bars, salons de  massage, etc. qui serait nettement minoritaire (8 %) ; la prostitution de rue ou outdoor (30 %) ; et la prostitution via  internet, qui serait nettement majoritaire (62 %). La quantification de ces phénomènes est complexe, et a été abordée  essentiellement par des organisations internationales (BIT, United nations office on drugs and crime – UNODC...) ou des  ONG (fondation TAMPEP, Mouvement du Nid...). 

Les sources et méthodes d'estimation sont diverses. Certains approches reposent sur des données administratives,  policières notamment, relatives par exemple au nombre de personnes victimes d'exploitation sexuelle identifiées par la  police ou la justice. Toutes les personnes victimes d'exploitation sexuelle n'étant pas connues des services de police ou de  justice, ces approches nécessitent de recourir à des hypothèses très fortes quant au taux de détection des personnes  victimes d'exploitation sexuelle, aussi bien qu'à la part des victimes d'exploitation sexuelle parmi les personnes se  prostituant, pour en déduire une estimation globale du nombre de prostitué(e)s en activité. D'autres approches cherchent  à éviter le recours à ce type d'hypothèses en privilégiant des enquêtes auprès d'institutions (services de santé, ONG) en  contact direct avec les prostitué(e)s. 

Afin d'affiner quelque peu les estimations – malgré tout très incertaines ‐ ces approches par l'offre peuvent en outre être  confrontées à des approches par la demande visant à estimer par des enquêtes en population générale la proportion de  clients de prostitué(e)s, et la fréquence à laquelle ils recourent aux services de prostitué(e)s. 

L'étude Prostcost menée par le Mouvement du Nid, et publiée en 2015 – ce qui en fait la synthèse la plus récente – a ainsi  mobilisé des données très diverses émanant notamment des services de police, de différentes ONG, d'enquêtes ad hoc  auprès de journalistes, sociologues ou experts, ainsi que de l'analyse des annonces sur internet. En redressant quelque  peu Prostcost, l’estimation médiane serait de 31 000 prostitué(e)s en équivalent temps complet, dans une fourchette de  26 000 à 38 000. Ces estimations semblent raisonnables même s'il existe d'autres estimations sortant de cette fourchette. 

La contribution au PIB des activités de prostitution serait de l’ordre de 2 Md€ en 2010, soit 0,1 % du PIB. 

la volonté d’échapper à l’impôt et à la réglementation (auquel cas il s’agit de production souterraine)  ou non (auquel cas il s’agit plutôt d’économie informelle). 

Il est à noter que concept d’ENO a d’abord une visée pratique : identifier les cas de sous‐estimation  du niveau de l’activité économique et rechercher des solutions aux problèmes identifiés. De ce fait  l’ampleur quantitative de l’ENO est très liée au contexte national. C’est naturellement vrai du  contexte réglementaire : la production souterraine sera naturellement plus limitée dans un pays à  faible imposition, ou dépourvu de réglementation en matière de salaire minimum ou de durée  maximale du travail. Mais l’ampleur du phénomène dépend aussi des efforts consentis par les  pouvoirs publics pour lutter contre ces formes d’activité : plus l’effort est intense et efficace, et  moins la production souterraine sera développée. Enfin, l’importance quantitative de l’ENO est liée à  l’infrastructure statistique elle‐même : l’importance de la production non observée du fait de  déficiences  du système de collecte  est très  variable  selon  qu’il existe  ou  non des  systèmes  d’enquêtes visant à couvrir toutes les entreprises, y compris les entreprises récentes ou de très  petite taille. 

Enfin, l’Insee ‐ en charge de l’élaboration des comptes nationaux ‐ considère que la catégorie de la  production non observée du secteur informel n’est pas pertinente dans le contexte français. La  notion est plus adaptée au contexte d’économies en développement où les pouvoirs publics font  souvent preuve d’une assez grande tolérance envers un vaste secteur informel où les relations  commerciales comme de travail sont très peu contractualisées. Rien de tel ne s’observe en France où  l’approche des pouvoirs publics vise plutôt à formaliser au maximum les relations de travail et les  droits sociaux associés, fût‐ce au prix d’exemptions sociales et fiscales visant à décourager l’activité  informelle : le cas des particuliers‐employeurs en est sans doute l’exemple le plus accompli.