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TRANSFORMATION DES ORGANISATIONS POUR S’ADAPTER AUX ENJEUX TERRITORIAUX

Les transformations des dernières décennies consolident les percep-tions d’incertitude face à une variabilité et à une imprévisibilité croissante (Grossetti, 2004), qu’il s’agisse des conditions climatiques, du comporte-ment des marchés ou encore de l’instabilité des politiques publiques� Notre histoire contemporaine est ponctuée de nombreuses crises soudaines, majeures et imprévisibles, qui mettent les hommes, leurs activités et leurs structures sociales et environnementales à l’épreuve (Chalas et al., 2009)� Ces crises peuvent être alimentaires, sanitaires, financières, poli-tiques, nucléaires civiles et militaires, climapoli-tiques, etc� Certaines d’entre elles sont globales, parce que susceptibles de concerner l’ensemble de la planète, mais elles dessinent cependant des expressions territoriales diffé-renciées� Dans ces conditions, la capacité d’adaptation des agriculteurs et des territoires est autant une nécessité qu’un projet (Gasselin et al., 2013)�

C’est une nécessité, parce que la finitude des ressources épuisables, notamment biophysiques, nous renvoie à la « conscience d’un monde fini », au sens d’un espace clos, contrôlé par l’homme (Reghezza-Zitt, 2015)� Cependant, les principales études sur le développement durable considèrent qu’il vise la combinaison de performances (au sens des résul-tats de l’action) ou de capacités (au sens des moyens d’agir) écologiques, socio-économiques et territoriales du système considéré (l’entreprise, la ville, le territoire, etc�), dans une obligation morale vis-à-vis des géné-rations futures (Godard, 2005 ; Villalba, 2017)� Pourtant, ces travaux scientifiques intègrent mal les capacités d’adaptation du système étudié, resitué dans sa dynamique passée et face aux incertitudes�

C’est aussi un projet, car s’il est certain que des changements majeurs sont à venir sur les plans démographiques, climatiques, énergétiques et environnementaux, on ne peut cependant pas les prévoir précisément� Les changements à venir impliquent que le système puisse s’adapter, qu’il s’agisse de conserver la cohérence du système, de le recomposer, d’apprendre, d’absorber les chocs ou de créer de nouvelles opportu-nités� La capacité à se maintenir en contexte incertain, et donc à durer, implique nécessairement une dimension d’adaptabilité (Ancey et al., 2013)� Pourtant, celle-ci reste mal renseignée dans l’évaluation de la durabilité des exploitations agricoles, des systèmes d’activité et des territoires, même si certains auteurs s’y sont particulièrement attachés (Vigne et al., 2017 ; Zaccai et Zuindeau, 2010)�

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L’ADAPTATION : NÉCESSITÉ ET PROJET DANS LA COEXISTENCE

Dès lors, l’adaptation n’est plus seulement un enjeu de « faire avec » des aléas, mais aussi, et en même temps, celui « d’agir sur » nos pratiques et nos sociétés� Les modalités d’adaptation mises en œuvre sont ainsi de véritables choix de modèles de développement (Thérond et al�, 2017)� Dans ces conditions, l’analyse de l’adaptation des systèmes agricoles et alimentaires suppose de la considérer sous un double angle� D’une part, c’est un processus continu, mais dont il s’agit d’étudier les trajec-toires d’évolution et d’identifier les marges de manœuvre des acteurs pour infléchir les dynamiques dans une perspective de développement territorial (Deffontaines et al�, 2001)� D’autre part, c’est une propriété, une capacité adaptative des formes d’organisation, qu’il s’agit d’inscrire dans la durée (temps) et dans l’étendue (espace) pour comprendre les choix réalisés et les modalités d’actions� Cette double tension, continu-discontinu, incertitude-choix, est constitutive de cet enjeu d’adaptation� Une première voie d’adaptation est la diversité des stratégies des acteurs et des territoires� Au niveau des exploitations agricoles, Darnhofer et al. (2010) mettent en évidence trois types de stratégies pour développer leur capacité d’adaptation : l’expérimentation et l’analyse en continu des résultats, la flexibilité de l’organisation des activités et la diversification pour répartir les risques� L’aptitude à saisir de nouvelles opportunités pour reconfigurer un système s’appuie sur le renouvel-lement de la diversité, la recherche de flexibilité et le développement d’une capacité d’apprentissage, mobilisant les expériences passées au service des décisions pour le futur (Dedieu et Ingrand, 2010)� Cette évolution nécessite une capitalisation des savoir-faire existants ainsi que des leviers et des stratégies d’adaptation, et appelle à des démarches d’accompagnement pour expliciter les préalables au changement et les outils mobilisables (Rigolot et al., 2019)�

