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3. L’intervention réalisée dans le service technique de la propreté de Paris

3.5. Le travail réalisé en comité de pilotage

3.5.1. Objectifs du travail clinique en comité de pilotage

Dans notre dispositif d’intervention, le comité de pilotage remplit la fonction de destinataire des analyses réalisées par le collectif de chefs d’équipe. Nous cherchons à y mettre au travail, entre les concepteurs de l’organisation, les analyses réalisées en autoconfrontation. L’objectif consiste à développer l’interprétation de la situation qui pose problème entre les membres de ce comité, afin qu’ils puissent envisager différemment, si nécessaire, la conception des tâches pour le métier de chef d’équipe, et ce afin de ne pas séparer l’action locale qui se réalise avec le collectif de chef d’équipe, et l’action plus générale sur l’organisation. Nous partageons en ce sens la même préoccupation que Sarnin, Bobillier-Chaumon, Cuvillier et Grosjean (2012, p.260), ou que Bobillier-Chaumon (2013) qui indique que le processus de transformation implique la prise en compte de différentes dimensions, de la plus personnelle à la plus impersonnelle (p. 165).

Pour cela, nous mobilisons des outils méthodologique encore trop peu explicités en clinique de l’activité, mais qui sont en cours de formalisation (voir par exemple Quillerou-Grivot, 2011 ; ou Bonnefond, Clot, & Scheller, 2015). Nous ne pouvons contribuer nous-même à cette formalisation, dans la mesure où nous n’avons pas pu recueillir les matériaux empiriques nécessaires pour réaliser ce travail. Il nous a en effet été impossible d’enregistrer les échanges entre les différents concepteurs lors des comités de pilotage.

Le comité de pilotage est une instance particulière à l’intérieur du dispositif d’intervention. L’installation d’un « plurilinguisme » entre les concepteurs ne peut pas suivre les mêmes

78 voies de réalisation que dans le collectif professionnel. Il semble en effet beaucoup moins évident d’engager un travail d’analyse dans ce type d’instance, comparé au travail d’analyse réalisé avec le collectif de chefs d’équipe, premièrement parce que ce travail d’analyse fait d’abord question pour les membres du comité de pilotage, et deuxièmement parce que nous disposons encore de très peu de méthodes d’action capables de supporter notre travail clinique dans ces comités. L’engagement des concepteurs dans un travail d’analyse sur leur propre activité semble également difficile à mettre en place dans la mesure où le comité de pilotage ne réunit pas un groupe de pairs. Entre les concepteurs, se jouent des enjeux hiérarchiques et des enjeux de pouvoirs, qui viennent sans doute entraver la possibilité d’organiser la comparaison entre eux sur leurs manières de faire à partir des analyses réalisées par le collectif de chefs d’équipe.

Ainsi, pour les membres du comité de pilotage, il n’est pas d’emblée perceptible que leur engagement dans un travail d’analyse soit nécessaire, dans la mesure où le problème de l’absentéisme prend spontanément sa source dans le travail des chefs d’équipe, ou chez les chefs d’équipe eux-mêmes, et n’est pas immédiatement relié dans l’esprit de nos interlocuteurs à la question de l’organisation plus générale du travail. C’est pourquoi nous avons mobilisé des moyens techniques d’action dans ce cadre à partir des données mobilisées avec le collectif de professionnels, pour installer un cadre d’analyse dans lequel les points de vue des uns et des autres peuvent être discutés.

Lors des séances de travail en comité de pilotage, le groupe commence par prendre connaissance des extraits d’analyses de l’activité des chefs d’équipe à l’aide des traces vidéo préparées par l’intervenant avec les chefs d’équipe, au cours des séances de restitution. Nous cherchons ici à inscrire les représentants de l’institution comme destinataires de l’activité d’analyse des chefs d’équipe. Nous présentions l’extrait d’analyse filmé comme un document adressé par le collectif de chef d’équipe aux différents membres du comité de pilotage.

Suite à la visualisation de l’extrait, nous laissions les concepteurs exprimer leurs points de vue sur le problème soulevé dans l’extrait vidéo. Le travail clinique consistait ensuite à créer les conditions d’un échange contradictoire entre les différents membres du comité, de sorte que cet espace puisse devenir un espace de débat documenté, « instruit » et « équipé », réservé aux décideurs de l’organisation du travail à partir des dialogues réalisés entre les chefs d’équipe sur leur activité.

Lors des premiers comités de pilotage, les concepteurs ont regardé les films d’activité et de co-analyse de l’activité en cherchant très fréquemment à repérer les manières de faire « à

79 risque » chez les chefs d’équipe. Les discussions revenaient souvent au départ sur les écarts entre les comportements observés et la prescription. Mais par la suite, s’est exprimée la difficulté à trancher entre les différentes manières de faire, car les arguments de chaque chef d’équipe étaient « valables ». Cette difficulté à trancher a constitué un ressort clinique important pour engager la discussion entre les membres du comité de pilotage.

