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L’enquête auprès des ménages sur le travail dissimulé

3. Les travaux récents en France

3.9.   L’enquête auprès des ménages sur le travail dissimulé

3.9.1. Le contexte général

À l’instar des travaux menés à l’étranger,54 la DNLF et la DGE ont piloté conjointement en 2015 une  enquête expérimentale auprès des ménages sur le travail dissimulé et la fraude. Première enquête  de cette nature au niveau national, elle constitue une démarche innovante en France. Cette enquête 

« pilote » a été réalisée par le CREDOC afin d’appréhender les principaux comportements frauduleux  et la perception des ménages quant aux phénomènes de fraude. A la demande de la DGE, elle  comportait également un volet spécifique sur le secteur des services à la personne (cf. section  4.1.2.3). 

Cette enquête a permis d’obtenir des informations sur l’ampleur du phénomène et sur les différents  comportements de fraude en matière de travail dissimulé (panorama des pratiques de fraude, causes  et motivations à frauder des individus et perception des risques encourus). Elle permet, en outre, de  valider la démarche en vue, par exemple, d’un éventuel déploiement à plus grande échelle.  

3.9.2. La méthodologie

L’enquête a été réalisée en face‐à‐face en juin 2015, auprès d’un échantillon de 2 004 personnes de  18 ans et plus, vivant en France, représentatives de la population française, sélectionnées selon la  méthode des quotas (région, taille d’agglomération, âge‐sexe, professions et catégories socio‐

professionnelles). Un redressement final est effectué pour assurer la représentativité de l’échantillon  par rapport à la population nationale. 

Le questionnaire a été élaboré de manière à garantir l’anonymat et la confidentialité des réponses. 

Les questions ont été posées dans un ordre facilitant la révélation de l’information : en utilisant  notamment  quelques  questions  introductives  sur  les  comportements  en  général,  puis  dans  l’entourage avant d’aborder la situation personnelle de l’interviewé. 

Les enquêteurs sur le terrain ont témoigné du bon déroulement de l’enquête : les questions sur les  comportements de fraude ne semblent pas avoir choqué, ni gêné les interviewés. Les taux de non  réponse enregistrés s’avèrent très proches des questions portant sur d’autres sujets plus consensuels  (autour de 3%). 

L’enquête  révèle  des  comportements  de  fraude  cohérents  avec  d’autres  travaux  (DARES,  Commission européenne, etc.). Les résultats sont riches en informations sur le type de travail  effectué et cohérents entre eux.  

Le choix d’interroger l’ensemble de la population adulte et non les seuls salariés s’avère pertinent  dans la mesure où une part importante des fraudes a été révélée par des étudiants ou des personnes  en situation de chômage. 

      

54 Enquêtes conduites par de nombreux pays (e.g. Canada, Belgique, Allemagne, Danemark, Norvège), ainsi que  par la Commission Européenne. 

Soixante‐trois questions spécifiques relatives à la fraude ont été insérées dans l’enquête permanente  du CRÉDOC sur les « Conditions de vie et Aspirations » de la population.55   Ces questions ont été  regroupées selon trois items : le recours au travail dissimulé, la perception des risques encourus et  l’acceptabilité de la fraude. 

 

3.9.3. Les principaux résultats

Le recours au travail dissimulé 

Lorsqu’on leur demande quelle proportion travaille selon eux de manière non déclarée, 70% des  personnes interrogées considèrent qu’au moins 20% de leurs compatriotes travaillent de manière  non déclarée (Figure 10). Mais, 51% d’entre eux pensent que leur entourage n’est pas concerné.  

Le  travail dissimulé semble  toucher toutes  les catégories sociales et  toutes les  classes d’âge. 

Cependant, les hommes ainsi que les bas revenus sont plus représentés. Les retraités sont, en  revanche, très peu représentés. 53% des travailleurs dissimulés sont des salariés ou exercent pour  leur propre compte, 21% sont demandeurs d’emploi, 18,2% sont étudiants et 7,8% sont retraités ou  personnes au foyer. 

  Les secteurs les plus concernés (Figure 11) sont la construction (21%), l’hébergement ‐ restauration  (20%), ainsi que les arts et spectacles (9%). Ces trois secteurs représentent la moitié du travail non  déclaré. 

Ce classement ne correspond pas à celui de l’emploi déclaré pour lequel ces trois secteurs ne  couvrent que 14% de la masse salariale du secteur privé (ACOSS, 2016). Mais l’enquête s’étant  déroulée sur le seul mois de juin 2015, elle estime de manière incomplète les travaux saisonniers.56        

55 L’enquête « Conditions de vie et Aspirations » existe depuis 1978 et est menée 2 fois par an, en janvier (online) et juin  (face‐à‐face) auprès d’un échantillon représentatif de la population française des 15 ans et plus. Elle interroge pour chaque  vague entre 2 000 à 3 000 personnes. 

56 La réalisation d’une enquête dont les interviews seraient réparties tout au long de l’année pourrait  permettre de mieux apprécier le phénomène saisonnier, i.e. les « jobs d’été » et le travail saisonnier agricole, le  pic d’activité commerciale des fêtes de fin d’année, les creux éventuels dans l’activité dissimulée, etc. 

