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Transformations dans Paris : lever le verrou parisien.

PREMIÈRE PARTIE : CRISE ET REDRESSEMENT (début des années 1840-1871)

Carte 4. Carte des voies fluviales dans le bassin parisien

B. Survivance de la batellerie.

2. Transformations dans Paris : lever le verrou parisien.

Le plus grand défi consistait à faire de la Seine un axe de circulation continu entre les en amont et en aval de Paris. Malgré toutes les innovations techniques évoquées précédemment, la navigation dans Paris resta obstruée et périlleuse pendant encore de longues années258. Les débordements du fleuve n’étaient plus endigués par la vieille ligne brisée des quais bas et étroits, d’où périodiquement des inondations sur les rues et habitations environnante. Les premiers changements ont été réalisés en aval. Dès 1843, l’île Louviers a été annexée à la rive droite, les eaux ne formant plus qu’un unique jet épaissi. Les quais de la Grève au Louvre ont été ensuite redressés et réfectionnés. Le lit en amont du Pont-Neuf et plus tard en aval a été creusé259. En 1851, le service de la Seine procéda au dragage du fleuve, ainsi qu’au remblaiement des berges, ces opérations ont été achevées jusqu’à la Concorde. Quatre ports de tirage accordés aux marchands de bois en 1849260, ont été aménagés aux

258 AN (site de Pierrefitte-sur-Seine), F14 6729, Seine, traversée de Paris : améliorations et perfectionnements, an

VII-1860. 259

Moniteur universel, 27 octobre 1845, p.2604.

Invalides à l’Esplanade, au Gros-caillou ainsi qu’à l’Île-des-Cygnes261

. Enfin, les berges de la Conférence et Débilly furent achevées en 1856262.

Une transformation complète avait initialement été décidée en 1846263. Deux remparts de pierre devaient encastrer la Seine afin de préserver la ville contre les inondations. On procéda à l’exhaussement des berges et leur rectification en enlevant les anfractuosités du fleuve, au rétrécissement du lit ainsi qu’à l’extraction des bancs de sable. En outre, les ponts faisant obstacles devaient être modifiés. Les travaux s’étalèrent de 1845 à 1855. En septembre 1848, toute la berge gauche, du quai Saint-Bernard au Pont-Neuf fut renversée, remblayée et maçonnée par des centaines d’ouvriers.

Restait le barrage de la Monnaie. Cet ouvrage revêtait une importance toute particulière pour le paysage parisien264. Les travaux ont été supervisés par le fameux ingénieur Charles Antoine Poirée265, responsable alors de la navigation de la Seine depuis la limite du département de la Seine jusqu’à Rouen. Ces travaux faisaient appel aux plus récentes techniques de l’époque. Il proposait d’édifier un barrage fixe avec une écluse face à l’hôtel de la Monnaie et le remplacement du Petit Pont, le pont Saint-Charles et le pont au Double par trois arches simples. De même, il souhaitait créer un chemin de halage continu depuis le pont de l’Archevêché jusqu’au pont des Arts et appliquer des turbines à la hauteur de l’écluse pour assurer la distribution de l’eau dans des conduites souterraines. Cet agencement se voyait complété sur le petit bras par un barrage mobile à la hauteur du pont Notre-Dame, les pompes étant supprimées. La dépense estimée se montait à trois millions de francs, la dernière version déposée en janvier 1842266 étendait le nombre de barrages, et comprenait également la transformation de la plupart des ponts et la création de chenaux de navigation distincts pour la navigation montante et descendante267.

Ce dernier projet se révélait, comme on peut se l’imaginer, encore plus onéreux en se montant à 13 millions de francs et mobilisa plus de trois-cents ouvriers pour en consolider les

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Ces nouveaux ports étaient destinés au déchirage des trains et au recueillage des bois de charpente. Les ports du Gros Caillou et de l’Île-des-Cygnes étaient voués à se substituer au port de recueillage des Tuileries qui avait été enlevé après l’aménagement d’un chemin de halage sur la rive droite entre le Pont-Royal et le pont de la Concorde.

262

AN (site de Pierrefitte-sur-Seine), F14 6729, Situation ou crédits alloués par la loi du 31 mai 1846, 9 mars

1860.

263 Isabelle Backouche, La trace du fleuve, La Seine et Paris, Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en

Sciences Sociales, 2000, pp.359-366.

264 Isabelle Backouche, ibid., p.362.

265

AN (site de Pierrefitte-sur-Seine), F14 6729, Exposé de l’avant-projet de la canalisation du petit bras de la

Cité, 9 avril 1840.