Pour les systèmes alimentaires, Lamine (2015) met en évidence la diversité des acteurs et des institutions qui reconnectent agriculture, alimentation et environnement dans des trajectoires alternatives plus résilientes� Au niveau des paysages, Pinto-Correia et Godinho (2013) montrent à partir de l’exemple du Montado au Portugal qu’en combinant production, consommation et protection, les gestionnaires de l’espace contribuent à la multifonctionnalité des paysages et à la résilience des exploitations agricoles traditionnelles, en intégrant les nouveaux venus et de nouvelles formes d’organisation (développement du numérique, marché urbain à distance…)� Quant aux territoires ruraux, Torre et Wallet (2016) envisagent trois types de situations pour répondre aux enjeux territoriaux : l’expérimentation et l’exploration de formes d’orga-nisation basées sur l’implication locale et les nouvelles technologies, la différenciation basée sur la valorisation des ressources locales, et le développement de projets intégrés et la complémentarité avec d’autres territoires pour une coopération transversale�

La recherche de ces diversités ouvre sur une voie classique d’adap-tation qui est celle de la différenciation� C’est le cas des nested markets qui se développent à l’abri des marchés de masse gérés par les multi-nationales� Ils traduisent « les possibilités concrètes de contrer la distance par la proximité, l’artifice par la fraîcheur, l’anonymat par l’identité et l’authenticité, l’uniformisation par la diversité, et

l’inéga-lité par l’équité »1 (van der Ploeg et al., 2012)� De la sorte, les acteurs

transforment les conditions de la concurrence en développant des normes volontaires et des arrangements contractuels, par exemple dans l’agriculture biologique, les circuits courts dans les pays du Nord et le commerce équitable� Une autre voie de l’adaptation est celle de l’hybridation� Nous la considérons ici comme un processus de création d’une nouvelle forme d’organisation, par la combinaison de divers éléments hérités d’organisations antérieures et de types différents� L’hybridation est alors un facteur d’adaptation, mais aussi le résultat d’un processus d’adaptation�

Cet état des connaissances sur l’adaptation dans les situations de coexistence de modèles agricoles et alimentaires dans les territoires révèle plusieurs processus et stratégies favorables (diversification, différenciation, hybridation)� Pourtant, ces recherches posent rarement la question des échelles� Cela nous conduit à formuler deux hypothèses, peu instruites dans la littérature, et des questions associées�

Hypothèse 1 : la coexistence des modèles agricoles et alimentaires

confère des capacités d’adaptation aux territoires et aux systèmes qui les composent, du fait de leurs interactions� Ces interactions (coopérations, concurrences, hybridations, etc�) ne sont favorables à l’adaptation qu’à certaines conditions� Dès lors, quelles sont les interactions entre les modèles agricoles et alimentaires ? Comment se transforment-elles ? À quelles conditions la coexistence de modèles agricoles et alimentaires favorise-t-elle la transformation durable et résiliente des territoires ?

Hypothèse 2 : les capacités d’adaptation s’opèrent à différentes

échelles spatiales et temporelles. Il y a conjonction d’enjeux à des échelles (du local au global) et des combinaisons d’acteurs, d’acti-vités et d’espaces à différents niveaux (Lardon, 2012)� Quelles sont les configurations sociospatiales de ces processus adaptatifs ? Comment s’articulent-elles aux échelles locales et globales ? Finalement, pour favoriser des trajectoires d’adaptation souhaitées, comment les politiques publiques et les acteurs territoriaux peuvent-ils accompagner ces processus ?

DIFFÉRENTES FORMES D’ADAPTATION

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