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Un réseau mal adapté aux enjeux de la révolution industrielle (milieu du XIX e siècle).

PREMIÈRE PARTIE : CRISE ET REDRESSEMENT (début des années 1840-1871)

Carte 4. Carte des voies fluviales dans le bassin parisien

A. L’intrusion ferroviaire.

1. Un réseau mal adapté aux enjeux de la révolution industrielle (milieu du XIX e siècle).

Le recensement de 1851 nous informe que 1 590 millions de tonnes-kilométriques ont été transportées sur les routes nationales et le tonnage acheminé sur les autres routes de grande voierie a atteint 800 millions de tonnes-kilométriques. La même année, les bateaux charriaient 1 670 millions de tonnes-kilométriques sur les voies navigables françaises. On pouvait ainsi considérer la répartition des transports avant l’avènement des chemins de fer à respectivement 60% pour la route et 40% pour la batellerie129. Le succès de la batellerie résidait dans l’infériorité des autres modes de transport alors en fonction, et plus particulièrement le roulage130. Celle-ci n’exigeait que de faibles frais de traction, l’importance des chargements qu’elle offrait lui permettait de supporter de nombreuses dépenses accessoires. Le roulage ne déplaçait, quant à lui, que des quantités de marchandisages limitées et rencontrait de nombreux problèmes en cours de route… La batellerie représentait ainsi l’unique mode de transport susceptible de convoyer d’énormes quantités de marchandises sur de longues distances, donc de ce point de vue, il apparaissait comme le plus rentable. Les estimations du coût réel des frets fluviaux variaient selon les auteurs. Pour Pillet-Will, dans les années 1830, le taux de fret de la navigation ordinaire s’élevait à 0,06 franc la tonne-lieue, et à 0,18 franc pour la navigation accélérée. Il fallait ajouter des droits de navigation oscillant entre 15 et 21 centimes. Le coût du transport de la navigation ordinaire atteignait ainsi entre 32 et 38 centimes la tonne-lieue, sans comprendre les droits et entre 5,25 et 9,5 centimes en incluant les droits131. De son côté, le roulage ordinaire valait 25 centimes la tonne-kilomètre, tandis que le roulage accéléré coûtait 37,5 centimes. La batellerie offrait ainsi une économie

129 Dominique Renouard, Les transports de marchandises par fer, route et eau depuis 1850, Paris, 1960, p.39.

130 Louis Becquey, Statistiques des routes de France, Paris, Imprimerie royale, 1824, 429p.

131 Michel Frédéric, Cte Pillet-Will, De la dépense et du produit des canaux et des chemins de fer ; De

l’influence des voies de communication sur la prospérité industrielle de la France, Paris, P. Dufart, 1837, vol.2, p. 316. Pour sa part, concernant les canaux, Michel Chevalier évaluait, le fret le plus courant entre 1,5 et 2 centimes la tonne-kilomètre. Son calcul incluait le salaire du batelier, le loyer des chevaux de halage et l’usure du bateau. Dans le cas des rivières, le fret se révélait inférieur d’un quart à la descente et supérieur de moitié à la remonte. Le péage coûtait autour de 0,25 la tonne-kilométrique. Il supposait que le trafic à la remonte était deux fois plus intense qu’à la descente et le trafic sur les rivières était à peu près aussi important que sur la globalité des canaux, ce qui l’amena à proposer un fret moyen entre 1,65 et 2,25 centimes. Voir : Michel Chevalier, Des intérêts matériels de la France, Travaux publics, routes, canaux, chemins de fer, Paris, Libr. Ch. Gosselin, 1838, p.161. Jean-Claude Toutain fait remarquer que la pondération n’influait guère sur le chiffre initial, donc on peut considérer ce dernier comme très proche du montant final.

de 1300 francs sur le roulage132. Les avantages de la paraissaient toutefois moindres sur la Basse-Seine où elle se voyait contrainte de partager le trafic avec le roulage du fait des conditions de navigation qui étaient telles sur cette ligne que la batellerie était d’une lenteur considérable.

