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Pour répondre à notre problématique générale de recherche, le Massif Central est un laboratoire d’étude adapté, comme cela a été expliqué précédemment, et un cadre territorial original.

Doc. n°5 : Le Massif Central vu du ciel : les forêts en fausses couleurs.

La position géographique du Massif Central en France le place à la croisée de deux principaux transects. Les thèses jumelles de Frédéric ALEXANDRE (1994)43 et d’Alain GENIN (1995)44 sur les contacts entre les domaines phytoclimatiques de la bordure sud-est du Massif Central analysent toutes deux, les influences réciproques du climat et de la végétation. À une échelle plus fine, ils mettent en relation les changements discernables avec le substrat, la topographie et surtout avec l’action anthropique.

Le premier transect de la plaine à la montagne, d’ouest en est, va de l’Atlantique aux frontières orientales de la France entraînant une variation et une diversité des conditions de milieu. Le second transect conduit des futaies cathédrales des vieilles forêts du nord de la France aux riches forêts méditerranéennes pour leur diversité biologique au sud, en passant par le centre de la France. Le Massif Central est cerné par cinq grands massifs45, « bastions » de conifères émergeant dans la forêt française, qui représentent des ensembles territoriaux emblématiques où les résineux occupent une place importante bien qu’associés à des feuillus en proportion variable :

Les Landes de Gascogne au sud-ouest.

Les Alpes du nord et du sud à l’est.

La montagne jurassienne à l’est.

Le massif vosgien au nord-est et son pendant allemand la Forêt-Noire.

Enfin, la Sologne et la forêt d’Orléans au nord46.

Étudier l’ensemble des forêts du Massif Central avec un niveau d’analyse fin n’était pas envisageable dans le cadre de cette recherche doctorale parce que cet espace et ses sylves sont bien trop vastes et hors de mesure pour un jeune doctorant. Une équipe de recherche y suffirait-elle ? Il nous a donc paru judicieux de nous concentrer sur un espace plus réduit : l’Ardèche des nouvelles forêts, sur lequel seraient conduites les investigations qui fourniraient les matériaux à cette thèse. C’est pourquoi dans le cadre de ce travail de recherche, le Massif Central est avant tout utilisé comme une échelle réflexive adaptée pour répondre à la problématique générale de cette recherche. Néanmoins, notre raisonnement spatial embrassera différentes échelles pour disposer d’éléments de comparaison qui in fine

nous permettront d’évaluer, dans la conclusion générale de ce travail, la pertinence des divers maillages de l’espace et du territoire pour la gestion des nouvelles forêts.

Avant d’exposer les raisons qui nous ont poussé à choisir l’Ardèche comme terrain d’étude, le cadre géographique du Massif Central doit être défini.

43 ALEXANDRE Frédéric (1994). Entre Midis méditerranéen et atlantique, un transect phytoclimatique du Languedoc à l’Aquitaine. Thèse de doctorat. Paris : Université de Paris VII, 428 p.

44GENIN Alain (1995). Les contacts entre domaines phytoclimatiques. L’exemple de la bordure cévenole. Thèse de doctorat. Paris : Université de Paris VII.

45 Voir leur description dans la partie 3.1. du chapitre 3.

46 Enrésinées au XIXe siècle sous le Second Empire et pour les mêmes raisons de salubrité que les Landes de Gascogne, elles conservent cependant à côté du pin sylvestre et du pin maritime une proportion de feuillus non négligeable.

> Le Massif Central des géographes.

Nombreux furent ceux, géographes, historiens et hommes politiques, qui apportèrent leur pierre à l’édifice de définition d’un Massif Central français, sans pour autant épuiser le sujet. Le Massif Central d’André FEL (1962)47 retiendra notre attention (Doc. n°6).

Doc. n°6 : Le Massif Central d’André FEL.

