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Du pays de l’herbe au pays des arbres : les nouvelles forêts ardéchoises

1.2. Paysans (1800-1960) et propriétaires de nouvelles forêts (1960-2010) : des héritages encore prégnants

1.2.2. Sociologie de la paysannerie

À partir de recherches d’ethnologues, d’historiens, d’agronomes et d’économistes, Henri MENDRAS (1967) s’applique dans son ouvrage sur « La fin des paysans » à caractériser la rationalité du paysan pour en prédire sa disparition. Plus tard, il donnera naissance à une théorie sociologique de la paysannerie (MENDRAS, 1976). À ce propos, Estelle DELEAGE (2005)124 montre comment la théorie sociologique de la paysannerie d’Henri MENDRAS, forte de son incontestable originalité, « ne peut occulter le fait qu’elle rejoint finalement les thèses des penseurs libéraux et marxistes orthodoxes de l’époque, thèses selon lesquelles le cours de l’Histoire devait et doit encore aujourd’hui, de manière inéluctable, nous conduire vers la disparition totale des paysans. » En effet, alors qu’Henri MENDRAS laissait penser à la disparition des paysans en France, la situation actuelle montre que ce ne fut pas le cas. D’ailleurs, les agriculteurs constituent encore aujourd’hui une part importante des propriétaires forestiers. Effectivement, ce sont toujours des acteurs centraux dans la construction des territoires, qu’ils soient ruraux ou même périurbains (nombre de villes font du maintien de l’agriculture périurbaine un enjeu fort en terme de production agricole et de conservation d’espaces de nature ordinaire, à l’occasion aussi espaces de respiration pour les urbains). Faisant abstraction de la part idéologique des travaux d’Henri MENDRAS sur la disparition des paysans, telle qu’elle a pu légitimer certains des choix politiques de modernisation de l’agriculture française, nous ne retiendrons pour notre démonstration que les principaux éléments d’explication et de compréhension de la société rurale et de la condition sociale du paysan traditionnel chez Henri MENDRAS, sans toutefois tomber dans la caricature. Notre exposé s’organise autour de trois points : 1) Les mécanismes de fonctionnement de la société rurale paysanne ; 2) La terre, le travail et le temps ; 3) De l’agriculteur traditionnel à l’agriculteur moderne entrepreneur.

124 DELEAGE Estelle (2005). La fin des paysans : mythe ou réalité ? Communication au colloque FAIRE CAMPAGNE, Rennes. Disponible sur : <http://eso.cnrs.fr/spip.php?article396> (Consulté le 14/06/2009).

> Les mécanismes de fonctionnement de la société rurale paysanne.

Henri MENDRAS (1967) s’attache tout d’abord à décrire les mécanismes de fonctionnement de la société rurale paysanne traditionnelle, qu’il résume sous cette formule :

« Être libre, manger son pain et respecter la nature. » C’est l’occasion de revenir sur la distinction faite entre paysan et agriculteur.

« Si les collectivités rurales ne jouissent pas d’une relative autonomie par rapport à la société englobante, nous parlerons d’agriculteurs, de groupes locaux, éventuellement de « classes » rurales, mais non de paysannerie. En un mot, le paysan se définit par rapport à la ville. S’il n’y a pas de ville, il n’y a pas de paysan, et si la société entière est urbanisée, il n’y en a pas non plus. » (MENDRAS,1967)

Henri MENDRAS illustre bien par cette définition, la conception des rapports ville-campagne dans les années 1950. En effet, si « La fin des paysans » paraît en 1967, cet ouvrage est en réalité issu de sa thèse d’État soutenue en 1965 et construite à partir de matériaux accumulés dans les années 1950. L’on retrouve dans les travaux d’Henri MENDRAS un de ces modèles explicatifs, dont parle Nicole MATHIEU (1990)125, qui ont dominé pour analyser les transformations des espaces ruraux et les relations spatiales villes - campagnes. En effet, Henri MENDRAS livre une description antagoniste de la société rurale paysanne traditionnelle et du monde extérieur, la ville. La campagne, symbolisée par le paysan, est en prise avec son milieu. Elle est le support de la production agricole et elle bénéficie d’une relative autarcie démographique, économique et culturelle. La ville, symbole du monde extérieur, échappe à la nature. Elle est un élément de définition du paysan, c’est un milieu technique, industriel d’où viennent les changements dont profitent ou que subit la société rurale paysanne. Le lien ville - campagne / forêt des champs - forêt des villes sera traité dans le chapitre 5. Étudié à l’échelle du Massif Central, il permettra d’évoquer les rapports entre espaces ruraux et développement d’une société urbaine.

