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Partir de l’intervention : comment le dialogue s’est-il développé entre les prescripteurs

5. La problématique de recherche

5.1. Partir de l’intervention : comment le dialogue s’est-il développé entre les prescripteurs

développé entre les prescripteurs et le collectif ?

Nous pouvons à présent revenir sur les éléments qui ont présidés à l’élaboration de notre objet de recherche. D’abord, nous retenons que l’intervention a produit du dialogue dans l’organisation. Elle a permis d’installer les conditions pour qu’un dialogue d’abord inenvisageable se réalise finalement entre le collectif de professionnels et le comité de pilotage. C’est ce dialogue réalisé qui a réaffirmé l’engagement important des professionnels dans l’intervention, car ils se sont risqués à mettre en discussion leur point de vue sur la situation. Mais ce dialogue a également réaffirmé l’engagement des membres du comité de pilotage, qui se sont aussi risqués à rendre possible l’énonciation du point de vue élaboré par le collectif. Enfin, c’est ce dialogue réalisé qui a entraîné l’intervention dans de nouveaux développements possibles, comme en atteste le renouvellement de la collaboration avec le laboratoire de recherche dans le but de poursuivre l’action engagée. Ces résultats nous permettent de soutenir l’hypothèse d’un développement effectif du métier de chef d’équipe dans le cours de l’intervention.

Mais encore beaucoup de questions restent en suspens. Parmi ces questions, il nous semble que la plus importante concerne la possibilité même du dialogue réalisé en comité de pilotage : comment expliquer que, dans le contexte de cette organisation dans laquelle le l’échange sur le travail réel et ses empêchements est difficile – comme dans beaucoup d’entreprises en France – entre les décideurs et les professionnels de terrain, le dialogue ait pu « prendre » entre eux ? Ce résultat nous semble difficile à expliquer en première analyse. En effet, les chefs d’équipe ont clairement exprimé au départ leurs doutes sur la possibilité de ce dialogue.

En cherchant cette explication, nous voulons enrichir la clinique du travail sur un sujet souvent laissé dans l’oubli ou repéré comme obstacle (Kostulski, & al., 2011). Les chefs d’équipe ont tout de même formulé une demande, qui les a engagés dans la démarche d’analyse, et qui vise à mieux comprendre les manières possibles pour « faire revenir les éboueurs le lendemain », c’est-à-dire pour prendre soin de leur travail. C’est seulement

98 ensuite, dans le cours de la co-analyse que les chefs d’équipe ont accepté de se prêter à l’échange direct avec les concepteurs en comité de pilotage. Cette décision du collectif est sous tendue par le dispositif d’analyse, qui leur a permis de faire l’expérience du développement du pouvoir d’agir sur les situations de travail, notamment sur la situation de « mise en route » le matin et sur l’activité de répartition des tâches. On suppose ici que c’est cette expérience faite dans le cadre des autoconfrontations qui leur a permis d’envisager la possibilité de dialoguer avec leur hiérarchie.

Autrement dit, afin que le collectif se sente l’autorité13 suffisante pour la confrontation avec la

hiérarchie, il a d’abord fallu que cette autorité se développe entre eux dans le cours des séances en autoconfrontation. Or, nous nous questionnons sur cette autorité renouvelée. Comment a-t-elle pu se développer à l’intérieur du collectif avant de devenir le moyen de construire la confrontation directe avec les concepteurs en comité de pilotage ?

Du côté des décideurs, nous pensons que ce sont les films projetés lors des comités de pilotage qui ont rendus possible l’échange direct en fin d’intervention. Ces films présentent les chefs d’équipe du collectif alors qu’ils sont en train de se confronter – souvent jusqu’à la controverse entre eux – aux traces de leur activité réalisée. Le processus de comparaison dans lequel ils sont placés dans la situation d’autoconfrontation les pousse à dépasser le « déjà dit » et le « déjà pensé ». C’est pourquoi, dans les montages filmés visionnés en comité de pilotage, le dialogue tenu sur le travail par les chefs d’équipe est inhabituel pour les concepteurs. On pourrait dire que ce discours ne correspond pas au discours habituellement tenu face aux concepteurs. Au contraire les échanges entre chefs d’équipe présentés en comité de pilotage font ressortir que 1/ les problèmes soulevés sont partagés entre les professionnels ; 2/ les professionnels ont des réponses différentes pour faire face à la même difficulté ; 3/ ces réponses différentes sont argumentées dans le cadre de l’autoconfrontation présentée ; et 4/ ce processus argumentatif déstabilise les professionnels, il les pousse dans leurs retranchements et les amène à questionner le problème lui-même – les manières de l’envisager – ou les ressources constituées pour y faire face.

