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Du pays de l’herbe au pays des arbres : les nouvelles forêts ardéchoises

Chapitre 2 : Boiser pour lutter contre la friche

2.1. Transformation de l’agriculture française et déprise agraire ; le Massif Central, le Morvan et l’Ardèche, des espaces en mutation

2.1.4. La déprise agraire en Ardèche

Pour évoquer les transformations du monde agricole ardéchois, voici comment Pierre BOZON, fin connaisseur du Vivarais dont il tirera sa thèse en 1961188, introduit une « Note sur l’évolution de l’agriculture ardéchoise »189 (parue en 1975 dans la Revue de géographie de Lyon). Il décrit dans celle-ci le processus de déprise agraire en Ardèche.

« Les transformations rapides qui affectent l’agriculture et le monde paysan depuis une vingtaine d’années ne pouvaient manquer d’atteindre le département de l’Ardèche, avec une ampleur d’autant plus grande qu’il s’agit d’une région défavorisée à bien des points de vue, soit sur le plan physique, soit sur le plan humain. Il suffit de rappeler que vers 1959, les quatre-cinquième des exploitations étaient dans une situation précaire, malgré des efforts méritoires pour orienter l’agriculture vers des productions plus adaptées, plus spécialisées et plus rémunératrices. » (BOZON, 1975)

Si Pierre BOZON stigmatise le « pessimisme de ceux qui considéraient l’Ardèche comme un département où l’agriculture était en voie de disparition rapide » (Ibid.), il ne manque pas par contre de faire état de la diminution du nombre des exploitations agricoles ainsi que de celle de la SAU. Ce processus est à l’origine de la déprise agraire en Ardèche, d’autant que la diminution de la SAU correspond principalement à la disparition d’exploitations agricoles de petites dimensions (40% d’exploitations en moins en quinze ans dont la SAU est comprise entre 5 et 10 hectares) (Doc. n°38).

Doc. n°38 : De moins en moins de petites exploitations agricoles en Ardèche entre 1955 et 1970 (RGA).

Pierre BOZON montre que le déclin général, caractérisé par la diminution du nombre des exploitations agricoles (très petites, petites et moyennes) et son corollaire la réduction de la SAU, ne sert guère à accroître la SAU des grandes exploitations agricoles (20 à 50 hectares pour l’époque), hormis celle des très grandes (plus de 50 hectares). Ainsi œuvre la déprise agraire en Ardèche dans les deux premières décennies (1950-1960) d’après la Seconde Guerre mondiale. Et même si Pierre BOZON souligne qu’après 1967, les très petites exploitations (moins de 5 hectares) ne diminuent plus, ce sera quand même pour disparaître un peu plus tard. Ces très petites exploitations deviennent, à partir de cette époque, des exploitations à temps partiel ou de « de plaisance » (Ibid.) que conservent des exploitants ayant un autre emploi ou des chefs d’exploitation âgés qui perpétuent encore quelques activités agricoles pour un temps. Dans les deux cas pourtant, cela ne s’apparente qu’à une situation transitoire ou provisoire. Pierre BOZON évoque même les « amateurs de retour à la terre » qu’il met en rapport avec le développement de ce type d’exploitation « de plaisance, qui semblent profiter sous ces ciels méditerranéens. » (Ibid.) (environ 300 installations au début des années 1970 selon Pierre BOZON)

Mais surtout, ce que livre d’intéressant Pierre BOZON, c’est une géographie de ce déclin général de l’agriculture à l’échelle de l’Ardèche (Doc. n°39). Il précise cependant que « le

188BOZON Pierre (1961). La vie rurale en Vivarais. Thèse. Clermont-Ferrand : Faculté des lettres, 647 p.

189BOZON Pierre (1975). Note sur l’évolution de l’agriculture ardéchoise. Revue de géographie de Lyon, vol. 50, n°2, pp. 177-184.

déclin moyen est loin de correspondre à la réalité » et que le « calcul par commune laisse apparaître de grosses inégalités » (Ibid.) qu’il regroupe en trois types (Doc. n°40). C’est justement cette géographie qui trouve tout son intérêt dans notre problématique des nouvelles forêts. En effet, c’est bien parce que des terres agricoles ont été libérées des suites de la déprise agricole que leurs propriétaires, ou ceux qui les ont acquises, ont décidé de les boiser pour partie.