266 AN (site de Pierrefitte-sur-Seine), F14 6729, Note remise à la commission d’enquête, 11 janvier 1842.

267

Jean-Baptiste Krantz, Note sur l’amélioration de l’amélioration de la navigation de la Seine entre Paris et Rouen, Saint-Germain-en-Laye, 1er mai 1878, 78p.

fondations. Flanqué d’une écluse longue de 120 m et 12,50 m de large, il était la réunion de quatre secteurs de 10 m de large, appuyés sur des piles en maçonnerie. L’écluse de la Monnaie ne fonctionna qu’à partir du mois d’avril 1854 et le petit bras de la Seine totalement canalisé ne fut ouvert de manière définitive à la navigation qu’en octobre de la même année. Cette dernière décision impliqua la suppression du service du pilotage des ponts de Paris en vertu d’une ordonnance du préfet de police du 26 septembre précédent, entrant en vigueur le 1er octobre. Divers travaux furent exécutés en aval de l’écluse de la Monnaie, du même ordre que ceux effectués en amont : chemin de halage, amélioration des quais, un port devant le quai Malaquais…

Les performances de la batellerie apparaissaient d’autant plus remarquables compte tenu des conditions d’exploitation des canaux. La péniche flamande ne pouvait circuler que de façon irrégulière. La traction demeura longtemps encore animale, les chevaux étant la possession, soit de bateliers soit de charretiers appelés « haleurs aux longs-cours »… Ces derniers, très nombreux le long de voies navigables, allaient jusqu’à exiger des tarifs très élevés quand la demande de transports s’intensifiait. Or, ce fut au détriment des bateliers, ce qui conduisit l’administration des Travaux publics à organiser un service de halage instaurant un tour de rôle pour les haleurs sur le canal de Saint-Quentin, de Cambrai à Chauny. Cette expérience s’avéra de courte durée, elle s’acheva en septembre 1860, en raison de l’action de petits charretiers assurant les fonctions d’affréteurs, ainsi que des charretiers de Chauny- Janville qui provoquèrent moult désordres et encombrements. Toutefois, l’administration des Travaux publics établit un service de touage à vapeur sur presque toute la longueur du bief de partage du canal de Saint-Quentin, tronçon dont le franchissement était extrêmement délicat.

La loi du 31 mars 1846 relative à la navigation intérieure268 fixa un programme national pour la régulation des fleuves en vue d’augmenter le mouillage des cours d’eau et de lever les divers obstacles à la navigation. La Seine occupait une place prépondérante dans ce programme avec un budget de 33,5 millions, dont 5 millions pour la seule traversée de Paris, sur un total de 75 millions269. Si les canaux parisiens palliaient en partie aux insuffisances de la navigabilité de la Seine dans la capitale, leur utilité se révélait limitée par leur incapacité à recevoir des bateaux de fort gabarit. L’ingénieur Charles Bérigny avait préconisé d’établir douze barrages mobiles qui, associés à des écluses, haussaient le niveau de l’eau et atténuait le

268 Loi relative à la navigation intérieure, 31 mai 1846, Bulletin des Lois du Royaume de France, IXe série,

juillet, 1846, vol.32. 269

Isabelle Backouche, op. cit., p.361. D’autres cours d’eau étaient concernés : la Mayenne, la Sarthe, le Rhône et l’Adour…

courant du fleuve270. Il estimait le coût de ces aménagements à 17 millions de francs, les travaux devant, selon lui, être effectués par l’État et non pas par une société privée271. Les lois des 19 juillet 1837, 16 juillet 1845 et 31 mai 1846 consacraient 13,3 millions pour la Seine entre Paris et Rouen272, 10 étant votés en 1846, à titre de compensation, les voies ferrées fonctionnant depuis 1844. L’idée de Paris port de mer avait été particulièrement en vogue entre les années 1796 et 1830, si l’on n’y a pas renoncé de façon définitive273

, on se résigna à améliorer les conditions de navigation entre Paris et Rouen274. Ces améliorations consistaient en la défense des berges, au dragage des hauts fonds, l’amélioration des arches marinières, la clôture de certains bras, ainsi que la réalisation de cinq dérivations avec barrages et écluses à Bougival, Andrésy, Melun, Notre-Dame de la Garenne et Poses275. Ces aménagements, somme toute limités, ne s’accomplirent que très laborieusement, puisque 5,7 millions demeuraient à dépenser encore en 1857276. Toutefois, ils permirent une amélioration non négligeable des conditions de navigation. En 1849, le tirant d’eau s’élevait annuellement de 1,80 à 2 m durant 177 jours au plus, c’est-à-dire entre décembre et février. Il permettait aux bateaux de fort gabarit, nommés « besognes », de transporter de 600 à 700 tonnes. Il résulta

