• Aucun résultat trouvé

Le rêve d’un « Paris de transit ».

CHAPITRE II. AMBIVALENCES DE LA QUESTION PORTUAIRE SOUS LE SECOND EMPIRE.

Carte 5. Tracé du canal Saint-Martin dans les années 1830.

B. Le rêve d’un « Paris de transit ».

1. Nécessité et possibilité d’une réforme du commerce parisien ?

Les pouvoirs publics parisiens semblaient partagés quant à l’avenir d’un entrepôt, même si une refonte se révélait nécessaire. Cette redynamisation devait s’inscrire dans une vision plus vaste de la vocation de la capitale. L’une des graves faiblesses de la voie d’eau française résidant dans son incapacité à exporter, et c’était d’autant plus vrai à Paris. Cette tendance s’aggrava durant tout le XIXe

siècle à la faveur de la concurrence croissante de la voie ferrée. La batellerie avait perdu bon nombre de marchés, et plus particulièrement les

497 ACCIP I-3.40 (34), Rapport sur les entrepôts de Paris…, op. cit.

498 AN (site de Pierrefitte-sur-Seine) F12 6395.

499 Le premier exercice, en 1853, s’était révélé déjà déficitaire, les concessionnaires, MM. Cusin et Legendre

s’étaient alors lancés dans diverses opérations de prestige afin de camoufler les mauvais résultats : ouverture d’agences à l’intérieur du pays et à l’étranger, instauration d’un réseau de commissionnaires pouvant fournir des ordres d’achat et de vente… Cusin et Legendre sollicite l’aide des Pereire. Malheureusement pour eux, l’affaire tourne court, puisque les gérants sont emprisonnés trois ans plus tard… Il s’ensuivit une restructuration laborieuse des entrepôts parisiens qui allait aboutir à la création de la compagnie des Entrepôts et Magasins Généraux en 1860.

marchandises « non lourdes ». Elle avait dû se spécialiser pour survivre. Dans ces conditions, les marchandises du luxe se trouvaient quasi exclues.

Cela renvoyait à la vaste question du poids des industries du luxe dans la dynamique économique française, particulièrement prégnantes dans le contexte parisien. En effet, si l’on compare les cas belges et allemands, la batellerie jouait dans ces deux pays un rôle d’exportateur ou de transit. Cela se vérifiait également pour le bassin du Nord de la France, mais la concurrence rail-eau empêcha une telle dynamique. Les pouvoirs publics ne décidèrent finalement jamais d’établir une liaison Paris-Nord digne de ce nom. Le cas des chemins de fer se révélait tout autre dans la mesure où la diversité de leurs marchandises leur permettait aussi bien d’importer vers la capitale que d’exporter les produits qui y étaient fabriqués. En outre, le transport de marchandises de valeur leur permettait ainsi de financer leur développement… Le Chemin de fer du Nord, disposant depuis 1847 d’un bureau de Douane500, avait exporté, pour plus de 400 millions de francs de marchandises de valeur sur les 447 millions francs exportés en totalité : « Les 447 millions de valeur qui représentent plus

d’un million de colis, expédiés sans que nos opérations de manutention aient diminué, montrent l’extension que peut prendre l’importation elle-même dans ces stations 501

».

Se trouvait peut-être là une explication : la mauvaise gestion, la négligence des administrateurs de l’entrepôt. Une des constantes des installations portuaires parisiennes semble avoir été leur caractère figé, suscitant au départ les plus vifs espoirs, mais ne parvenant pas à produire de dynamique. Il s’agissait sans doute d’un des plus forts arguments des partisans de la voie ferrée : à quoi bon dépenser des sommes considérables pour des projets aux perspectives plus qu’aléatoires… À cela, il fallait ajouter des facteurs aggravants tels que le manque de crédits, les lourdeurs administratives et l’état du réseau fluvial…

2. Un vaste dessein commercial.

Le constat de l’échec des entrepôts ne découragea pas une partie du milieu d’affaires parisien, attisant une fois de plus la flamme de « Paris port de transit ». Le thème revenait au goût du jour de manière récurrente et les témoignages de cette obsession étaient monnaie courante, comme en témoignait un rapport de la chambre de commerce :

Et cependant Paris devrait être par sa position géographique l’Entrepôt général de France ; car les ports qu’on veuille bien le remarquer, s’ils ont l’avantage de la mer ; ont le désavantage d’être à la frontière et de n’avoir

500 Claire Lemercier, « La Chambre de Commerce de Paris, 1803-1852. Un « corps consultatif » entre

représentation et information économiques », sous la direction de Gilles Postal-Vinay, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), 2001, pp.625-629 ;

qu’un centre d’action extrêmement restreint. Paris, au contraire, placé à peu près au centre industriel de la France, relié par des voies de fer, des fleuves ou des canaux avec tous les points de l’Empire, est le lieu où doivent converger les affaires502 .

