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Les transformation de l’agriculture française dans la seconde moitié du XXe siècle

Du pays de l’herbe au pays des arbres : les nouvelles forêts ardéchoises

Chapitre 2 : Boiser pour lutter contre la friche

2.1. Transformation de l’agriculture française et déprise agraire ; le Massif Central, le Morvan et l’Ardèche, des espaces en mutation

2.1.1. Les transformation de l’agriculture française dans la seconde moitié du XXe siècle

D’Edgard Pisani145 à Charles Pasqua146, durant trois décennies en France, les politiques agricoles et celles ciblées sur les espaces ruraux vont s’attacher d’un côté à transformer l’agriculture française pour l’intégrer dans une économie de marché, de l’autre côté à compenser les handicaps des espaces ruraux dans un cadre économique, social et territorial renouvelé. En somme, il s’agit de faire définitivement sortir le paysan d’une société traditionnelle en utilisant le progrès technique comme outil d’émancipation humaine (ALPHANDERY et al., 1989)147. La Politique Agricole Commune (PAC) et les directives européennes concernant l’agriculture auront, elles aussi, un impact majeur sur les campagnes françaises. Créée par le traité de Rome en 1957, mise en place en 1962, la PAC a beaucoup contribué à l’essor de l’agriculture française, notamment en terme de financement. Budgétairement, elle a longtemps été la plus importante des politiques communes de l’Union Européenne. Ses principaux objectifs (article 33 du traité de Rome) étaient d’accroître la productivité de l’agriculture, d’assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, de stabiliser les marchés, de garantir la sécurité des approvisionnements et d’assurer des prix raisonnables aux consommateurs. Le financement de la PAC a été assuré de 1962 à 2007 par le Fonds Européen d’Orientation et de Garantie Agricole (FEOGA)148. À partir de 1980, différents fonds et programmes communautaires ont apporté une aide puissante aux actions forestières, de boisement, d’amélioration ou de protection. En Ardèche, les premières réalisations en la matière ont été financées dans le cadre de la PAC grâce au FEOGA (de 1980 à 1985). Dans la continuité de la politique de développement régional, plusieurs programmes européens d’investissements financiers et de développement, répondant à un zonage particulier à chaque fois, seront successivement mis en place jusqu’en 1999149.

En France, les lois agricoles de 1960 et 1962 (Doc. n°23) auront un grand impact sur le futur de l’agriculture française. La présentation par Michel DEBRE150 (alors Premier ministre

145 Ministre de l’agriculture de De Gaulle de 1961 à 1966, il fut le promoteur du « productivisme » agricole. Voir à ce sujet son ouvrage « Le vieil homme et la terre », paru en 2004 aux Éditions du Seuil, dans lequel il se penche sur son passé et en tire des enseignements pour l’avenir.

146 En 1995, alors ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire (Gouvernement Balladur) il fait voter la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire (n°95-115 du 4 février 1995) qui associe pour la première fois le terme durable à celui d’aménagement et de développement du territoire national.

147ALPHANDERY Pierre, BITOUN Pierre, DUPONT Yves (1989). Les champs du départ. Une France rurale sans paysans ? Paris : La Découverte, 268 p.

148 Nous verrons dans le chapitre 3 que le FEOGA a servi à financer des boisements et des reboisements en Ardèche aux côtés du FFN et du budget de l’État, principalement durant la décennie 1980.

149 Quatre programmes européens se sont succédés en Ardèche de 1980 à 1999 : l’Action Commune Forestière Méditerranéenne de 1980 à 1985 (ACFM), le Programme Intégré Méditerranéen de 1987 à 1990 (PIM), le Programme de Développement des Zones Rurales de 1991 à 1993 (PDZR) et le Programme de Développement Rural de 1994 à 1999 (PDR). Voir chapitre 3.