270 Né à Rouen en 1772 et mort à Paris en 1842, Charles Bérigny a été chargé en 1798 de travaux pour la

navigation sur la Somme puis au port de Cherbourg. En 1802, il a conduit les travaux des ports de Dieppe, de Saint-Valéry et du Tréport. À Dieppe, avec Gayant, il a été l’initiateur des premiers grands travaux. Afin de réparer les anciennes écluses, il innova en 1802 par des injections de mortier, procédé qui a été par la suite généralisées. De même, il y construisit la grande écluse du bassin à flot. Promu ingénieur en chef en 1809, Bérigny a été nommé à Strasbourg pour diriger les travaux du département du Bas-Rhin, où il participa à la réfection des routes. En 1814, il a été nommé secrétaire du Conseil général des Ponts et Chaussées, inspecteur de l’École des Ponts et Chaussées. En tant qu’inspecteur divisionnaire, il a été chargé d’étudier les améliorations de la navigation de la Seine, il publia un mémoire : Les moyens de faire remonter jusqu’à Paris tous les bâtiments qui peuvent entrer au port du Havre. Il est nommé inspecteur général des Ponts et Chaussées en 1830. Par ailleurs, il apparaît aussi comme une des grandes figures des débuts de l’histoire des chemins de fer, puisqu’il a été un des membres fondateurs du chemin de fer de Paris à la mer.

271 AN (site de Pierrefitte-sur-Seine), F14 6813, Charles Bérigny, Mémoire sur les moyens de perfectionner la

navigation de la Seine entre Paris et Rouen en donnant aux bateaux un tirant d’eau de deux au moins lors des plus basses eaux, 20 janvier 1834. Voir aussi : Charles Bérigny, Navigation maritime du Havre à Paris ou Mémoire sur les moyens de faire remonter jusqu’à Paris tous les bâtimens de mer qui peuvent entrer dans le port du Havre, Paris, de l’imprimerie de Demonville, mars 1826, 84p.

272 AN (site de Pierrefitte-sur-Seine), F14 6820, notices sur les rivières.

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Comme on le verra dans le quatrième chapitre consacré à cette question.

274 Louis Girard, La politique des travaux publics…, op. cit., p.18.

275 AN (site de Pierrefitte-sur-Seine), F14 6184, Importance et avenir de la navigation de la Seine, 14 avril 1844.

276 Sur la Basse-Seine, on établit à Bezons, en 1838-1839, afin de supprimer le pertuis de la Morue, un barrage

mobile dont les fermettes, une fois couchées, permettait aux bateaux de passer à toute hauteur d’eau dans

l’emplacement de ce pertuis, sans faire appel à des pilotes et des chevaux de soutien276. La retenue formée par ce

barrage a été élevée de façon à produire un mouillage de 2 m sur le busc de l’écluse du canal Saint-Denis contre 1,68 m antérieurement. Une dérivation avait été, en outre, ouverte à travers l’île de Bougival et une écluse insubmersible avait été bâtie, constituée d’un long sas divisé en deux grâce à une porte intermédiaire. Ces ouvrages ont été livrés à la navigation le 15 juillet 1840. Le pertuis des Gourdaines ainsi que les étroites passes de Tournebourse et de Modèle, les hauts-fonds des Bosses à Manon et de Notre-Dame de l’Isle, ont été contournés à l’aide d’une dérivation dite du Goulet et achevée en 1849. Cette dérivation se composait de l’écluse de Notre Dame-de-la-Garenne à Gaillon (1847-1848), d’un barrage accolé ainsi que d’un autre barrage à Notre- Dame-de-l’Isle (dans l’Eure).

de ces progrès techniques un raccourcissement sensible du temps de parcours entre la capitale et ses avant-ports maritimes. Le trajet Rouen-Paris s’accomplissait désormais entre quatre et cinq jours, et pouvait même s’effectuer en 60 heures par remorqueurs tirant des convois. L’autre conséquence de ces améliorations du réseau et des modes de traction s’est traduite par un abaissement des coûts du coût du transport fluvial sur les grandes lignes de navigation. En 1855, les frets Rouen-Paris baissèrent ainsi pour se situer autour de 20% au-dessus des frets Mons-Paris, contre 40% en 1845277.

II. LE RÔLE DE PARIS DANS LE REDRESSEMENT DE LA BATELLERIE