Le fonctionnement de la société rurale paysanne traditionnelle est résumé dans le schéma ci-dessous (Doc. n°18). Les éléments qui structurent cette société seront abordés dans les points suivants.

Le fonctionnement du système social paysan se mesure au prestige social. Le paysan tente de maintenir son prestige social au sein du groupe (la collectivité rurale paysanne) par une série de contrôles de soi (l’image qu’il donne de sa personne aux autres membres) et sur soi (ce qui est affaire de valeurs et conforme à la morale paysanne). Conforme aux traditions et fidèle aux coutumes, il se dissuade de changer et s’empêche toute innovation. Lorsqu’un paysan souhaite accroître son prestige social, il doit rompre le rythme lent et collectif des changements, acceptant de briser l’équilibre du système qui assure sa propre reproduction et sa continuité (processus d’autocontrôle des membres de la collectivité). Pour ce faire, il doit choisir d’être différent de la masse et puiser à l’extérieur, du côté de la ville par exemple, des idées (transformer sur l’exploitation une partie des productions pour en accroître la valeur ajoutée…), des modèles (imiter les « gros » en achetant un tracteur…) pour changer son exploitation. Parmi les paysans, ceux qui prendront cette voie, la classe montante, compteront parmi les agriculteurs modernes. Enfin, au dessus de tous on trouve le notable, celui dont le prestige social est maximal. Il a encore à faire avec la société rurale paysanne puisqu’il est propriétaire terrien sur le territoire de la collectivité paysanne, mais il dépasse en tous points les instruments de mesure villageoise du prestige social. Cette posture, qu’il doit aux nouvelles expériences qu’il a réalisées, lui donne une position

125MATHIEU Nicole (1990). La notion de rural et les rapports ville – campagne en France. Des années cinquante aux années quatre-vingts. Économie Rurale, n°197, mai-juin, pp. 35-41.

particulière qu’il entretient en brisant les codes, ce qui aurait discrédité le plus respecté des paysans.

Doc. n°18 : Le fonctionnement du système social paysan.

Afin d’apporter de la matière pour aller plus loin dans la compréhension du fonctionnement du système social paysan, voyons maintenant l’exemple du Morvan avant de revenir sur les travaux d’Henri MENDRAS.

Les mutations concernant la terre et les hommes dans le Morvan ont été particulièrement bien décrites dans la thèse de Jacqueline BONNAMOUR (1966)126. Si d’anciennes hêtraies dégradées et des terres agricoles ont été reboisées ou boisées en résineux grâce aux aides du FFN après 1945, c’est que le monde agricole morvandiau n’a pas eu les capacités financières et humaines, ni la formation nécessaire pour s’adapter aux transformations de l’agriculture française qui étaient en cours à cette époque. La forêt était « devenue étrangère au monde agricole qui n’en retirait que de maigres profits et répugnait de plus en plus à y employer ses bras » (Ibid.). D’après le recensement général de l’agriculture de 1955, seulement 3% des exploitations agricoles morvandelles possédaient une superficie boisée supérieure à 10 hectares, permettant l’approvisionnement continu en bois de chauffage pour une famille. De plus, les maigres taillis et les pauvres taillis-sous-futaie de l’époque ne répondaient plus aux besoins de l’économie moderne et ne rendaient pas au pays les services qu’il pouvait escompter. Dans une large mesure la forêt était devenue « un espace mort » (Ibid.). Après avoir fourni à la capitale son bois de chauffage, il y a eu substitution de dépendance à l’égard de Paris et cette montagne est devenue l’objet des convoitises d’investisseurs faisant le pari des résineux. C’est ainsi que de nombreux notables (mais aussi des personnes morales, principalement des sociétés civiles d’investissement ou des groupements forestiers, dont on peut supposer que les gérances étaient entre les mains de

126BONNAMOUR Jacqueline (1966). Le Morvan – La Terre et les Hommes. Paris : Presses Universitaires de France, 454 p.

notables), des morvandiaux d’origine émigrés à Paris et dans d’autres grandes villes de France, se sont lancés dans l’aventure forestière grâce au FFN, mais pas seulement. À cette époque le placement-terre était en vogue par rapport au placement-or, dont on acceptait le manque de rentabilité contre l’assurance de sa valeur intrinsèque.