150 Source : ASSEMBLEE NATIONALE (2009). Michel Debré – Table nominative des interventions devant l’Assemblée nationale [en ligne]. Disponible sur : <http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/michel-debre/michel-debre-tables_nominatives.asp> (Consulté le 03/07/2009).

de la toute nouvelle Cinquième République), le 26 avril 1960 à l’Assemblée nationale, de la politique agricole de 1960 donne le ton et fixe le cap qui sera désormais celui de l’agriculture française. Dès lors la modernisation de l’agriculture française se fera à grand pas avec l’adoption de cette loi et de la suivante (1962), grâce à un ensemble de mesures juridiques, structurelles, techniques, économiques et sociales (mise en place des procédures de remembrement et de regroupement foncier ; intégration à l’agriculture des progrès techniques, économiques et scientifiques ; développement de l’enseignement agricole et de la formation professionnelle ; entrée de l’agriculture dans le marché intérieur et extérieur de la France, création de fonds de soutien à l’agriculture en général ; développement des exportations ; protection du marché national ; mise en place d’une politique des prix ; extension des crédits ; amélioration du niveau de vie des agriculteurs ; création de crédits en faveur de l’adduction d'eau, projet de loi sur l'assurance-maladie, etc.).

Les lois agricoles de 1960 et 1962 sont à mettre en relation avec le contexte économique et historique particulier de la fin des années 1950 et du début des années 1960. La signature du traité de Rome en 1957 a institué un grand marché des produits en supprimant les barrières douanières entre six pays d’Europe occidentale (Allemagne, Belgique, Italie, France, Luxembourg et Pays-Bas). L’agriculture y tient une place importante, car durant l’épisode de la Seconde Guerre mondiale ces six pays ont tous connu une situation de pénurie alimentaire (1940-1950). La balance commerciale française agroalimentaire est alors structurellement déficitaire. Elle ne redevient positive qu’en 1971151. De plus, la France connaît à cette époque une forte expansion économique (+ 5% de croissance du PIB par an). Le besoin de main d’œuvre dans les autres secteurs d’activité que l’agriculture (industrie, service) est très fort. L’État se lance dans une politique volontariste d’indépendance nationale. Les groupements agricoles (syndicats, organisations professionnelles…), engagés pour une modernisation de l’agriculture et l’augmentation de sa productivité, soutiennent cette politique.

Doc. n°23 : L’évolution des structures agricoles impulsée par les lois d'orientation agricoles de 1960 et 1962.

Le territoire agricole français ne cessera de se partager entre une France agricole favorisée, majoritairement située au nord, et une France agricole défavorisée au sud et plus encore dans les régions de montagne (Doc. n°24). Que ce soit en terme de revenus, d’aides, de structures agricoles, de mécanisation ou d’handicaps naturels, les différences sont manifestes aujourd’hui entre les zones agricoles favorisées et celles défavorisées (y compris zone de montagne) (Doc. n°25). Le Massif Central apparaît très clairement comme un espace très défavorisé ; le classement de ce territoire le confirme.

Doc. n°24 : Pourquoi des zones agricoles défavorisées ?

Les zones agricoles défavorisées et de montagne correspondent à un découpage territorial lié à l'émergence d'une politique communautaire en matière de structures agricoles à partir des années soixante-dix. Ce zonage devait permettre d'aboutir à une restructuration du secteur agricole grâce à un soutien financier : aides à l'investissement, soutiens à la formation professionnelle, indemnités pour compenser les handicaps naturels permanents (ICHN). La délimitation des zones défavorisées et de montagne repose à la fois sur des critères économiques et physiques. Les critères d'éligibilité des communes ou parties de communes sont définis au niveau communautaire. En France, la zone de montagnes est scindée en deux zones : haute montagne et montagne ; la zone défavorisée en zone de piémont et en zone défavorisée simple.

> Données générales chiffrées sur les transformations de l’agriculture française dans la seconde moitié du XXe sicèle.

Les progrès de l’agriculture française, à partir des années 1950, sont comparables à la croissance générale de l’économie française durant la même période. En effet, l’agriculture française a connu une croissance de sa production tout à fait remarquable, malgré la diminution du nombre d’exploitations agricoles, du nombre de personnes employées et de la Surface Agricole Utile (SAU) totale.

