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3. L’intervention réalisée dans le service technique de la propreté de Paris

3.1. Construction de la commande et action engagée auprès des commanditaires

commanditaires

3.1.1. La commande initiale

La commande initiale a été élaborée par le chef du service de prévention des risques professionnels de la DPE, ainsi que par l’ergonome de ce même service. Le service doit participer à la réalisation d’une formation auprès de l’ensemble des 600 chefs d’équipe des éboueurs. Sur le volet prévention, cette formation doit porter sur « la prévention des risques liés à l’activité physique »4. C’est lors de la conception de cette formation que le chef de

service et l’ergonome on fait le constat de « la connaissance largement insuffisante du métier d’encadrant de proximité à la propreté de Paris. ». Ce déficit de connaissance du métier occasionne des difficultés dans la conception de la formation en matière de prévention des risques liés à l’activité physique. Car, pour ces concepteurs, le contenu de formation doit s’appuyer avant tout sur une bonne connaissance du travail réel, c’est-à-dire des compromis réalisés dans l’activité d’encadrement vis-à-vis des risques professionnels des éboueurs. C’est pourquoi, « la mise en lumière des préoccupations réelles des encadrants de proximité apparaît déterminante pour mieux appréhender la construction du répertoire de savoir-faire mobilisables dans l’action. Construire une telle approche suppose alors de recourir à des méthodes en psychologie du travail dont ne dispose pas à ce jour la direction. ».

4 Nous reprenons ici des extraits du document qui nous a initialement été adressé, dans lequel on trouve la

46 L’objet d’intervention proposé consiste alors à « approfondir avec un groupe de ces personnels, les ressources du métier et comprendre comment celui-ci permet d’affronter ou non la gestion quotidienne en termes de management et d’organisation de l’activité ».

L’objectif consiste ainsi initialement à produire des connaissances sur l’activité des chefs d’équipe des éboueurs, afin de « renforcer les outils à disposition du chef d’équipe en complémentarité du dispositif de formation. Ces connaissances serviront également à mieux les accompagner dans un contexte où ces agents sont de plus en plus incités à s’emparer des techniques de gestion et de communication. ».

A ce stade de l’élaboration de la demande, le rapport à la formation en cours de conception est très présent. Mais, pour de multiples raisons, l’intervention ne pourra débuter de manière effective que l’année suivant cette première formulation de la demande, alors que la formation en question est déjà finalisée et mise en application auprès des chefs d’équipe. C’est pourquoi d’autres objectifs, plus généraux, vont être ensuite associés à l’intervention. L’objectif d’une meilleure connaissance du métier de l’encadrement de proximité reste une préoccupation centrale du service de prévention des risques, mais d’autres objets viennent s’ajouter aux préoccupations initiales. En particulier, la question des « risques organisationnels » (troubles musculo-squelettiques, risques psychosociaux) et celle de l’absentéisme des éboueurs, sont posées comme des questions importantes qui pourraient être travaillées à l’occasion de l’intervention auprès des chefs d’équipe des éboueurs.

La demande sociale est donc très « mouvante » en début d’intervention. Les multiples objets de travail potentiels qui se succèdent conservent cependant certaines constantes. Ainsi par exemple, le service de prévention des risques professionnels souhaite aborder ces questions sous l’angle du « développement du métier ». De même, soutenu par l’ergonome interne du service, la question du collectif reste toujours centrale : il s’agit de travailler au développement du métier de chef d’équipe, en permettant à un collectif de pairs de réaliser l’analyse de son propre travail. Par ailleurs, lors des entrevues réalisées auprès des membres de la direction (DRH, Chef du service de la propreté), nous avons travaillé avec eux pour délimiter le périmètre de l’intervention. Un certain nombre d’ateliers de travail ont été retenus par le directeur en fonction de leur taux d’absentéisme, afin d’y réaliser les premières observations du travail des chefs d’équipe. Huit ateliers ont été retenus à cet effet, dans quatre arrondissements de la ville : le 9ème, le 13ème, le 14ème et le 20ème. Le directeur semble alors

légitimement préoccupé par la question de l’absentéisme en lien avec le travail des chefs d’équipe.

47 C’est pourquoi, alors même que les objets de l’intervention sont toujours en cours d’élaboration, nous avons pu débuter l’intervention en proposant de mettre en place un dispositif d’intervention visant le « développement des ressources du métier par l’encadrement de proximité »5. Nous avons choisi de débuter l’intervention en constituant un

comité de pilotage, dans lequel l’objet d’intervention ainsi que les analyses réalisées avec le collectif pourraient être discutées. Parallèlement à cette construction, nous avons engagé un travail de terrain auprès des chefs d’équipe et de la hiérarchie intermédiaire en réalisant les premières observations du travail dans certains ateliers.

