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1. Les rapports entre pensée et langage dans l’activité d’analyse en autoconfrontation

1.3. La réalisation des affects dans l’activité langagière

Il nous faut à présent introduire dans le rapport entre la pensée et le langage la question de l’affect. Le travail de Vygotski constitue sur ce point une ressource importante, bien que sa conception de ces rapports n’ait pu être menée à son terme.

Pour lui « la première question qui se pose, lorsque nous parlons du rapport de la pensée et du langage avec les autres aspects de la conscience, est celle de la liaison entre intellect et

114 d’avec son aspect affectif, volitif est l’un des défauts majeurs et fondamentaux de toute la psychologie traditionnelle » (Ibid.).

Le dernier plan, le plus intérieur, qui permet à Vygotski de décrire le passage de la pensée à la parole est celui du motif (voir supra) : « l’analyse psychologique d’un énoncé quelconque ne parvient à son terme que lorsque nous découvrons ce dernier plan intérieur de la pensée verbale, le plus secret : sa motivation » (Ibid., p. 495). Dans le dernier chapitre de Pensée et

langage, Vygotski analyse la fonction de la « sphère motivante de la conscience » dans le

rapport qu’il cherche à établir entre la pensée et le langage. Il indique que la pensée « prend naissance elle-même non pas dans une autre pensée mais dans la sphère motivante de notre conscience, qui englobe nos impulsions et nos besoins, nos intérêts et nos mobiles, nos affects et nos émotions. Derrière la pensée il y a une tendance affective et volitive. Elle peut seule répondre au dernier "pourquoi" dans l’analyse de la pensée. » (Ibid., p.494).

L’auteur compare alors la pensée à un nuage « déversant une pluie de mots » (Ibid.) et, dans la continuité de cette métaphore, propose de regarder la motivation, qui comprend les affects et les émotions, comme le « vent qui met en mouvement les nuages » (Ibid.). C’est pourquoi la pensée ne peut être appréhendée uniquement du point de vue de l’intellect. L’affect met la pensée en mouvement lorsqu’elle se réalise dans le langage. Autrement dit, il existe dans l’activité de pensée des affects qui, eux aussi, se réalisent dans le langage.

Vygotski indique que « pour comprendre le langage d’autrui, la seule compréhension des mots est toujours insuffisante, il faut encore comprendre la pensée de l’interlocuteur. Mais la pensée de l’interlocuteur est elle-même incomplète si l’on ne comprend pas son motif, ce qui lui fait exprimer cette pensée. » (Ibid., p. 495). L’activité langagière ne consiste pas seulement à produire verbalement un énoncé, elle doit également, en quelque sorte, imprimer dans les mots l’intention, de nature affective, associée à cet énoncé. Cette « impression » de l’affect dans le langage se réalise dans le mot. C’est pour cette raison que le langage réalise l’affect, dans la mesure où ce dernier constitue la source qui a donné naissance à la pensée. Nous reviendrons plus tard sur l’idée que l’affect se réalise aussi sous d’autres modalités que la modalité langagière.

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Synthèse

La première étape de notre élaboration théorique vise à rendre compte des rapports qui s’établissent entre la pensée et le langage dans le cadre de la méthode que nous étudions. L’étude du « microscope » (Vygotski, 1999), c’est-à-dire l’étude de la méthode que nous avons utilisée dans l’intervention, commence par l’étude des rapports entre la pensée et le langage. En repartant des travaux de Vygotski (1997) sur le fonctionnement et le développement de ces rapports, en les regardant dans le cadre particulier de l’autoconfrontation (Kostulski, & Clot, 2007), il apparaît que l’affectivité semble jouer un rôle spécifique qui engage une activité de pensée chez le sujet.

Le développement des rapports entre la pensée et le langage est au fondement de la méthode en autoconfrontation. Cette dernière vise à provoquer, par la répétition des contextes d’analyse (autoconfrontation simple, autoconfrontation croisée, restitutions au collectif) un développement de ces rapports afin que l’interprétation de la situation chez les professionnels de terrain puisse se transformer. Ce mouvement est rendu possible car la pensée se réalise dans le langage. Le passage de la pensée au mot se conçoit alors comme une transformation de l’un dans l’autre. La pensée se transforme simultanément à sa réalisation dans le langage. Dans l’activité d’analyse en autoconfrontation, l’activité langagière constitue un instrument de l’activité d’analyse en cours. Elle ne constitue pas un objectif direct du cadre dialogique de l’autoconfrontation, mais un moyen de réaliser une activité d’analyse sur l’activité pratique à partir de la demande formulée par les professionnels. L’activité langagière supporte donc ici deux statuts de manière successive : les productions langagières locales se constituent comme ressources pour poursuivre l’activité d’analyse. Inversement, les événements de pensée qui se produisent dans le cours de l’activité d’analyse constituent une ressource au service du développement de l’activité langagière entre les professionnels.

Le cadre de l’autoconfrontation vise à favoriser ces processus de migrations fonctionnelles, de source en ressource, car ce sont eux qui organisent le développement de l’activité de pensée en lien avec l’activité pratique.

A l’intérieur de ce processus, l’affect semble jouer un rôle moteur. Nous avons vu que pour Vygotski (1997), l’affect est compris dans « la sphère motivante de la conscience », et constitue la source du développement de la pensée.

Il nous faut maintenant tenter de préciser la conceptualisation de l’affect, afin de mieux comprendre en quoi il pourrait jouer un rôle moteur et développemental à l’intérieur des rapports entre la pensée et le langage.

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