Un des rôles essentiels des comptes nationaux est de décomposer les évolutions en valeur des opérations sur les biens et les services de deux façons : d’une part un « facteur prix » qui reflète le mouvement des prix et d’autre part, un « facteur volume » qui mesure l'évolution des « quantités » des agrégats à prix constants152. Cette décomposition permet en particulier, au niveau le plus agrégé, de mesurer la croissance de l'économie, définie comme l'évolution du PIB en volume. C’est pourquoi si l’on applique ces deux mesures à la valeur ajoutée de l’agriculture depuis 1949 (Doc. n°26), l’on peut conclure à une croissance de la valeur ajoutée agricole en volume (prix constants) proche de celle de l’ensemble de l’économie, bien qu’en valeur ou à prix courants, l’agriculture153 soit en repli permanent dans le PIB, notamment entre 1950 et 1980. Ainsi la part de l’agriculture dans le PIB passe de 18,5% en 1949 à 12,1% en 1960, 7,7% en 1970, 4,4% en 1980, 3,8% en 1990, 2,5% en 2000 et 2,2% en 2007154. Il apparaît donc très clairement que si l’agriculture et la sylviculture en France ont en gestion directe pratiquement les 9/10 du territoire national, leur contribution au PIB national est relativement faible.

152« Le PIB peut être évalué de trois façons : en faisant le décompte des biens produits et de la valeur ajoutée dégagée par cette production (approche production), en faisant le décompte de leurs emplois (approche demande), en additionnant les revenus (approche revenus). […] Toutes les grandeurs de la comptabilité nationale sont évaluées « en valeur », c’est-à-dire en euros courants. Les échanges sont évalués en utilisant les prix effectivement pratiqués. Or le prix perçu par le producteur n’est pas celui payé par l’acquéreur ; pour passer de l’un à l’autre, le bien (ou le service) doit être transporté et commercialisé par des intermédiaires qui prélèvent des marges. Il doit le plus souvent supporter des impôts sur les produits (TVA, TIPP par exemple) et reçoit parfois des subventions. Toutes ces opérations interviennent lorsque l’on décrit l’équilibre ressources-emplois d’un bien (ou service), c’est-à-dire le bilan en valeur de la production et des échanges relatifs à ce bien. Lorsque des biens ou services produits ne sont pas échangés, on les valorise aux prix pratiqués pour les échanges portant sur des biens ou services de même nature. Lorsqu’il n’existe pas d’échanges pour ces biens, on utilise souvent par défaut les coûts de production. Par ailleurs, des méthodes d’évaluation indirectes sont utilisées pour évaluer certains services qui sont réellement produits et consommés mais qui ne sont pas facturés en tant que tels. […] L’évolution du PIB en valeur n’est pas en soi une information suffisante ; pour évaluer la croissance, seule compte vraiment l’évolution « en volume ». Pour l’obtenir, on isole l’impact des variations de prix. » Source :

INSEE (2006). L’économie française – Comptes et dossiers[en ligne]. Éditions 2005-2006. Paris : INSEE, 218 p. Disponible sur : <http://www.insee.fr/fr/publications-et-services/sommaire.asp?codesage=ECOFRA05> (consulté le 17/10/2008).

153 L’agriculture est de loin la part la plus importante de la valeur ajoutée totale de sa branche qui comprend aussi la sylviculture et la pêche.

154 Source : INSEE (2008). Comptes nationaux – Finances publiques – Biens et services – Valeur ajoutée, emploi et productivité [en ligne]. Tableau : t_2201, Valeur ajoutée par branche à prix courants (Milliards d’euros). Disponible sur : <http://www.insee.fr/fr/indicateurs/cnat_annu/base_2000/biens_services/xls/t_2201.xls> (consulté le 17/10/2008).

Doc. n°26 : Une agriculture française qui pèse de moins en moins dans le PIB national.

En 1955, la France comptait 2,28 millions d'exploitations agricoles (Doc. a) n°28). En 2005, elles ne sont plus que 545 000, dont 64% sont considérées comme professionnelles155. La population active agricole (familiale et salariée) atteignait 6,14 millions de personnes en 1955, soit 30,5% de l'emploi total en France. En 2005, cette part est tombée à 4,4% avec 1,1 million de personnes (Doc. b) n°28)156. De plus, l’importance des agriculteurs dans la population active reflète des situations différentes sur le territoire national (Doc. n°27). Le Massif Central est encore relativement bien doté en agriculteurs.

