• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE II. AMBIVALENCES DE LA QUESTION PORTUAIRE SOUS LE SECOND EMPIRE.

A. Un canal dont l’histoire a débuté par une controverse pour finir par un compromis.

3. Fin de la controverse.

Les divergences se poursuivant, le 8 mars 1805, Napoléon trancha en faveur des vues de Girard412. Ce dernier avait, par ailleurs, reçu le soutien de la chambre de commerce de Paris, qui se montrait favorable à l’idée d’une petite navigation413. Napoléon III souhaitait favoriser le commerce parisien, et il fallait, d’après lui, prolonger le canal de l’Ourcq jusqu’à celui de Saint-Quentin qui devait être achevé quelques années après. On décida alors que le canal allait être rendu navigable pour des bateaux de gabarit moyen et qu’il n’allait prolonger jusqu’à la rivière de l’Aisne à Soissons. À partir de ce moment, Girard allait désormais conduire les travaux avec empressement. En 1806, il publia un Devis général du canal de

l’Ourcq, dressant enfin l’inventaire complet des ouvrages et des tâches à accomplir, depuis la

première prise d’eau à Mareuil jusqu’à la barrière de Pantin414

. Pierre-Simon Girard, bénéficiant du soutien de l’Empereur, fut placé, en 1807, à la tête de la direction des Eaux de Paris, regroupant l’ensemble des services de l’approvisionnement de la capitale, des pompes à feu aux aqueducs existants. Les premières parvinrent, en 1808, au bassin de la Villette. Ce n’était encore que des eaux de la Beuvronne. Les travaux continuèrent en direction de

410 Pierre Pinon, « Le canal de l’Ourcq, une controverse théorique », in Béatrice de Andia, Simon Texier (dir.),

Canaux de Paris (Les), Paris, Délégation à l’action artistique de la Ville de Paris, 1994, p.93.

411

Antoine Parmentier, Dissertation sur la nature des eaux de la Seine, Paris, 1787, p.30. En fait, cette

considération se trouvait largement en vogue au XVIIIe siècle, cf. articles de la revue Dix-huitième siècle, n°9,

1977, consacrés aux problèmes du sain et du malsain à l’époque.

412 Pour une étude complète de cette controverse, consulter : Frédéric Graber, Paris a besoin d’eau. Projet,

dispute et délibération technique dans la France napoléonienne, Paris, CNRS Éditions, 2009, 412 p. Voir aussi : Frédéric Graber, « Le canal de l’Ourcq : entre faveur politique et questions théoriques », Les dossiers de Pour la Science, no 27, mai-juillet 2006, pp. 26-29.

413 Chambre de commerce de Paris, Rapport sur le canal de l’Ourcq, 27 prairial an XII.

414 Pierre-Simon Girard, Devis général du canal de l’Ourcq. Depuis la première prise d’eau à Mareuil jusqu’à la

l’Ourcq, mais l’ingénieur remporta son pari en accomplissant un canal de navigation dépourvu d’écluse sur une portion importante de son cours415. Dans le même temps, il entreprit toute une série d’aqueducs souterrains et de fontaines dans Paris416. Les travaux furent poursuivis, bien qu’irrégulièrement, par les agents de l’État jusqu’en 1817, mais les finances de l’État et des villes étaient vides, ce qui amena à faire appel à une société privée afin de terminer les travaux. Les ingénieurs tels que Pierre-Simon Girard qui a dirigé les travaux du canal de l’Ourcq et l’économiste Jean-Baptiste Say417

se mobilisèrent pour l’achèvement des travaux, et si nécessaire par une entreprise privée, à l’instar de ce qui avait pu se faire pour la construction des ponts418.

Un traité fut passé le 19 avril 1818 avec MM. de Saint-Didier et Vassal pour achever le canal de l’Ourcq jusqu’à Port aux Perches et pour exécuter le canal Saint-Denis419

. Le Conseil municipal approuva le traité qui conférait la concession des deux canaux auxdits contractants et les Chambres le sanctionnèrent. La Ville consentit à une subvention de 7,5 millions de francs, en échange de quoi la compagnie prenait l’engagement d’achever les canaux de Saint-Denis et l’Ourcq, recevant la jouissance du bassin de la Villette et la perception des droits de navigation pour une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans. Les travaux furent alors poussés activement, les canaux de l’Ourcq et Saint-Denis étant entièrement ouverts en 1822. La concession du canal Saint-Martin fut réalisée par l’adjudication, le 12 janvier 1821, à M. Vassal, agissant pour le compte de la Compagnie des Canaux, selon les mêmes conditions420. Les adjudications livrèrent le canal à la circulation le 4 novembre 1825. Les deux concessions accordées se trouvèrent réunies dans les mains d’une même société dont plus tard, M. Hainguerlot prit la direction et exploita simultanément les trois canaux de l’Ourcq, Saint-Denis et Saint-Martin421

.