Pierre BOZON conclu à propos de cette géographie de la déprise agraire au cours des décennies 1950 et 1960 : « Au total, ces inégalité font apparaître le rôle incontestable de la pente qui désavantage Boutières, Cévenne, Haut-Vivarais montueux, et celui de l’altitude, puisque La Montagne est durement frappée. Les régions basses et peu déclives ont bien mieux résisté, sauf exceptions comme la haute vallée du Rhône ou certains secteurs bas-vivarois : ces cas relèvent d’une mauvaise structure foncière ou démographique. » (Ibid.) Voici donc tracé le périmètre de l’Ardèche des nouvelles forêts dont il est question dans cette recherche. Si la pente est bien un désavantage pour l’agriculture dans les Boutières, la Cévenne et le Haut-Vivarais montueux, les causes de la déprise agraire sont à nouveau reprises par Pierre BOZON dans le commentaire de sa carte de synthèse : l’exode rural actuel ou déjà ancien (comme dans la Cévenne, mais aussi les émigrations saisonnières), la structure foncière des exploitations, leur économie routinière et l’âge du chef d’exploitation

Dans son étude de l’agriculture ardéchoise, Pierre BOZON fait aussi l’examen du vieillissement des exploitations. Au RGA de 1970, un quart des chefs d’exploitation ardéchois étaient âgés de plus de 65 ans190. Il propose là aussi d’observer les importantes disparités en Ardèche :

- Au-dessous de la moyenne départementale se rangent le nord de l’Ardèche (du Pouzin à Saint-Agrève), et les régions élevées du Coiron et de la Montagne. Le Piedmont, le plateau de Vernoux et La Montagne ont des taux inférieurs à 15%, - La Basse vallée du Rhône et le Bas-Vivarais avoisinent la moyenne,

- Les Boutières et la façade cévenole correspondent à un ensemble vieilli à plus de 30%,

- La Cévenne, enfin, détient le record du vieillissement avec près de 35% des chefs d’exploitation âgés de plus de 65 ans.

En dernier lieu, le RGA de 1970 permet à Pierre BOZON de mesurer l’importance de la double activité des chefs d’exploitation, qu’il qualifie de « phénomène traditionnel en Vivarais, pays des migrations saisonnières et du travail en usine rurale. » (Ibid.) La double activité du chef d’exploitation est très fortement représentée dans la vallée du Rhône, particulièrement autour de certains centres que cite Pierre BOZON : Serrières, Tournon, Saint-Péray, La Voulte, Cruas, Le Teil. Il en est de même autour des centres urbains intérieurs : Privas, Chomérac, Annonay, environs du Cheylard, de Villeneuve-de-Berg, d’Aubenas et de Largentière. En revanche, la double activité est faible dans le Haut-Vivarais montueux, dans une bonne partie des Boutières et La Montagne ; autrement dit dans les zones à l’écart des centres urbains.

Nous laissons conclure Pierre BOZON sur la destinée de l’Ardèche après deux décennies de déprise agraire intensive. Ces propos nous ont semblé révélateurs.

« L’agriculture ardéchoise évolue donc depuis une vingtaine d’années dans le sens où elle s’est engagée depuis déjà longtemps, c’est-à-dire vers une spécialisation dans les trois spécialisations, fruits, vigne, élevage, qui conviennent mieux à sa vocation. Comme partout, cela s’est traduit par une diminution du nombre des exploitants, mais contrairement à tous les pronostics, elle n’est pas excessive. Il est vrai que beaucoup sont âgés ou ont une autre activité. Le premier fait annonce de nouvelles pertes ; le deuxième se renforce, d’autant plus qu’il est de tradition dans ce pays où on en fait flèche de tout bois.

190 Pour information, l’espérance de vie à la naissance pour un homme en 1970 était de 68,4 années. Source : INED (2009).