« Le domaine de cette étude est très vaste. Du Morvan à la Montagne Noire, on compte 450 kms ; des plateaux Corréziens aux Monts du Lyonnais 250. Morcelé en plusieurs masses, ce domaine embrasse les portions montagneuses de 21 départements*. Il a fallu définir l’extension de ce « milieu montagnard ». En première approximation nous avons convenu d’exclure toutes les régions d’altitude inférieure à 500 m. Mais le niveau de base de notre étude ne peut être conçu comme une simple ligne hypsométrique. Nous avons essayé de nuancer cette limite inférieure en considérant le climat, le relief, les sols et les formes même de l’économie agricole. Elle a été reportée un peu plus haut lorsque le climat est plus chaud : ainsi d’une façon générale, nous avons exclu toutes les régions de vignoble et de production fruitière. De la même manière, les bons sols des bassins sédimentaires (marnes du bassin du Puy, argiles du Camarès) ont été exclus, même lorsque l’altitude atteignait 600 ou 700 m. À l’inverse, le relief fort des « pays coupés », le relief cévenol en particulier, introduit des conditions montagneuses à des altitudes plus basses. En définitive, notre domaine est formé des terres les plus rudes et les plus élevées du Massif Central, au-dessus de 500, 600 ou 700 m d’altitude. Cette indétermination ne pose pas, croyons-nous, un problème majeur. »

* voir ci-après les départements inclus tout ou partie dans le Massif Central par la loi montagne de 1985. Ce sont les mêmes qu’André FEL évoque (hormis l’Yonne).

Sur le plan géographique, le Massif Central a été largement étudié par des géomorphologues, des climatologues et des ruralistes48. Il faut d’ailleurs noter que deux Universités y sont installées, à Clermont-Ferrand et Limoges. Il est tout de même intéressant de faire référence à deux ouvrages, le premier est un « Que sais-je ? » intitulé « Le Massif Central » édité en 1963 et le second est « L’atlas du Massif Central » paru en 1983. Ces deux livres offrent une bonne synthèse géographique sur le Massif Central à laquelle il est fait référence, mais qui n’est pas développée. À vingt ans d’intervalle, l’évolution du regard du géographe clermontois André FEL, qui signe ces deux parutions aux côtés de Simone DERRUAU-BONIOL d’abord puis de Guy BOUET ensuite, mérite attention. Dans le premier ouvrage, André FEL montre à partir de critères géographiques que cette vaste région porte doublement bien son nom : « massif », par son relief compact, « central », par sa situation et plus encore par ses fonctions de centre de partage des eaux. L’argumentaire tend à conférer à l’ensemble une relative unité, malgré d’assez sensibles différences entre l’une et l’autre de la vingtaine d’unités géographiques qui la composent. En avant propos dans l’atlas du Massif Central (1983)49 – ouvrage de synthèse rédigé vers la fin de leur carrière – André FEL et son collègue Guy BOUET posent une question récurrente dès lors que l’on envisage le Massif Central : « Le Massif Central est-il un simple assemblage de pièces et de morceaux mal soudés dans la France d’aujourd’hui, ou bien, a-t-il au contraire une personnalité géographique et laquelle ? » Eux-mêmes, alors que l’ouvrage s’intitule « le Massif Central »,

47FEL André (1962). Les Hautes terres du Massif Central, tradition paysanne et économie agricole. Paris : Presses Universitaires de France, 340 p.

48 Des thèses ont été consacrées au Massif Central, non seulement à son relief : Henri BAULIG (1928), André MEYNIER (1935), Paul MARRES (1936), Max DERRUAU (1949), à son climat : Pierre ESTIENNE (1955), ainsi qu’à sa vie rurale : Lucien GACHON (1939), André FEL (1962), etc. À propos du Morvan voir les thèses de : J. BEAUJEU -GARNIER (1950), Jacqueline BONNAMOUR (1966).

49FEL André, Bouet GUY (1983). Le Massif Central. Collection Atlas et géographie de la France moderne. Paris : Flammarion, 1983. 348 p.

traitent de la géographie de l’Auvergne et du Limousin comme si finalement le Massif Central était un « costume » large et englobant pour des éléments que la pensée géographique s’obstine à individualiser. Ces auteurs remarquent en effet qu’avec le temps les points de vue évoluent et que finalement « la géographie enregistre surtout les nouvelles orientations [socio-économiques de cet espace] », sans être « moins attentive à sa base géologique et aux fondements historiques ». Cette recherche sur les nouvelles forêts s’inscrit dans cette perspective en mettant les hommes et les territoires au cœur de la gestion durable de ces espaces boisés. Ces auteurs reconnaissent-ils aussi peut-être, que malgré tout le Massif Central n’a jamais véritablement réussi à se constituer comme un tout (politiquement, administrativement et identitairement).