155 Source : AGRESTE (2008). Enquête sur la structure des exploitations agricoles en 2007 [en ligne]. Agreste Primeur, n°215, octobre 2008. Disponible sur : <http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/primeur215.pdf> (consulté le 16/10/2008).

Doc. n°28 : Une agriculture française transformée : moins d’exploitations agricoles, moins d’actifs, moins de surface agricole utilisée.

En France, l'importance des surfaces agricoles utilisées et des territoires agricoles non cultivés a régulièrement diminué depuis cinquante ans, tout en restant prépondérante (Doc. c) n°28). En 2004, l'agriculture occupait 32,2 millions d'hectares (surfaces agricoles utilisées et territoire agricole non cultivé), soit 59 % du territoire métropolitain français contre 72 % en 1950 (39,2 millions d’hectares)157 (Doc. n°29). Ce recul s'est fait au bénéfice de deux autres espaces. D’une part, les bois et forêts sont passés de 20 à 28 % du territoire de 1950 à 2004158, soit une augmentation moyenne de 76 000 hectares par an, avec un infléchissement notable à partir des années 1970. D’autre part, la surface du territoire non agricole (fleuves, lacs, glaciers, rocs, sols bâtis, revêtus, parcs et jardins d’agrément, etc.) a presque doublé depuis 1950. Elle atteint aujourd'hui 14% de la surface totale de la France. Sa progression continue, depuis 1950, traduit un mouvement d’urbanisation poussé. Ainsi, au cours de la période 1992-2003 la déprise agricole nette est-elle d'abord imputable à l'artificialisation des sols avec 50 000 hectares par an159 (51% de la déprise nette totale).

Doc. n°29 : L’agriculture française libère de l’espace au profit de la forêt et des espaces urbanisés (occupation du sol en France).

Ces processus de déprise et d’emprise d’une catégorie d’occupation du sol à une autre cachent en réalité des mouvements de transfert de grande ampleur (flux et reflux). Ainsi, chaque année d’importantes surfaces portant un couvert forestier sont déboisées au profit de l’agriculture et vice versa. Cela est vrai aussi entre les sols agricoles et les sols sans usages

157 Source : SERVICE CENTRAL DES ENQUETES ET ETUDES STATISTIQUES (2009). Météorologie, utilisation du territoire

[en ligne]. Agreste – GraphAgri 2009. Disponible sur :

<http://agreste_recette.web1.maapar.lbn.fr/IMG/file/Gaf09p009-013.pdf> (Consulté le 01/07/2009).

158 Pour l’année 1946, la superficie des forêts françaises était estimée à 10,8 millions d’hectares. Soit un taux de boisement approximatif de 20% en 1950 (source : Ministère de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation (1996). Un demi-siècle d’expérience au service de la forêt et du bois. 50e anniversaire du Fonds Forestier National. Paris : Ministère de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation, 35 p.). En 2004, la superficie des forêts selon l’enquête TERUTI était de 15 169 677 hectares, soit un taux de boisement de 27,65% considérant la superficie totale (TERUTI) de la France métropolitaine égale à 54 919 189 ha. Si l’on intègre à cela les « Arbres épars, les haies et les peupleraies », soit 1 849 551 ha en 2004, le taux de boisement passe à 31% (source :

SCEES (2005). L'occupation physique du territoire de 1992 à 2004 [en ligne]. Disponible sur : <http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/teruti2005T1-2.pdf> (consulté le 16/010/2008)).

(friches, landes, rochers), et entre ceux-ci et les sols boisés160. Mais pour ce qui nous intéresse, il s’agit de comprendre quel est le lien entre déprise agraire (donc abandon de l’usage d’une terre agricole) et reforestation, au-delà de la simple observation.

Ces constats et ces chiffres, s’ils traduisent la réalité des transformations de l’agriculture française au cours de la seconde moitié du XXe siècle, sont complètement muets sur le détail des transformations techniques, économiques, sociales et culturelles qui ont affecté des millions de paysans et de chefs d’exploitation. À ceux-là, il faut adjoindre des millions de femmes et d’enfants qui faisaient partie intégrante de l’exploitation familiale traditionnelle. C’est ce malaise rural qui va maintenant être étudié.

2.1.2. Une économie agricole en crise dans le Massif Central, en Morvan et