« À constater d’une année à l’autre que ces domaines se multiplient, s’agrandissent, on conçoit l’organisation d’un réseau d’achats et l’on imagine l’inquiétude des morvandiaux qui voient une partie du patrimoine régional leur échapper ; encore anodin par ses dimensions, le phénomène inquiète par la vitesse acquise qui contraste si violemment avec les lentes et pénibles acquisitions des agriculteurs » (Ibid.).

Jacqueline BONNAMOUR (Ibid.) montre bien le rôle des notables et l’importance de l’expérimentation dans la création de grandes propriétés forestières au sein du Morvan. À ce titre, le Morvan se distingue très nettement du Massif Central car les petites et moyennes propriétés forestières, créées par la suite à l’initiative de paysans, ne détrônent pas en importance spatiale les grandes propriétés forestières dont certaines sont des boisements et reboisements du FFN127. Ces notables avaient en effet accès à une littérature d’érudits passionnés de forêt qui les a appuyés dans leur choix ; ce que le monde agricole morvandiau n’était pas en capacité d’intégrer. Il est vrai que cela allait à l’encontre de son système de valeurs, que ce n’était pas source de prestige social et que ce changement aurait rompu l’équilibre de cette société rurale paysanne probablement trop préoccupée à travailler toujours plus la terre, à économiser encore et encore, sans rien changer. Jacqueline BONNAMOUR (Ibid.) cite en référence le Bulletin trimestriel de la Société forestière de Franche-Comté en septembre 1964, qui donne des chiffres de production impressionnant pour des plantations résineuses bien aménagées, en Morvan : épicéas de 28 ans, 281 m3/ha (soit un accroissement annuel de 10 m3/ha/an) ; douglas de 27 ans, 356 m3/ha (soit un accroissement annuel de 13 m3/ha/an) ; épicéas de sitka de 27 ans, 532 m3/ha (soit un accroissement annuel de 19 m3/ha/an). La preuve chiffrée de ce processus en Ardèche sera apportée dans le chapitre 3, à partir des données recueillies dans les archives du FFN de ce même département. En effet, nous verrons que les contrats du FFN en Ardèche sont avant tout l’œuvre de notables, dans un premier temps du moins, alors que les bons-subventions du FFN sont presque tous des réalisations de paysans. Dans un second temps, avec l’apparition des prêts et des primes du FFN l’on observe l’arrivée d’une classe montante chez les « boiseurs », qui correspond à quelque chose près aux enfants des paysans (la génération du baby boom). Ce sont généralement des personnes qui se sont élevées dans l’échelle sociale, ils n’exercent pas le métier d’agriculteur, ni ne sont ouvriers. Par contre, un certain nombre sont employés ou de catégorie socio-professionnelle similaire. Pour eux, le recours au prêt ou à l’autofinancement est signe de changement par rapport à la génération de leurs parents, pour qui seule l’épargne, fruit de beaucoup de travail, était l’unique capacité de financement possible. Mais elle était insuffisante pour réaliser de grands boisements.

Il est malgré tout d’ores et déjà possible d’apporter d’autres éléments à notre démonstration. Henri MENDRAS (1967) souligne que la plupart des progrès agricoles ont été l’œuvre d’éléments étrangers à la société paysanne.

« Ces hommes, si ingénieux pour perfectionner les détails d’exécution, n’inventent pas. Tous les grands changements dont ils ont profité ou qu’ils ont subis leur ont été imposés du dehors, par les villes. […] L’étude de la société villageoise traditionnelle explique pourquoi, en règle générale, les paysans ne pouvaient guère être des innovateurs ; tout le poids de la tradition et tout le

127 Au sein du Morvan, les propriétés forestières de moins de 4 hectares couvrent une superficie de 19 824 ha (13,3%), celles de 4 à 25 ha : 35 655 ha (23,8%) et enfin celles de plus de 25 ha : 93 965 ha (62,9%). Source : Étude bois RHÔNE-ALPES 2008 (CRPF, 2009).

système social les en empêchaient. Le propriétaire non-paysan au contraire, par sa situation marginale, pouvait remplir le rôle d’initiateur et d’expérimentateur des nouveautés. » (Ibid.)