Construction et exploitation constituaient deux opérations totalement cloisonnées, alors que les voies ferrées allaient contribuer à les rassembler. Les concessionnaires d’une voie navigable avaient tendance à tellement tirer sur les prix qu’ils lui attribuaient le plus faible tirant d’eau possible, ce qui les incitait à multiplier les écluses de manière à éviter les terrassements. En outre, le réseau avait été construit sans véritable plan d’ensemble, et les concessionnaires ne se montraient assez peu soucieux d’harmoniser les dimensions avec celles des voies à proximité. Si les canaux de Bourgogne et du Rhône au Rhin débouchaient quasiment l’un en face de l’autre dans la Saône, ils n’acceptaient pas des bateaux de même gabarits133. Ce type d’incohérence présentait comme fâcheuse conséquence d’empêcher le développement du transit entre l’Est et l’Ouest du territoire français, alors que la navigation semblait potentiellement capable de le réaliser134.

Les péages sur les canaux s’avéraient parfois prohibitifs, ce qui avait tendance à faire de la voie d’eau, « une ligne de répulsion135

» amenant le commerce à éviter autant de fois que possible, la voie d’eau, quitte à faire appel au roulage : sur le canal du Centre, les établissements faisaient camionner leurs marchandises jusqu’à Chalons ou Digoin136

. Les droits de navigation grevaient de 78% le prix du transport de Mons à Paris et de 11% celui de Dunkerque à Paris alors que la navigation se montrait très active sur le réseau du Nord137. La chambre de commerce de Dunkerque constatait que d’Amiens à Saint-Quentin, d’Arras à Amiens, tous les transports étaient réalisés par voie terrestre, malgré l’existence des canaux ! Le fret de retour de Paris vers le Nord passait entièrement par camionnage, car le bateau chargé de 20 à 30 t payait comme s’il était plein. Le batelier préférait alors retourner à vide plutôt qu’avec une charge incomplète. Les convois de charbon français à destination de Calais

132 François Maury, Le port de Paris, depuis un siècle, Paris, thèse de droit, Impr. de Suresnes, 1903, p.57.

133 François Aulagnier, Études pratiques sur la navigation du Centre, de l’Est et du Nord de la France et des

principales voies navigables de la Belgique, Paris, Carilia-Guoeury et Vos Dalmont, Libraires, 1841, p.23.

134 François Aulagnier, ibid.

135 Paul Léon, Fleuves, canaux, chemins de fer, avec une introduction de Pierre Baudin, Paris, Librairie Armand

Colin, 1903, p.9.

136 Michel Frédéric Pillet-Wil, op. cit., p. 178.

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Le 27 mai 1845, le comte d’Angerville avait expliqué à la Chambre des Députés que sur les canaux du Midi, latéral à la Loire, et de Saint-Quentin, les frais de traction, y compris l’usage du bateau, le temps et le bénéficie du marinier ne coûtait qu’entre 1,5 et 1,75 la tonne-kilomètre. Toutefois, plus loin, il estimait les frets payés sur les grandes lignes navigables, en moyenne, à 4 centimes la tonne-kilométrique. Consulter : Jean-Claude Toutain, « Les transports en France de 1830 à 1965 », in Économies et Sociétés, série AF, n°9, Paris, PUF, 1967, p.105 .

ou Dunkerque effectuaient un immense détour par la Belgique, c’est-à-dire par Tournay, Gand, Bruges, Nieuport et Furnes de façon à éviter les taxes prélevées sur les voies françaises 138!

L’émergence des chemins de fer représenta un nouveau défi pour la batellerie traditionnelle. Les conséquences de ces bouleversements sur l’activité portuaire parisienne paraissaient donc inévitables. Malgré cette situation périlleuse, le milieu batelier parvint à résister grâce à des innovations techniques et une redéfinition de la doctrine de son emploi.