• Aucun résultat trouvé

La Seine, une voie de pénétration pour les produits d’importation de produits agricoles.

Introduction : controverse autour d’un plan.

B. Le renouvellement de la question intermodalité sous l’influence du plan Freycinet.

2. La Seine, une voie de pénétration pour les produits d’importation de produits agricoles.

Le trafic des denrées alimentaires a fortement progressé durant les deux dernières décennies du XIXe siècle. En effet, il a connu une hausse de 174% entre 1883 et 1900657.

Cependant, en termes de volume, il demeurait à un niveau relativement modeste par rapport au trafic global, oscillant entre un minimum de 8% et un maximum de 17% en 1891. Il connut d’ailleurs un certain déclin vers la fin du siècle. L’unique mesure du trafic global ne permet pas d’évaluer la part des denrées alimentaires d’importation, car les statistiques fournies par le ministère des Travaux publics ne les mesurent pas formellement, il faut les déduire à partir d’une comparaison entre les trafics de remonte et de descente. On peut raisonnablement supposer que le premier se composait principalement des marchandises en provenance de la Basse-Seine et donc des ports normands A contrario, selon le même raisonnement, les seconds devaient concerner essentiellement la production française658. À ce titre, force était de

constater que le trafic de remonte excédait sensiblement celui de la descente, jusqu’à 78% en 1886, c’est-à-dire au pire moment de la crise que connaissait l’agriculture, et avec une quasi parité en 1895, soit 55%659. La courbe du trafic des denrées alimentaires était assez chaotique,

ce qui tenait au caractère très spéculatif de ce marché, extrêmement dépendant des conditions naturelles en France et à l’étranger. Il faut noter que le trafic de la descente, bien que plus modeste, n’en a pas moins crû fortement, soit une hausse de 97% entre 1883 et 1900. À dire vrai, la courbe du trafic de remonte correspondait à peu près à celle du trafic global, ce qui montrait sa suprématie. On peut distinguer trois phases, une première de hausse importante de 131% entre 1883 et 1891, où il frôla le million de tonnes660. Ensuite, il connut une phase

descendante de 38% entre 1892 et 1895661. Il s’est repris ensuite entre 1896 et 1897662. Les

statistiques du département de la Seine montrent une prépondérance des alcools et des céréales en provenance de la Basse-Seine663. Le constat semblait plus marquant pour les

alcools. En effet, ceux en provenance de Basse-Seine (entre le Havre et Paris) représentaient

657 En passant de 391 286 t à 679 653 t.

658 Encore qu’il pouvait s’agir de denrées transformées et réexportées, c’est-à-dire une production française à

partir de produits français ou étrangers.

659 Ministère des Travaux publics, Statistiques de la navigation intérieure.

660

Passant de 391 286 t à 903 121 t.

661 Tombant à 556 102 t.

662 Cette reprise pouvait s’expliquer par des récoltes médiocres en France. Voir Clément Colson, « Questions de

transport », in Revue Politique et Parlementaire, 1898.

entre 87 et 91% sur la période étudiée. Cette prééminence s’expliquait par la crise que connaissait la production de vin française, mais également par la guerre de tarifs que menaient les compagnies de chemins de fer afin de s’approprier la production nationale664. Sur ce point,

il semble manifeste que les aménagements de la Seine ont favorisé les importations, et cela, en dépit des mesures protectionnistes665. L’ampleur de ce trafic tend à montrer encore une fois

que la période était moins protectionniste que ce que l’on imagine souvent. La progression des importations semblaient résulter des difficultés, structurelles ou conjoncturelles, de la production agricole française. L’agglomération parisienne était un centre majeur de consommation, et de transformation des produits agricoles, l’important pour les édiles parisiens résidait surtout dans la régularité des approvisionnements et la modération des prix. La navigation fluviale jouait donc un rôle de régulateur et de compensateur des variations de la production agricole française. Les lieux de débarquement des vins étaient le port Saint- Bernard qui se situait à proximité de la Halle aux vins, il recevait les huiles, vins et autres alcools666, et bien entendu, le port de Bercy, réaménagé à la suite de la construction des

entrepôts en 1878.