Le développement des nouvelles forêts résineuses dans la commune d’Ajoux en Ardèche, que nous avons étudié plus particulièrement, montre bien cela. En effet, les deux grandes propriétés forestières qui se sont constituées dans la commune sont l’œuvre de notables, extérieurs à la communauté villageoise, qui ont joué le rôle d’innovateurs. Ceux-ci, après avoir acquis la totalité des terres de deux anciennes fermes, les ont boisé en douglas grâce aux aides du FFN. Face à la concurrence qui s’exerçait entre les paysans désireux de rester au pays pour exercer leur activité agricole et ceux qui boisaient des fermes entières, des conflits non violents sont nés (Voir Doc. n°107 sur la réglementation des boisements en Ardèche). C’est ainsi que dans la commune d’Ajoux une réglementation des boisements fut mise en place entre 1978 et 1980, afin de maîtriser l’extension des plantations de conifères et de les confiner dans certaines parties du territoire, de telle sorte qu’elles ne causent pas de préjudices aux agriculteurs restant, en évitant la spéculation foncière. On observe que les individus qui se considéraient comme faisant partie de cette société paysanne n’ont pas boisé, hormis dans le cadre de la réglementation des boisements dans la commune. D’ailleurs, la réglementation des boisements marque généralement la fin des plantations, lorsqu’elle n’arrive pas trop tard, comme nous aurons l’occasion de la voir dans le chapitre 3. Sur Ajoux, la seule plantation (un boisement en pin laricio de Corse de moins d’un hectare) post réglementation est à l’actif du maire de l’époque, lui-même à l’origine de la réglementation des boisements, agriculteur et syndicaliste agricole. Ainsi, l’importance quantitative et spatiale des nouvelles forêts résineuses de petite et moyenne surface montre l’ampleur du bouleversement qu’a connu la société rurale ardéchoise en l’espace de quelques décennies après la Seconde Guerre mondiale. Il en est de même dans l’ensemble du Massif Central.

Doc. n°19 : Des slogans contre les boisements du FFN. « La forêt est faite pour nourrir les hommes et pas pour faire des cercueils. »

Ce slogan était scandé au cours des congrès du syndicat agricole de l’Ardèche (FDSEA) dans les années 1960-1970. Il montre à la fois, l’image du châtaignier « arbre à pain », arbre de vie qui nourrissait les hommes et l’image inverse des conifères, qui en prenant le pas sur l’agriculture concourent à la disparition des paysans. La première vague de boisements et de reboisements du FFN a représenté une attaque contre l’agriculture qui était déjà en difficulté dans cet espace de moyenne montagne. Les premiers boisements et reboisements du FFN n’étaient pas contrôlés ; chaque propriétaire pouvait planter là où il le voulait. Ainsi de nombreuses fermes ont été achetées pour être entièrement boisées au mépris de ceux qui restaient. Les bonnes et les mauvaises terres se trouvaient couvertes de jeunes plants forestiers. La réaction des agriculteurs n’a pas tardé. C’est ainsi qu’une grande partie des communes de la moitié nord du département, l’Ardèche agricole, ont adopté des réglementations pour « organiser » les boisements et les reboisements du FFN. Désormais ils seront cantonnés aux endroits délaissés par l’agriculture. Dans la plupart des communes, la réglementation est arrivée après les grandes opérations de plantations. Le zonage de l’espace achevait de contenir les derniers volontaires au boisement et reboisement.

Pour compléter, l’étude des mécanismes d’autocontrôle du système social paysan, nous resterons encore un temps dans la commune d’Ajoux. Revenons avant cela, à une citation d’Henri MENDRAS (1967) qui décrit à la fois la figure du paysan moyen qui tente d’innover et les réactions vives du reste de la société rurale de laquelle il est issue.