Olivier POUJOL (1994)50 dans un article sur « L’invention du Massif Central » montre bien les étapes de la construction du Massif Central. C’est précisément à la géologie que l’on doit les premières descriptions d’un plateau central. Au XIXe siècle, deux géologues très actifs, Inspecteurs généraux des Mines, membres de l’Académie des Sciences (Armand DUFRENOY et Élie DE BEAUMONT) entreprennent une grande description géologique de la France. Leurs investigations portant sur les terrains cristallins, les conduisent à publier un mémoire intitulé : « Considérations générales sur le plateau central de la France et particulièrement sur les terrains secondaires qui recouvrent les pentes méridionales du massif primitif qui le compose »51. C’est la première fois qu’apparaît l’évocation d’un « plateau central ». Pourtant ce plateau central ne deviendra pas Massif Central tout de suite. L’examen de plusieurs ouvrages du XIXe siècle, tel que le livre posthume de Jules MICHELET (1886), « Notre France : sa géographie, son histoire »52, les Guides Bleus et les manuels scolaires de la même époque montrent que le Massif Central n’est jamais présenté en tant que tel, ni comme espace, ni comme élément fédérateur d’une identité :

« Quant aux habitants, ils se disaient d’Auvergne, du Morvan, du Velay, du Gévaudan, du Rouergue, de la montagne ou simplement de tel ou tel village... sans se reconnaître d’une unité géographique d’ensemble qui les dépassait. […] ils ne percevaient pas au-dessus, une unité supérieure, un massif qui était de toute façon à leur époque un « espace innomé ». » (POUJOL, 1994)

Ce sont en réalité les cartes murales des écoles de la Troisième République (1875-1940) qui tendent à vulgariser et à populariser le Massif Central en tant que région géographique ; alors que la tradition de la vieille école géographique perdure jusque vers la fin du XIXe

siècle. Les monts d’Auvergne et l’escarpement des Cévennes étaient seuls identifiés comme les deux élévations centrales de la France. C’est Paul VIDAL DE LA BLACHE qui ouvrira la voie aux études géographiques du XXe siècle en dessinant la « personnalité géographique » du Massif Central, grâce à sa description précise et évocatrice des paysages. Si André FEL dans sa thèse sur « les Hautes terres du Massif Central » (1962) décrit l’existence de communautés des genres de vie qui persistaient encore dans la première moitié du XXe siècle dans un Massif Central ; un autre géographe, Georges CHABOT dans sa « Géographie régionale de la France » (1966) 53, ne reconnaît plus à « cet énorme ensemble qu’une unité bien lâche. Il n’est guère de vie commune à l’ensemble du Massif : le Limousin s’apparente aux pays de l’ouest de la France, la bordure orientale regarde vers la vallée du Rhône, tandis que le Morvan est tourné vers le bassin de Paris. ». Accéléré au cours des Trentes Glorieuses avec

50POUJOL Olivier (1994). L’invention du Massif Central. Revue de Géographie Alpine, n°3, pp. 49-62.

51 Résumé du mémoire de Dufrénoy et de Beaumont, In Bulletin des sciences naturelles et de géologie, 2e section du Bulletin universel, Tom. XVI, 1829 [en ligne]. Disponible à partir de : <http://books.google.com/> (Consulté le 17/09/2008).

52 Cité par O. POUJOL : MICHELET Jules (1886). Notre France : sa géographie, son histoire. Paris : C. MARPON et E.

FLAMMARION, 319 p.

le développement de nouveaux réseaux de transport qui évitent le Massif Central (VARLET, 2004)54, le thème du pôle répulsif tend à être associé au Massif Central. Il faudra attendre le début du XXIe siècle pour que le Massif Central soit à nouveau envisagé sous un angle plus valorisant, comme une « haute terre d’initiative »55.