Figure 10 : « A votre avis, quelle est la proportion de personnes travaillant de manière non déclarée ? »

 

Source : DNLF-DGE-CREDOC, enquête « Conditions de vie et aspirations », juin 2015

Figure 11 : Secteur d’activité de l’activité non déclarée 

Champ : a effectué une activité non déclarée le mois dernier  NB : Question ouverte recodée par l’enquêteur selon la NAF 

 

Source : DNLF-DGE-CREDOC, enquête « Conditions de vie et aspirations », juin 2015

L’emploi dissimulé constitue pour la majorité des personnes interrogées une activité à temps partiel  et, pour près de la moitié des personnes, un emploi en complément d’un emploi déclaré (Figure  12). L’emploi dissimulé s’apparente dans ce cas à un revenu d’appoint. Les personnes dont l’emploi  dissimulé constitue un second emploi déclarent le même nombre d’heures déclarées que les autres  salariés. Ce résultat tend à montrer que le temps travaillé de manière dissimulée semble se rajouter  aux autres types d’emploi plutôt que de s’y substituer. 

La rémunération horaire pour le travail dissimulé est en moyenne de 10€ de l’heure, c’est‐à‐dire  supérieure au SMIC horaire57 et très proche du salaire horaire déclaré net indiqué par l’enquête  (11€).58  

Figure 12 : « Exercez‐vous… uniquement des heures déclarées, des heures non déclarées et non déclarées… ? 

» 

Aucune heure travaillée le mois dernier

49,5%

Uniquement des heures  déclarées

41,4%

Heures déclarées et non  déclarées

1,8%

Uniquement des heures  non déclarées 

2,0%

Refus de répondre 5,2%

3.9%

+

 

Source : DNLF-DGE-CREDOC, enquête « Conditions de vie et aspirations », juin 2015

 

La  première  des  motivations  avancées  pour  justifier  l’activité  dissimulée  est  d’obtenir  un  complément de revenus et dans 43% des cas, les travailleurs dissimulés déclarent ne pas avoir le  choix.   

      

57 Au 1er janvier 2015, le SMIC horaire était de 7,53€ net. 

58 Ce résultat est conforme aux travaux menés par la Direction Générale du Trésor : DG Trésor (2016). « La  politique de soutien aux services à la personne », Lettre Trésor‐Eco n°175. 

Figure 13 : La perception de la gravité des comportements frauduleux 

Question : Nous voudrions connaître votre avis sur certains comportements. Pour chacun d’entre eux, pouvez‐vous me dire si vous les  trouvez acceptables ou non, selon une échelle allant de 1 « Totalement inacceptable » à 10 « Totalement acceptable » ? – (en %) – 

Champ : ensemble de la population (2004 obs.)   

 

Note :  « Totalement  inacceptable » correspond  à  la  note  1,  « Peu  acceptable »  regroupe  les  notes  à  4, 

« Toléré » les notes 5 à 9, « Totalement acceptable » correspond à la note 10. 

Source : DNLF-DGE-CREDOC, enquête « Conditions de vie et aspirations », juin 2015

Enfin, le travail non déclaré a été obtenu par le biais d’un proche ou d’une connaissance dans 78% 

des cas. Le système de petites annonces ou d’offres sur Internet semble, quant à lui, très peu  mobilisé. 

Les perceptions quant à la fraude et aux risques encourus 

L’enquête révèle que la non déclaration du travail est un comportement toléré : 30% des personnes  interrogées pensent que le travail dissimulé est un comportement acceptable et 39% qu’il est  acceptable de faire travailler quelqu’un sans le déclarer (Figure 13).  

Le travail dissimulé est ainsi mieux toléré par nos concitoyens que la perception indue de prestations  sociales, qui apparaît comme un comportement totalement inacceptable par 74% des personnes  interrogées.  

Une personne sur deux (52%) juge la fraude fiscale totalement inacceptable. Toutefois, 78% des  personnes interrogées pensent que le niveau de prélèvements obligatoires est trop élevé et 73% que  cela incite à frauder. 

Enfin, il a été demandé aux interviewés d’évaluer le risque de détection d’une activité non déclarée.59  Le travail dissimulé est perçu comme peu risqué pour près de 60% des personnes interrogées. Il est  jugé moins risqué qu’une sous‐déclaration des revenus aux autorités fiscales et qu’une fraude aux  prestations sociales. De même, l’emploi d’une personne à domicile sans la déclarer est jugé moins  risqué que de ne pas déclarer l’ensemble de ses revenus aux autorités fiscales ou de percevoir  indûment des prestations sociales. 

      

59 Une note a ainsi été attribuée de 1 à 10, où 1 correspond à « aucune chance d’être repéré » et 10 à 

« forcément repéré ». 

Enseignements 

L’enquête  pilote  sur  les  comportements  de  fraude  a  permis  de  mieux  comprendre  les  comportements de fraude, ainsi que  les motivations sous‐jacentes, la perception des  risques  encourus et l’acceptation par la société des phénomènes de fraude. Elle a permis également de  quantifier un phénomène qui, par nature, est difficile à appréhender.  

Les appréhensions initiales que l’on pouvait avoir quant à la volonté des personnes interrogées de  répondre au questionnaire ont pu être levées. Les réponses obtenues sont, par ailleurs, cohérentes  et conformes aux résultats enregistrés dans d’autres travaux. 

L’expérience conduite au travers de cette première enquête confirme l’intérêt de cette méthode  directe et appelle au développement d’enquêtes régulières et de plus grande envergure pour suivre  l’évolution des phénomènes de fraude. 

Enfin, des recommandations en termes de politiques publiques et en termes d’évaluation de la  fraude doivent pouvoir être produites grâce à cette approche. Dans cet objectif et afin d’approfondir  ces premiers résultats, un contrat de recherche a été signé, en décembre 2016, par la DNLF avec un  laboratoire du CNRS. Le rapport sera remis en juin 2017.