« […] il était difficile à un paysan moyen d’être innovateur. Mettre en question la tradition héritée du père et acceptée des voisins, connaître les progrès réalisés par les savants des villes ou les agriculteurs ingénieux des régions voisines, ressentir le besoin de ce changement qui trouble un équilibre médiocre mais assuré, avoir les moyens économiques et intellectuels de jouer l’expérience, toutes ces circonstances étaient rarement réunies. Et si, par hasard, elles l’étaient parce qu’il était plus riche, plus instruit, plus imaginatif et plus ambitieux que ses voisins, ceux-ci et tout le système social ne manquaient pas de réagir pour lui faire sentir l’incongruité de son entreprise. L’essai d’une nouveauté par un paysan créait à proprement parler un scandale : il se croyait plus habile que ses pères, plus malin que ses voisins, plus instruit que les notables, pour oser faire ce que ces derniers n’avaient pas l’idée de faire ? […] Et par là il se situait exactement dans la même position et le même rôle que le notable : c’est parce qu’il était différent, marginal, qu’il lui était possible de braver la tradition. » (Ibid.)

Le mécanisme d’autocontrôle du système social paysan tel que l’évoque Henri MENDRAS (Ibid.), nous en avons obtenu l’exemple et la confirmation en entretien. L’exemple pris, est celui de ce couple de retraité, du hameau de Blaizac qui a été décrit précédemment. Alors que durant deux mois nous étions voisin j’ai passé suffisamment de temps à leur contact, lors d’épisodes de travaux en forêt, de visites diverses, de repas et de soirées à déguster des produits paysans ardéchois, pour être frappé par l’optimisme qu’ils dégageaient encore à plus de 70 ans. Il est vrai que ce couple d’agriculteur s’était élevé au-dessus du groupe en développant de nouvelles activités, complémentaires de leur système productif plus traditionnel (Doc. n°20). Mais le fruit de la réussite, fut aussi source de différences et de marginalisation à l’intérieur du groupe, comme nous le faisait remarquer cet agriculteur :

« Des marginaux. On avait envie de mieux vivre. Tu dis une ou deux fois cela et puis voila. Après c’est l’exemple, c’est pour cela qu’il faut plus de 5 ans [pour que le groupe s’approprie la nouveauté]. »

Doc. n°20 : Des nouveautés qui marginalisent dans le système social paysan.

« Dans les années 1960, on était des farfelus au regard des organismes agricoles et des autres agriculteurs. »

« La coopérative achetait le lait à 1 franc et nous on le valorisait à 5 ou 6 francs. Cela occupait ! Il fallait faire le beurre. » Ainsi, pour produire la même valeur ajoutée, il fallait cinq fois moins de vache en transformant le lait de celle-ci qu’en le vendant directement à une coopérative laitière.

« En Ardèche, on ne peut guère avoir un troupeau de vache laitière comptant cent unités, alors qu’une vingtaine beaucoup plus facilement. »

« Avec les vaches, on faisait du beurre et du fromage. On arrivait [sur le marché] à 08h00 et à 09h00, il n’y avait plus rien ; les gens faisaient la queue pour en acheter. » À cette époque (années 1960) les grandes surfaces n’existaient pas et beaucoup d’achats se faisaient sur le marché.

« Le beurre était un produit d’appel. On pouvait vivre sur une plus petite surface. »

Source : entretiens avec un propritéaire forestier ardéchois Cet exemple permet de montrer que les héritages de la paysannerie existent encore dans les espaces ruraux, tels qu’on peut les retrouver chez les nouveaux propriétaires forestiers lorsqu’ils s’expriment en terme de reproduction et de continuité de certaines pratiques forestières. Alors que la propreté en forêt « est un vilain défaut »128, nombre de propriétaires

128 Nous empruntons cette expression à Brice DE TURCKHEIM qui est un des théoriciens de la Sylviculture Irrégulière Continue et Proche de la Nature (SICPN) en France.

forestiers voient dans la propreté d’un chantier forestier, qui consisterait à brûler l’ensemble des rémanents ou de les ranger en petit tas, un signe distinctif, une marque d’un travail soigné et bien fait, la preuve de leur valeur morale…. Ils n’y voient pas par contre l’importante perte minérale pour leurs sols, un milieu favorable au développement des semis,