> Le Massif Central de la loi montagne de 1985.

Ce vaste territoire est en fait une création récente écartelée entre de multiples régions et départements (6 régions et 22 départements56). Sur le plan administratif, le Massif Central a été créé par la loi montagne du 9 janvier 198557 puis modifié en 2005 par la convention interrégionale du Massif Central afin d’intégrer le Morvan58. Les communes situées en « zone de montagne » sont celles qui comportent une « zone de montagne » au sens de la réglementation agricole. La loi montagne de 1985 et ses textes d’application n’ont fait que confirmer un classement issu notamment et de la directive communautaire du 28 avril 1975 :

« La zone de montagne comprend des communes ou parties de communes caractérisées par une limitation considérable des possibilités d'utilisation des terres et un accroissement important des coûts des travaux dûs selon les cas :

- À l'existence, en raison de l'altitude [minimum 700 mètres partout, sauf massif vosgien : 600 mètres, et montagnes méditerranéennes : 800 mètres], de conditions climatiques très difficiles, se traduisant par une période de végétation sensiblement raccourcie ;

- À la présence, à une altitude moindre, dans la majeure partie du territoire [au moins 80%], de fortes pentes [supérieures à 20%], telles que la mécanisation ne soit pas possible ou bien nécessite l'utilisation d'un matériel particulier très onéreux ;

- À la combinaison de ces deux facteurs […] »

Cette définition de la montagne n’a jamais été remise en cause.

Le Massif Central (84 000 km²)59 représente à lui seul la moitié de la superficie des massifs français. La loi montagne de 1985 a introduit la notion de « massif », définie comme

« chaque zone de montagne et les zones qui lui sont immédiatement contiguës et [qui] forment avec elle une même entité géographique, économique et sociale […] ». Ainsi, les massifs montagneux au sens de la loi englobent aussi certaines zones de piémont60 et certains bassins d’emplois situés en bordure de zone de montagne.

54VARLET Jean (2004). Traverser le Massif Central. Dynamiques d’ouverture et de fermeture. Actes du colloque : Traverser les montagnes, Montanea, CNFG, 3-4 octobre 2002. Collection EDYTEM. Cahiers de Géographie, n°2, pp. 79-90.

55RIEUTORT Laurent (dir.) (2006). Massif Central, hautes terres d’initiatives. CERAMAC Hors série. Clermont-Ferrand : Presses Universitaires Blaise Pascal, 121 p.

56 Auvergne (Allier, Cantal, Haute-Loire, Puy-de-Dôme), Bourgogne (Côte-d’Or, Nièvre, Saône-et-Loire, Yonne), Languedoc-Roussillon (Aude, Gard, Hérault, Lozère), Limousin (Corrèze, Creuse, Haute-Vienne), Midi-Pyrénées (Aveyron, Lot, Tarn, Tarn-et-Garonne) et Rhône-Alpes (Ardèche, Loire, Rhône).

57REPUBLIQUE FRANÇAISE (1985). Loi n°85-30 du 9 janvier 1985. Relative au développement et à la protection de

la montagne [en ligne]. Disponible sur : <http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006068895&dateTexte=20091006>

(Consulté le 02/03/2009).

58JOURNAL OFFICIEL DE LA REPUBLIQUE FRANÇAISE (2005). Décret n°2005-1333 du 28 octobre 2005 modifiant le décret n°2004-69 du 16 janvier 2004 relatif à la délimitation des massifs[en ligne].

59 Le détail des communes appartenant à chacun des massifs est disponible sur le site Internet de l’Observatoire des Territoires de la DIACT : <http://www.territoires.gouv.fr/zonages/p2_perim.php> (Consulté le 02/03/2009). Les calculs ont été réalisés à partir de ces données, géoréférencées pour le besoin.

60 Dans le cours de cette recherche, piémont est orthographié de deux façons différentes. Le terme piémont est ici celui qui figure dans la loi montagne de 1985. Lorsqu’il sera question du pays (entité naturelle et historique) de Pierre BOZON, le terme sera orthographié « Piedmont » comme son auteur.