En même temps, la sélection entre les diverses contrées vivaroises s’est accentuée. En gros, on aperçoit deux catégories : d’une part, les pays relativement faciles, point défavorisés par le relief, Piedmont, plaines bas-vivaroises, collines de la Façade cévenole, basse vallée du Rhône, qui ont pu s’adapter aux conditions de l’agriculture moderne et qui apparaissent assez solides ; d’autre part, les pays infortunés, les uns à cause de l’altitude dispensatrice de rudesse climatique et d’isolement, les autres à cause de l’âpreté du relief qui multiplie les trop fortes déclivités. Les premiers (Montagne, Coiron) grâce à l’élevage sur de vastes surfaces et à des exploitants relativement jeunes, ont encore des chances d’avenir. Les autres (Boutières et Cévenne surtout) semblent se vider peu à peu, sauf quelques lisérés fruitiers des vallées même si parfois de gros troupeaux de moutons ou de chèvres hantent encore quelques versants. Mais ce sont précisément ces pays pittoresques noyés de solitude qui attirent ceux, de plus en plus nombreux, qui fuient l’air étouffant du monde industrialisé. » (Ibid.)

Comme cela a été vu pour le Massif Central, la courbe de croissance des surfaces forestières évolue inversement à celle qui montre la diminution des surfaces agricoles. Nous verrons dans le chapitre 3 que l’intensité des boisements et des reboisements du FFN et par conséquent la progression des nouvelles forêts résineuses se calque sur le modèle de la géographie de la déprise agraire en Ardèche dressée par Pierre BOZON. Ces différences décrites à propos de l’agriculture se retrouveront en matière forestière entre d’une part, les Boutières, le Haut-Vivarais montueux et la Cévenne, et d’autre part, la Montagne191 et le Coiron. De plus, l’épisode de déprise agraire des années 1950-1960, que décrit Pierre BOZON, ne diffèrera pas dans ses causes et ses conséquences au cours des décennies suivantes. Il est donc possible et suffisant pour conclure sur la déprise agraire en Ardèche, de terminer la série statistique commencée par Pierre BOZON sur la diminution du nombre des exploitations agricoles et la réduction de la SAU en Ardèche jusqu’à maintenant (Doc. n°41). C’est peut-être à ce sujet qu’il semblait optimiste. En effet, dans l’ensemble des départements du Massif Central, la Bordure orientale et sud-est a connu un processus de déprise agraire relativement fort, comme en témoigne toujours actuellement les rythmes de ces processus192. En ne se focalisant que sur l’agriculture et la forêt, l’on manque d’un indicateur qui ferait état des transformations spatiales à l’œuvre, à la fois dépendantes de situations héritées (déprise humaine, déprise agraire, mutations de l’espace et du paysage) et de dynamiques actuelles, notamment liées à l’économie agricole.

191 Toutefois, si l’agriculture s’est maintenue plus longtemps dans la Montagne, d’importantes surfaces agricoles seront boisées durant les décennies 1980 et 1990 grâce aux aides en la matière.

192 La série statistique de 1993 à 2004 sur l’occupation du territoire, issue de l’enquête TERUTI (source : IFEN, Série : Utilisation du territoire (TERUTI), n°OC01, de 1993 à 2004 ; Disponible sur : <http://eider.ifen.fr/Eider/tables.do> (Consulté le 21/07/2008)), montre que dans les départements de la Bordure orientale et sud-est du Massif Central (Loire, Rhône, Ardèche, Gard et Hérault) la diminution des « zones agricoles » a été supérieure ou égale à 4% de la surface totale au cours de cette décennie (1993–2003), alors que dans le reste du Massif Central (hormis le Tarn-et-Garonne) elle a été moins importante.

Doc. n°41 : Une agriculture ardéchoise transformée : moins d’exploitations agricoles et moins de surface agricole utilisée.

> Quantifier la déprise agraire aujourd’hui dans le Massif Central et en Ardèche.