415 Pierre Pinon, op. cit., p.101.

416 Ibid., pp.101-102.

417

Jean-Baptiste Say, De l’importance du port de la Villette, Paris, Deterville, 1818, 23p.

418 Isabelle Backouche, La trace du fleuve…, op. cit., p.346.

419 Sur l’histoire des compagnies des canaux, voir : Yves Lefresne et Jean Dubreuil, « Création des canaux Saint-

Denis et Saint-Martin » in Canaux de Paris (Les), Paris, Délégation à l’action artistique de la Ville de Paris, 1994, pp. 105-107. ; Jean-Pierre Dubreuil et Jean Pacpoul, « Les compagnies des canaux. Chronologie », in ibid., pp.108-115

420 Félix Humblot, Les Canaux de Paris à la fin 1884, Paris, Impr. Chaix, 1885, p.6.

421 Michèle Merger, « La Seine dans la traversée de Paris et ses canaux annexes : une activité portuaire à l’image

d’une capitale (1800-1939) », in François Caron, éd., Paris et ses réseaux. Naissance d’un mode de vie urbain,

Le canal Saint-Denis ne fut ouvert à la navigation qu’en 1821, et le canal de l’Ourcq en 1822, même si l’achèvement global du dispositif fut fixé en 1817422

. Girard prit entre- temps la direction des travaux, le retour des Bourbons se traduisant par l’arrivée de nouveaux hommes de confiance. Il conserva toutefois le contrôle sur la distribution de l’eau dans la capitale ainsi que sur les canaux Saint-Denis et Saint-Martin, par l’intermédiaire d’une compagnie privée, formée à son instigation423. Prolongeant le canal Saint-Denis du bassin de La Villette à la Seine, le canal Saint-Martin est achevé en 1825. Girard résuma par la suite l’expérience et ses travaux dans ses mémoires424

.

Sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, les controverses autour de l’œuvre de l’ingénieur, membre de l’Institut depuis 1813, s’estompèrent pour sombrer dans l’oubli425

. Malgré tout, elle permit de révéler certains problèmes essentiels. La volonté de Napoléon Ier et l’obstination d’un de ses ingénieurs se révélèrent décisives pour la réalisation finale du canal de l’Ourcq. Dans le même temps, les canaux de Paris allaient insuffler une nouvelle impulsion à une activité industrielle et commerciale d’une importance majeure, au point de laisser place au rêve d’un « Paris, port de transit ».

Si, comme on l’a vu, le système des canaux avait été élaboré à l’orée du XIXe

siècle en vue de résoudre les difficultés de la traversée de Paris, il n’en a pas, pour autant, remplacé la navigation fluviale, mais a plutôt instauré une relation de complémentarité426. Le rapport allait évoluer au fil du siècle, au fur et à mesure des aménagements effectués sur les rivières. En effet, après leur entrée en service, les canaux tendirent à supplanter la navigation en rivière dans Paris et la banlieue immédiate en aval, sans toutefois l’annihiler. Isabelle Backouche évoque « l’instauration d’une sorte de centralité fluviale et commerciale, à la périphérie nord

de Paris427 ». Cependant, dès le Second Empire, cette « suprématie » finit par s’estomper à la faveur des facilités offertes par les aménagements fluviaux, notamment sur le verrou que constituait le centre de la capitale.

422

AP VO3 544: Canaux : traité entre la Cie du Canal St-Martin et la Ville de Paris (juillet 1833) ; actes de la

société (1831), pièces relatives à la construction du canal (plans) ; état des bateaux circulant sur le canal (1845) ; lettres et arrêtés préfectoraux concernant la construction du canal (1825-1836).

423 Pierre-Simon Girard, Mémoires sur le canal de l’Ourcq et la distribution de ses eaux ; sur le dessèchement et

l’assainissement de Paris, et divers canaux navigables qui ont été mis en exécution ou projetés dans le bassin de la Seine pour l’extension du commerce de la capitale ; avec un atlas descriptif, Paris, Chez Carilian-Goeury & Vor Dalmont, Librairies des Corps Royaux des Ponts et Chaussées et des Mines, , 1831-1845, t.1, p.172.

424 Ibid.

425 Frédéric Graber, « Le canal de l’Ourcq : entre faveur politique et questions théoriques », Les dossiers de

Pour la Science, no 27, mai-juillet 2006, pp. 26-29.

426 Isabelle Backouche, « Mesurer le changement urbain à la périphérie parisienne. Les usages du Bassin de La

Villette au XIXe siècle », Éditions de l’E.H.E.S.S. in Histoire & mesure, janvier 2010, vol. XXV, p. 50.

427

Isabelle Backouche, « Mesurer le changement urbain à la périphérie parisienne. Les usages du Bassin de La

B. Couverture du canal Saint-Martin : entre visées sécuritaires et contraintes de