3.5.2. Statut et fonction des films d’autoconfrontation en comité de

pilotage : engager le dialogue en l’absence des chefs d’équipe

Pour les quatre premiers comités de pilotage, le directeur du service technique de la propreté de Paris n’a pas souhaité la présence des chefs d’équipe du collectif. De son point de vue, le comité de pilotage doit constituer une instance dédiée aux concepteurs de l’organisation. De même, il a récusé la proposition d’y intégrer les organisations syndicales, car il craignait que le dialogue ne se complique au sein de l’instance de pilotage de l’intervention. Cette crainte a sa légitimité. Elle montre surtout sa volonté de discuter « autrement » dans le cadre du comité de pilotage, comparé aux cadres habituels qui existent déjà dans l’institution. Il semble impossible d’imaginer que l’on puisse discuter « autrement » avec les syndicats. Même si d’autres expériences existent sur ce point (Bonnefond, Scheller, & Clot, 2015), on peut bien sûr le comprendre.

Du point de vue de la méthode d’action à l’intérieur de ces comités, nous avons alors cherché à ne pas rester prisonniers d’un dialogue en « face à face » entre les concepteurs et les chercheurs. De notre point de vue, il fallait médiatiser la parole et l’activité des chefs d’équipe à l’intérieur de ces comités indirectement, même en leur absence. C’est pourquoi nous avons pris le parti de présenter des montages filmés conçus avec le collectif, comprenant des séquences de dialogues en autoconfrontation croisée, ainsi que des séquences d’activité recueillies en situation de travail. La présentation de ces séquences visait à faire du matériau dialogique des autoconfrontations croisées un moyen pour les concepteurs de s’interroger à la fois sur l’activité des chefs d’équipe, et sur leur propre activité de conception. C’est pourquoi, l’existence des « voix » du collectif nous a semblé indispensable.

Dans le cadre des comités de pilotage, la méthode en autoconfrontation change donc de statut. Elle n’est plus seulement un moyen dialogique d’analyse de l’activité pratique des chefs d’équipe, mais elle constitue un moyen d’engager la discussion entre les concepteurs de l’organisation sur leur activité propre. La méthode qui constituait un moyen de développer les

80 ressources de l’activité des chefs d’équipe, devient ici un moyen pour le développement des ressources à l’intérieur du comité de pilotage.

L’usage que nous faisons des traces dialogiques de l’autoconfrontation en comité de pilotage organise une forme de « médiation de la parole » et de l’activité des chefs d’équipe, qui peut ainsi exister dans le cadre des séances de travail avec les décideurs. En ce sens, cette médiation de la parole par le film a constitué pour nous une manière de développer la fonction sociale du collectif en faisait « passer ses voix » dans l’instance délibérative du comité de pilotage. C’est dans ce cadre que la conflictualité entre les rapports de pouvoir hiérarchique et l’expertise sur le travail des chefs d’équipe a pu se développer au sein d’une tension productive (Bonnefond, Clot, & Scheller, 2015). Il fallait trouver le moyen de mettre en discussion le point de vue du collectif sur son propre travail afin de provoquer, entre les prescripteurs, un travail d’élaboration de leur propre point de vue sur la situation, mais aussi afin d’asseoir la capacité d’expertise du collectif sur les obstacles du travail quotidien. C’est le recyclage des séquences en autoconfrontation au sein du comité de pilotage qui s’est révélé constituer une voie d’action intéressante en la matière. En retour, les objections formulées en comité de pilotage sont des ressources potentielles pour le collectif.

Nous avons présenté un montage filmé dans les comités de pilotage n°3 et n°4 et n°5 (Cf. calendrier de l’intervention). Ces montages constituaient les résultats des analyses réalisées avec le collectif sur la situation de mise en route du travail, en atelier de « balayage » et en atelier de « collecte », en lien avec leurs manières de prendre soin de l’engagement des éboueurs dans leur travail, les ressources qu’ils mobilisent pour cela et les contraintes et obstacles qu’ils rencontrent pour le faire. Au cours de ces comités de pilotage, les concepteurs ont pu faire l’expérience contradictoire de la richesse des discussions entre les chefs d’équipe pour penser l’organisation, de l’intelligence des situations que permettaient les controverses entre eux, mais également de l’insuffisance des films projetés pour approfondir ces questions. Le directeur du service exprimera à plusieurs reprises le caractère « impressionnant » des films projetés, même si existe la difficulté à leur donner un destin spécifique dans son activité propre. De même, un chef de division nous dira comment ces dialogues constituent de son point de vue une « fenêtre ouverte sur l’atelier ».

C’est pourquoi, lors du quatrième comité de pilotage, les concepteurs ont décidé de convier le collectif à participer à la séance de travail suivante, afin de pouvoir s’entretenir directement avec lui sur les ressources et les obstacles du travail d’encadrement.

81 Nous reviendrons ensuite sur cette 5ème séance, dans laquelle le collectif était présent, et qui

constitue une conséquence du développement effectif de la fonction psychologique et sociale du collectif de travail.

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4. Résultats de l’intervention et émergence de la

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