La position particulière de la capitale attisait toutes les spéculations. Les gérants des Docks avaient cru pouvoir exploiter la localisation de la capitale française au cœur de l’Europe et rivaliser avec les autres grandes places : Liverpool, Londres503… À l’instar de ses

prédécesseurs, ce même document plaçait son dessein dans le contexte immédiat qui lui paraissait extrêmement favorable :

Il est l’heure de songer à son avenir. Voici les Messageries Ompériales qui vont relier l’Amérique-Sud avec Marseille, l’Amérique-Nord doit bientôt toucher Saint-Nazaire, l’Isthme de suez va ouvrir le chemin de l’Indochine ; l’Algérie, enfin, passée sous un nouveau régime, nous fournir régulièrement ses produits. Il est temps de remettre à l’œuvre et de faire en sorte que Paris puisse recevoir les produits du monde entier504.

L’essor du commerce international et de l’empire colonial naissant justifiaient pour certains observateurs ces spéculations505. Certains spéculateurs semblaient ainsi convaincus que Paris allait devenir une importante place d’échanges et de redistribution des produits coloniaux, notamment le sucre 506 . On opposait l’exemple de la Caisse d’escompte qui avait échoué : « Les Caisses d’escompte, création financière pleine de génie et qui devait

fédéraliser un jour toutes nos places de commerce, pourquoi sont-elles tombées ? Parce qu’il leur a manqué un administrateur507 » à celui des Messageries Impériales qui entamèrent en 1851 leurs opérations avec un matériel en triste état, mais qui avaient en moins de huit années triplé leurs voyages et le nombre de passagers, après avoir triplé leur flotte508… Le nombre de tonneaux de marchandises transportées était ainsi passé de 11 000 t au début des années 1850 à 69 000 t vers 1858. Le potentiel des Docks Napoléon avait paru tout aussi prometteur : amélioration des transport censée apporter de nouveaux produits dans les meilleurs délais, et en plus grandes quantités, tout en baissant le coût du transport et donc de la marchandise… On demeurait donc dans une logique saint-simonienne. Pourtant, faute d’administrateur « honnête » et compétent, les Docks ont fini par tourner au fiasco :

502

ACCIP I-3.40 (34), Rapport sur les entrepôts de Paris..., op. cit.

503 AN (site de Pierrefitte-sur-Seine) F12 6395, Lettre non datée de Cusin et Legendre au ministre de

l’Agriculture et du commerce.

504 Ibid.

505 Sur l’aspect colonial, consulter la thèse de Philippe Lacombrade.

506

Francis Démier, « La construction d’une identité libérale (1803-1848), in La Chambre de commerce et d’industrie de Paris 1803-2003. Histoire d’une institution, Paris, Droz, 2003, p. 65.

507 ACCIP I-3.40 (34), Rapport sur les entrepôts de Paris…, id.

508

Marie-Françoise Berneron-Couvenhes, Les messageries maritimes : l’essor d’une grande compagnie de navigation française, 1851-1894, PUPS, Paris, 2007, 839 p.

La structure même du commerce décourageait les financiers et spéculateurs pour ce type d’entreprises. Pour une ville renfermant de si nombreuses richesses, et d’établissements de crédit, Paris ne semblait pas générer le chiffre de transactions commerciales attendu. La spéculation à Paris paraissait alors concerner essentiellement sur des valeurs de bourse et des marchandises délaissées.

Les problèmes s’exprimaient alors autant en termes de structures commerciales et financières, que d’infrastructures et de superstructures. L’insuffisance des entrepôts allaient de nouveaux être dénoncées au début XXe siècle. Les auteurs appelant à la réforme de ce que l’on allait désormais nommer « port de Paris » déploraient l’insuffisance de structure d’entrepôts.