Lors des comités de pilotage, les concepteurs ont pu identifier ce cadre particulier des échanges en autoconfrontation. Ce cadre pousse les professionnels dans un débat contradictoire avec eux-mêmes et avec les autres. Ce qui est habituellement convenu entre eux peut ainsi se rediscuter. Les concepteurs ont formulé à plusieurs reprises leur compréhension de ce processus. Par exemple, lors du troisième comité de pilotage, nous

13 Selon M. Revault d’Alonnes (2006), « l’autorité est le prédicat d’un pouvoir auquel elle confère sa légitimité »

99 avons présenté le premier montage vidéo, dans lequel deux chefs d’équipe argumentent de manière soutenue vis-à-vis de leur manière de faire la « mise en route » dans leur atelier. A l’issue du visionnage, le directeur a exprimé sa difficulté à choisir entre les deux modalités de réalisation qui se révèlent dans la séquence. Il a indiqué qu’il avait déjà, au préalable, un avis sur la question, mais que le film avait modifié sa manière de voir les choses, et qu’il lui était maintenant impossible de trancher entre les deux modalités d’action possibles. De même un chef de division nous dira, après le visionnage, à quel point cet exercice du dialogue lui semblait d’abord impossible à réaliser avec des chefs d’équipe, « qui ne veulent habituellement jamais discuter ». Il soulignera le caractère « incroyable » des séquences de dialogues qui contredisent, de fait, l’évaluation habituelle.

Ces éléments marquent les effets importants du visionnage des dialogues sur les concepteurs. Ces films leur font quelque chose. Nous pensons que les dialogues présentés ont affecté les concepteurs de l’organisation à plusieurs niveaux : d’abord au niveau de la possibilité même de faire dialoguer les chefs d’équipe entre eux sur leur activité ; ensuite au niveau du grain d’analyse dans lequel peuvent « descendre » les chefs d’équipe. La précision des échanges réalisés entre les professionnels fait ressortir toute leur expertise sur la situation, parfois même en faisant apparaître les limites de l’expertise des prescripteurs eux-mêmes qui ont pu éprouver, à certains moments, des difficultés à comprendre finement la portée et le détail des échanges entre les chefs d’équipe.

De notre point de vue, ce sont ces éléments, éprouvés à plusieurs reprises (la découverte de l’expertise approfondie des chefs d’équipe, et la découverte qu’un dialogue est possible), qui ont amené le comité de pilotage à proposer un échange direct avec les professionnels du collectif. C’est au travers des montages filmés que nous avons présentés en comité de pilotage que l’activité collective a acquis un statut d’expertise imprévu du point de vue des concepteurs de l’organisation, et a ainsi rendu la présence du collectif légitime. C’est grâce à l’acquisition de ce statut particulier que le comité de pilotage a pu envisager la possibilité et l’utilité d’un échange direct. Lors de la quatrième séance en comité de pilotage, le directeur a exprimé son intérêt nouveau pour inviter les chefs d’équipe lors de la séance suivante. Il a indiqué « tout l’intérêt » qu’il y voyait maintenant, contrairement au début de l’intervention, lorsqu’il avait d’abord pensé contreproductif de les y intégrer.

C’est ce processus général d’engagement d’un dialogue effectif dans l’organisation qui nous pose question à l’issue de l’intervention. Le sentiment d’autorité s’est développé dans le cours des autoconfrontations. C’est pourquoi, afin de mieux comprendre sa genèse, notre recherche

100 porte sur la méthode des autoconfrontations elle-même. Nous cherchons à mieux comprendre les ressorts de l’autorité renouvelée des chefs d’équipe, d’abord sur leur propre travail. Quelle expérience ont-ils faite dans le cours de ces séances de travail, qui leur a permis de soutenir leur point de vue face à la hiérarchie ? Comment la méthode d’analyse a-t-elle développé leur engagement dans l’intervention jusqu’à la confrontation directe en comité de pilotage ? Comment se sont-ils engagés dans un dialogue soutenu entre eux ? Comment la méthode a-t- elle permis de « dénaturaliser » leur activité ? Comment la méthode a-t-elle rendue les choses discutables ?

Ce sont ces questions qui président à l’élaboration de notre objet de recherche.

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