3.1.2. La spécification de l’objet d’intervention : l’absentéisme et le

développement du métier

Les deux premiers comités de pilotage se sont déroulés au cours de la première année d’intervention. Ils ont été largement consacrés à définir l’objet de l’intervention avec les concepteurs de l’organisation. Au cours de ces séances de travail, il est ressorti une préoccupation importante de la direction du service technique de la propreté de Paris pour la question de l’absentéisme des éboueurs. Cette dernière fait le constat d’un taux d’absentéisme anormalement plus élevé chez les éboueurs que chez les agents des autres directions de la Ville. L’hypothèse est alors formulée, au cours du premier comité de pilotage, que l’activité de l’encadrement de proximité contient sans doute des éléments qui pourraient éclairer ce taux d’absentéisme. La commande s’est donc orientée au cours des premiers comités de pilotages sur les rapports entre l’activité des chefs d’équipe, leurs manières de faire leur travail, et l’absentéisme des éboueurs.

Autrement dit, il s’agit de réaliser une analyse de l’activité des chefs d’équipes, encadrants directs des éboueurs, afin d’identifier et de discuter ce qu’on pourrait appeler « les facteurs managériaux de l’absentéisme ». Parallèlement à ce travail, la direction a déjà mis en place un plan d’action auprès des éboueurs, qui vise à réduire l’absentéisme, mais elle s’inquiète légitimement des effets potentiels de l’activité des encadrants de proximité, qui pourrait venir « entraver » les mesures prises auprès des éboueurs (entretiens de « retour d’absence » pour mieux comprendre les motifs de l’absentéisme, etc.) si les chefs d’équipe ne régulent pas suffisamment l’absentéisme et ses effets dans les situations de travail quotidiennes. L’analyse

48 est donc conçue au départ comme un moyen de limiter les risques « managériaux », et d’identifier dans l’activité les leviers sur lesquels il serait possible d’agir pour les réduire. Les échanges que nous avons eu avec les différents acteurs de l’organisation montre que la question de l’absentéisme ne se pose pas seulement au sein de la direction comme un problème « technique », face auquel il serait possible de trouver une réponse « technique ». Ce problème charrie avec lui une histoire complexe des rapports entre les concepteurs et les professionnels de terrain, comme nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer à partir du travail de T. Rousseau (2012). La capacité des chefs d’équipe à entretenir et à développer la « motivation » et l’engagement des éboueurs dans leur travail revêt un enjeu particulièrement important pour les concepteurs. Cet enjeu et cette histoire s’inscrivent jusque dans la conception de la tâche des chefs d’équipe, dont le travail consiste, entre autre, à « motiver et valoriser le travail des éboueurs »6. Mais la conception des moyens disponibles pour

l’entretien de cet engagement des éboueurs reste entièrement à la discrétion des chefs d’équipe. C’est pourquoi, l’orientation de l’objet de l’intervention vers la question de l’absentéisme par les concepteurs marque également la difficulté dans laquelle ils se trouvent pour concevoir les moyens de cet engagement au travail.

Dans ce processus, aucun dialogue n’est engagé entre les concepteurs et les encadrants de proximité de premier niveau, qui permette de prendre en charge la question. C’est même plutôt l’inverse qui se passe : la difficulté à résoudre le problème de l’absentéisme renforce la prescription et le contrôle, d’une part en renforçant la prescription des chefs d’équipe sur ce point (par exemple : réunions d’atelier de rappel des règles et des techniques du travail ; formation des chefs d’équipe aux techniques managériales, etc.), et d’autre part en organisant le contrôle des agents absents, afin de s’assurer de l’authenticité de leur arrêt. C’est pourquoi, au-delà d’un problème « technique », l’absentéisme transporte également dans l’esprit de nos interlocuteurs une dimension « affective » dirigée vers les professionnels de terrain, chefs d’équipe compris, qui ne réussissent pas à enrayer le phénomène alors même que cet enrayement fait partie intégrante de leur tâche. Il nous faut insister ici sur cet aspect de la commande, qui aura ensuite des effets lorsque nous la présenterons aux chefs d’équipe, afin de leur proposer de s’engager dans la co-analyse de leur travail en autoconfrontation croisée. Cette orientation sur la question de l’absentéisme s’est spécifiée lors de la première année d’intervention, notamment à l’issue du premier comité de pilotage. Nous avons alors pu engager le travail de constitution d’un collectif de professionnels volontaires pour réaliser

49 l’analyse de leurs activités en autoconfrontation. Ce sont ces éléments que nous allons reprendre ensuite.

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