3. Relocalisation des activités d’entrepôt vers les périphéries.

Au changement d’échelle du commerce, du national à l’internationale, correspondait à celle du centre de Paris vers sa périphérie. L’essor des gares de chemin de fer était tel qu’on allait leur faire bénéficier du privilège de l’entrepôt et du magasin général. Or, dans l’entrepôt des Marais, les dépenses de camionnage, les frais de séjour étaient apparus excessifs. La chambre de commerce de Paris en imputait la faute à la localisation de l’entrepôt des Marais et préconisait la construction d’une gare d’eau à … Grenelle!... Site qui s’était révélé un fiasco retentissant avec la malencontreuse expérience des entrepôts de l’Île des Cygnes… Les défenseurs de ce projet ne semblait par ailleurs pas craindre la « supériorité technique des chemins de fer. Il était vrai que la batellerie avait connu depuis les années 1855 une véritable renaissance, ayant su surmonter ses faiblesses : le total des arrivages à Paris était passé à 2,2 millions de tonnes en 1855 contre 1,9 millions pour les chemins de fer509, ce qui autorisait tous les espoirs. Le redressement de la batellerie s’était accompli à la fois à l’égard des chemins de fer, mais également des canaux parisiens, qui sur le long terme, allaient perdre leur intérêt pour la traversée de Paris pour devenir un immense port municipal…

Le site de Grenelle devait se situer à proximité du chemin de fer de Ceinture. Le lieu disposait de terrains disponibles : « les terrains sont assez vastes pour qu’on y puisse faire

quelque chose de grandiose510 ». Grenelle constituait le « point de départ de ces Canaux qui

rattachent l’un à l’autre les méandres de la Seine, raccourcissant de moitié la distance de

509 ACCIP I-3.40 (34), Rapport sur les entrepôts de Paris. Manutention du Commerce près de la Douane de M.

Moreno-Henriquès, Directeur de la Manutention du Commerce près de la Douane, 18 janvier 1859.

Paris à Rouen » ajoutant « La pensée du Premier Empire de faire de Grenelle un port était une pensée de génie, le temps est venu peut-être de la réaliser511 ». Encore une fois, on se rattachait à un passé prestigieux, mais cette fois, celui de l’Empire… Le projet envisageait en fait un immense système d’entrepôts à Paris, formé des entrepôts et de magasins généraux des gares de chemins de fer, de ceux de Grenelle, des établissements des Marais… Ce qui représentait sept stations, avec sept bureaux de Douane… Le tout placé sous une même direction, facilitant de ce fait le travail des administrateurs des chemins de fer.

Sur ce point, ne faisait-on pas preuve d’une certaine naïveté dans son dessein de placer les deux modes de transport sous une même autorité512. D’ailleurs, l’ensemble du projet semblait quelque peu utopique, avançant des arguments très proches de ceux développés pour la création des entrepôts de Paris. Cependant, l’historien doit admettre qu’il bénéficie de l’avantage de connaître « l’avenir du passé ». Il s’avérait certes, plus délicat de pressentir cette évolution, tant la reprise de la batellerie pouvait apparaître spectaculaire, renaissance bien réelle, mais selon des modalités bien différentes de la batellerie d’avant la crise. « La division des transports », comparable à celle du travail, aurait créé une autre batellerie dont l’activité aurait été plus diversifiée. La chambre de commerce envisageait une optique où les chemins de fer auraient été regroupés en syndicats, alors pourquoi pas encore pour Paris un service d’entrepôt – tous modes de transports confondus ?

S’il est vrai d’ailleurs que le Gouvernement songe à regrouper tous les chemins de fer et à en former un syndicat, la question d’entrepôts isolés tombe d’elle-même et il ne reste que l’organisation dans la seconde513

.

La proposition de la chambre de commerce de Paris s’avérait encore caractéristique d’une époque où les pratiques commerciales modernes n’avaient pas atteint totalement leur maturité, et où l’évolution des transports demeurait incertaine. L’affirmation de la voie ferrée n’était pas encore une chose acquise, la répartition des transports, telle qu’elle est survenue plus tard, n’était donc peut-être pas inévitable… Les marchandises qui n’étaient pas enlevées dans les trois jours de l’acquittement en Douane, se trouvaient à cause de cet acquittement, qui les plaçait au-dessus du tarif de magasinage de l’Entrepôt, et par suite des frais de conservation qu’elles pouvaient occasionner, soumises à un tarif spécifique. L’évolution de

511 Ibid.

512 On entend ici les entrepôts desservis par la voie d’eau et les chemins de fer, et non pas le transport en général

bien évidemment…

l’urbanisation de la capitale et les déboires financiers de l’entrepôt des Marais signifièrent sa fin prochaine et son transfert vers un nouveau centre des affaires : le bassin de la Villette514.