Graphique 16. Trafic circulant des alcools et des céréales circulant dans le département de la Seine en provenance de la Basse-Seine 1891-1900.

664 Alfred Picard, Les chemins de fer : aperçu historique, résultats généraux de l’ouverture des chemins de fer,

concurrence des voies ferrées entre elles et avec la navigation, Paris, H. Dunod et E. Pinat, Éditeurs, 1918, pp.840-841.

665 Paul Bairoch, Commerce extérieur et développement économique de l’Europe au XIXe siècle, Paris, Mouton,

1976, pp.219-238.

666 J. Malatesta, « Les ports de Paris », extrait du Monde moderne, 1900, II, pp.349-363.

0 50 000 100 000 150 000 200 000 250 000 300 000 350 000 400 000 450 000 To nna g es

Déchargements des céréales en provenance de Basse-Seine Total des déchargements de céréales dans le département de la Seine

Déchargements des alcools en provenance de Basse-Seine Total des déchargements des alcools dans le département de la Seine

Source : Annuaires statistiques de la Ville de Paris, années 1891-1900.

Cependant, les voies navigables pouvaient également servir les producteurs nationaux dans la mesure où le trafic de sucres et mélasses originaires du Nord dépassaient ceux provenant de la Basse-Seine667. Pour cette catégorie de marchandises, les flux s’effectuaient majoritairement, sauf accidents conjoncturels, en 1898 et 1910, entre le Nord de la France et la région parisienne. Le problème résidait donc moins dans le choix du mode de transport que dans le dynamisme intrinsèque de la production industrielle ou agricole considérée. D’ailleurs, la critique des ferristes et des milieux agricoles était réversible : les voies navigables en étaient parfois réduites à favoriser les importations de denrées alimentaires parce que les compagnies de chemins de fer s’étaient lancées dans une politique tarifaire extrêmement agressive qui obligeait à chercher d’autres débouchés. En ce sens, la batellerie jouait encore son rôle de modératrice des prix et permettait aux agriculteurs de bénéficier de tarifs ferroviaires plus avantageux. Plus largement, si les lobbies agricoles français tempêtaient contre les voies navigables pour avoir favorisé les denrées alimentaires étrangères, c’était précisément ce que cherchaient d’autres acteurs. Tel était le cas, par exemple, l’industrie agro-alimentaire, mais aussi la Ville de Paris qui aspirait à une modération des prix afin de soulager sa population en croissance constante, et de manière « accessoire » cherchait à s’assurer la paix sociale. En dépit des aléas de la production agricole française dans les dernières décennies du XIXe siècle, la minoterie industrielle s’est considérablement développée dans la région parisienne, notamment en bordure des rivières et des canaux, comme l’attestaient les constructions des Grands moulins de Pantin sur le canal de l’Ourcq en 1882 par le meunier de la Brie Abel Stanislas Leblanc et des Grands moulins de Corbeil en 1893668. C’est ainsi que ce minotier de la Brie fit construire en 1882, au seuil de la capitale, entre le canal de l’Ourcq et les voies du chemin de fer de l’Est, un moulin équipé de 24 meules. Au décès du fondateur, en 1883, le fils de ce dernier, Abel Désiré Leblanc a fondé, en collaboration avec le meunier Duval,, la société des Moulins de Pantin et adopta, dès 1884, le procédé de la mouture hongroise669. Ces établissements ont contribué à la modernisation du

667 4 772 t contre 10 909 t en 1891.

668 Simon Texier, « Les grands moulins de Pantin », in Béatrice de Andia et Simon Texier (dir.), Les Canaux de

Paris, Paris, Délégation à l’action artistique de la Ville de Paris, 1994, p.159-162.

669

Il s’agit de moulins à cylindres, ce procédé mettait ainsi fin à la mouture par meules. Cette innovation technologique a été mise au point autour de 1870 par le meunier-mécanicien suisse Friedrich Wechman. Le

directeur, André Mechwart, de la firme hongroise Ganz et Cie a racheté le brevet en 1874. Cette technique de

mouture dite « hongroise » apportait davantage d’efficacité, tant sur le plan de la blancheur de la farine que de la qualité du pain fabriqué.