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Quatre dimensions autour desquelles se matérialise l’hybridation ressortent de l’analyse de la trajectoire de la filière : les différentes échelles d’action, les objectifs poursuivis par les acteurs de la filière, les dispositifs de coordination et la mobilisation des ressources territoriales�

3� Pour plus de détails sur le cas et la méthodologie employée pour son étude, voir Baritaux et Houdart (2015)�

LA RENCONTRE D’ACTEURS AUX ÉCHELLES D’ACTION DIFFÉRENTES

Le partenariat tripartite articule des acteurs ayant des échelles d’acti­ vité de globale à très locale. Enseigne historique de la grande distribution alimentaire française (Daumas, 2006), Carrefour est une firme multi­ nationale. Néanmoins, Carrefour apparaît en France comme un pionnier dans le développement des marques de distributeur « de terroir » et des

Figure 4.1. La laiterie SFL et ses fournisseurs dans le territoire du Livradois-Forez.

démarches de filière� Quant à la SFL, c’est une entreprise d’échelle « hybride », articulant un fort ancrage local, tout en poursuivant une stratégie de développement national et en commercialisant ses produits en France, mais également à l’export (Corniaux et al., 2015)� Cette entre-prise familiale a été créée en 1949, dans le Livradois, par le grand-père des actuels propriétaires� Très ancrée dans son territoire, elle a cependant mis en place depuis plusieurs années une stratégie de développement basée sur une intégration horizontale, par rachat d’autres laiteries, et sur une diversification de ses activités� Ceci a conduit à la création d’une

holding, dirigée par la famille propriétaire de la SFL, regroupant diffé-rents sites de production en France dans des zones AOP, ainsi qu’une unité de découpe de fromages et de commercialisation en gros� Enfin, à l’échelle locale, dans un rayon de 40 km autour de la SFL (figure 4�1), les 19 producteurs laitiers impliqués dans la filière sont dans l’ensemble représentatifs des structures agricoles présentes sur le territoire� C’est-à-dire des exploitations de taille moyenne, des systèmes de production extensifs et autonomes en fourrage, et une production de lait modérée�

QUALITÉ ET ANCRAGE TERRITORIAL AU CŒUR

DU DISPOSITIF POUR UNE PLUS-VALUE ÉCONOMIQUE

Les spécifications du cahier des charges de la filière sont comprises par la majorité des acteurs du partenariat comme un moyen de garantir des qualités spécifiques au produit final liées à un territoire particulier� Elles peuvent être ainsi vues comme répondant à une attente en matière d’ancrage territorial et de qualité des produits, souvent considérée comme caractéristique des initiatives alternatives (Goodman, 2003 ; Watts et al., 2005)� Néanmoins, l’engagement des acteurs de la démarche semble également fortement motivé par des objectifs économiques et de rentabi-lité (maintien de parts de marché, création de valeur, etc�), traduisant une

forme d’« instrumentalisme » au sens de Block (1990) (Hinrichs, 2000)4

Ainsi, bien que le distributeur inscrive ce partenariat dans sa politique de responsabilité sociale (soutien aux agriculteurs et aux petites entreprises de transformation), cette initiative s’inscrit également dans une stratégie plus large, lancée dans les années 1990, de développement d’une offre de produits alimentaires de qualité (authenticité, goût), visant à gagner des parts de marché en répondant à la demande croissante des consom-mateurs pour des produits plus authentiques et éthiques� Pour la laiterie, le partenariat avec le distributeur constituait une opportunité de sécuriser un débouché et de poursuivre sa stratégie de diversification, après une tentative infructueuse de développement d’une offre de fromages certifiés

4� Un fort instrumentalisme vient en contradiction avec l’objectif de développer des systèmes alternatifs profondément ancrés socialement et dans lesquels les choix, même économiques, sont guidés par des objectifs « sociaux » (amitié, valeurs morales, etc�) (Hinrichs, 2000)�

Agriculture biologique (AB)� Ce partenariat répondait à l’objectif de créer un nouveau débouché commercial et de maintenir une bonne valorisation de ses produits� La mise en place de cette démarche de qualité est donc vue comme la suite logique des choix de production et commerciaux qui ont été faits auparavant en matière notamment de réappropriation de la produc-tion au lait cru et de valorisaproduc-tion de certains modes de producproduc-tion� Quant aux éleveurs, leur participation semble guidée davantage par des intérêts économiques que par des préoccupations écologiques� Les premiers agri-culteurs impliqués dans l’initiative produisaient déjà du lait « tout foin » et étaient certifiés AB� En revanche, les agriculteurs « recrutés » par la suite pour construire le partenariat n’ont pas été sélectionnés pour leurs pratiques respectueuses de l’environnement, mais pour la qualité supé-rieure de leur lait et leur motivation à faire évoluer leurs pratiques pour s’engager dans le partenariat� En outre, la laiterie s’est engagée économi-quement (prime de prix et durée de la collecte), mais n’a pas mis en place de dispositif particulier pour encourager les agriculteurs à démontrer une bonne utilisation et une bonne gestion de leurs ressources en pâturages et en prairies pouvant garantir de réels impacts écologiques positifs�

L’ARTICULATION ENTRE DISPOSITIFS FORMELS ET INFORMELS DE COORDINATION

L’opposition entre conventionnel et alternatif porte en partie sur les modes de gouvernance des relations économiques (Forsell et Lankoski, 2015)� La coordination informelle fondée sur de la confiance inter-personnelle, développée grâce à la proximité et à l’encastrement social des relations, est souvent perçue comme un mode de gouvernance vertueux, permettant de prendre en compte d’autres objectifs que ceux purement commerciaux (Bloom et Hinrichs, 2011)� Au contraire, les mécanismes de coordination formels comme les contrats ou les dispositifs de labelli-sation sont souvent associés au modèle conventionnel� Le développement de ces dispositifs traduit la montée en puissance de la grande distribution (Burch et Lawrence, 2005 ; Filser et Paché, 2008), et ils sont souvent vus comme un moyen, pour cette dernière, de renforcer son pouvoir sur les autres acteurs des filières (Berges-Sennou et Caprice, 2003 ; Filser

et al., 2001)� La filière étudiée articule ces deux dispositifs : bien que gouvernée par des dispositifs contractuels, les relations d’ancienneté et de confiance entre les différents acteurs ont joué un rôle majeur dans la mise en place de la coordination, aboutissant au fil des années à un rapport de force relativement rééquilibré, malgré la présence d’un acteur qui reste dominant dans sa capacité de négociation (Baritaux et Houdart, 2015)� Pour exemple, avant le lancement officiel de la filière, le responsable de production de la laiterie s’appuyait sur les rapports privilégiés qu’il entre-tenait de longue date avec les producteurs pour les inciter à intégrer la filière� Au lancement officiel de celle-ci, en 2005, la coordination reposait

d’une part sur un contrat qui liait la SFL et le distributeur et, d’autre part, sur l’engagement moral de collecte entre la SFL et les producteurs et le versement d’une prime de 30 € par 1 000 litres de lait tout foin� Par la suite, le transformateur a continué à mobiliser ses relations de proximité avec les producteurs pour motiver des adhésions nouvelles (réunions, visites d’exploitation)� Néanmoins, face au ralentissement des adhésions à la

filière et dans un contexte économique difficile5, le distributeur et la SFL

ont mis en place une plus forte coordination entre eux pour développer une stratégie incitative auprès des producteurs� Ces échanges ont renforcé la confiance entre le distributeur et les producteurs� Tout cela a abouti à des contrats formalisés par la laiterie assurant aux producteurs une prime de 60 € par 1 000 litres de lait et la collecte de leur lait pour une durée de sept ans, ce qui permettait de garantir le retour sur investissement en cas de conversion au séchage en grange�

LA MOBILISATION DE RESSOURCES TERRITORIALES PAR UN ACTEUR « GLOBAL »

Dans les chaînes de valeur hybrides, le distributeur mobilise des ressources locales qui viennent renforcer une activité qui se déploie à une échelle nationale, voire internationale (Bloom et Hinrichs, 2011)� La filière étudiée s’inscrit dans ce cas de figure� En effet, des méthodes de production apparentées à des savoir-faire traditionnels abandonnés dans un processus d’industrialisation de l’agriculture et de la transformation (utilisation de l’herbe et du foin, travail du lait cru) sont mises en place par un acteur emblématique du système agro- industriel (volumes importants, produits standardisés, coûts de production faibles)� En utilisant l’AOP, la ressource en herbe et en mobilisant des acteurs du territoire, leurs rela-tions antérieures (liens laiterie- producteurs) et leurs savoir-faire, Carrefour active des ressources territoriales tant matérielles qu’idéelles (Gumuchian et Pecqueur, 2007)� La façon même dont a été lancée la filière illustre cette forte mobilisation de ressources territoriales� Au début des années 2000, pour les personnes du groupe Carrefour engagées dans le développement de filières qualité pour le fromage, l’alimentation des animaux à base d’herbe et de foin et le lait cru sont des gages de respect des valeurs défendues par la marque de filière� L’Auvergne est alors identifiée comme une zone de production répondant à ces attentes et offrant des produits permettant de compléter le « plateau de fromages » proposé au rayon coupe des magasins Carrefour� En effet, outre l’existence de plusieurs AOP, cette région se caractérise par un nombre important d’élevages utilisant une alimentation à base d’herbe et de foin� Ce choix est également renforcé par l’existence d’un partenariat similaire, déjà mis en place avec une coopérative pour

5� En particulier, l’année 2008 est marquée par une forte chute des prix des produits laitiers, associée aux effets cumulés d’une baisse de la consommation et des exportations, et d’une augmentation des quotas laitiers�

la production de Cantal tout foin, qui a servi de base solide pour définir les fondements de la démarche (cahier des charges notamment)� Pour répondre à son objectif de développement d’une filière sur les deux AOP « Bleu », le groupe de distribution a mis en œuvre un dispositif classique de sourcing lui permettant d’identifier les laiteries susceptibles de répondre à sa demande sur le territoire auvergnat� Il a abouti à la sélection de deux entreprises sur la base de différents critères, parmi lesquels la capacité des laiteries à mobiliser des producteurs produisant déjà du lait tout foin, leur expérience de fabrication de fromages au lait cru et leur ancrage dans le territoire de production des AOP concernées� À l’issue de ce processus, la SFL a été retenue, car elle dispose de quatre atouts majeurs� Elle collecte déjà du lait auprès de producteurs dont le système fourrager est déjà basé sur la distribution unique d’herbe et de fourrages secs� Elle se démarque par son expérience dans la fabrication de fromages au lait cru� C’est une entreprise indépendante de taille moyenne, ce qui répond à la philosophie affichée par le distributeur de participer au développement économique du territoire� Enfin, l’entreprise est déjà engagée dans des relations commerciales avec le distributeur depuis plusieurs années�

L’INNOVATION : DE LA FILIÈRE AU TERRITOIRE

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