Pierre DERIOZ (1994) a consacré une thèse à l’étude des « Friches et terres marginales en basse et moyenne montagne »193 dans laquelle il s’attache à décrypter les enjeux et les ambiguïtés des différents « discours » sur les friches et sur les menaces qu'elles font peser sur les paysages ruraux. Il montre « l’imprécision généralisée des concepts utilisés [SAU, friche, lande et garrigues, pacages et parcours]. Chacun désigne une réalité différente de celle qu’exprime les autres, mais pas nécessairement antinomique, et ces réalités peuvent dans certains cas se superposer ou se combiner […] » (Ibid.). Nous avons remarqué aussi que les agriculteurs eux-mêmes n’associent pas toujours ces surfaces en marge aux sols agricoles utilisés, qu’ils qualifient en Ardèche de « mauvais pays »194, alors qu’ils les emploient plus ou moins. Ainsi, au-delà des problèmes de définition de ces espaces marginaux et des incertitudes statistiques qui en résultent, la donnée CORINE Land Cover (poste 3.2.2.) : « landes et broussailles »195 sera mise en carte pour estimer l’importance spatiale de la déprise agraire en Ardèche en 2000 (Doc. n°42). Le stock de « landes et broussailles » atteste de l’ancienneté et de l’ampleur du processus de déprise agraire. En Ardèche, ces formations végétales correspondent bien à des terres dont l’usage dominant passé était agricole196 (prairie, lande pâturée, terre cultivée). Cela a pu être vérifié, notamment dans la commune d’Arcens, à partir de la donnée spatialisée CORINE Land Cover et des photographies aériennes. Il importe toutefois de distinguer deux grands types d’espaces dans ce poste « landes et broussailles ». D’une part, les terrains enfrichés, couverts de broussailles, situés à proximité des habitations, attestent bien d’une déprise agraire active depuis plusieurs décennies. D’autre part, les terrains occupés par la lande (situés en position sommitale ou sur un versant mal exposé, battus par les vents, sur des terrains présentant de nombreux affleurements rocheux) sont plutôt à considérer comme une formation végétale présente sous cette forme depuis longtemps et de ce fait, n’attestant pas directement une déprise agraire récente mais plutôt ancienne.

193DERIOZ Pierre (1994). Friches et terres marginales en basse et moyenne montagne. Revers sud-oriental du Massif Central. Thèse de doctorat en Géographie. Avignon : Faculté des Lettres et des Sciences Humaines ;Fontenay-Saint-Cloud : École Normale Supérieure, 330 p.

194 Propos glané dans une discussion avec un agriculteur dans la commune de Rochepaule en Ardèche lors d’un séjour sur mon terrain de thèse.

195 « Landes et broussailles » (poste 3.2.2 de la nomenclature CLC). Il s’agit de : « Formations végétales basses et fermées, composées principalement de buissons, d'arbustes et de plantes herbacées (bruyères, ronces, genêts, ajoncs, cytises...) » (Source : IFEN, CORINE Land Cover France, Fiches techniques). En Ardèche, ces formations végétales correspondent bien à d’anciennes terres dont l’usage était agricole (prairie, pâturage naturel, systèmes culturaux au parcellaire complexe). Cela a pu être vérifié, notamment dans la commune d’Arcens, à partir de la donnée spatialisée CORINE Land Cover et des photographies aériennes.

196 Pour la donnée CORINE Land Cover, le seuil minimal des unités cartographiées est de 25 hectares. Ainsi, dans un espace classé en « landes et broussailles » peut-on trouver des terres agricoles encore utilisées. De plus la localisation des « landes et broussailles » en Ardèche ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de friches ou de landes ailleurs, mais plutôt qu’elles ne constituent pas des unités de grandes surfaces. Ou bien sont-elles déjà incluses dans les « forêts », dans les « systèmes culturaux complexes » ou bien dans une catégorie d’entre-deux la « végétation arbustive en mutation ».

Dans la Montagne ardéchoise qui domine la Cévenne, hormis la régions des Sucs qui compte encore de grands espaces agricoles ouverts (pâturages), les espaces en « landes et broussailles » s’intercalent entre les espaces forestiers et les dernières prairies maintenues à proximité des habitations, sur les terrains les moins en pente. L’espace ouvert se contracte. L’impression de fermeture du paysage peut être prononcée selon les lieux, le relief (situation de plateau légèrement vallonné) et l’impression de hauteur des conifères qui atteignent facilement 25 ou 30 mètres de hauteur.

Dans la Cévenne, les espaces en « landes et broussailles » occupent pratiquement tout l’espace qui n’était pas encore forestier, hormis quelques fonds de vallée ou des « pelouses et pâturages naturels d’altitude ». Les versants ne sont pour ainsi dire plus que de la forêt. Malgré tout, le sentiment de fermeture du paysage est limité à cause du relief et de la perspective visuelle qu’offre l’ouverture des vallées cévenoles vers le couloir rhodanien, les sommets du Diois et des Baronnies.

Dans la partie amont des Boutières, les espaces en « landes et broussailles » s’installent sur d’anciennes terres agricoles, les moins favorables, les plus en pentes et les plus éloignées des habitations. Le relief, composé d’une succession de micro et petites vallées encaissées avec des différences d’altitudes modérées entre points hauts et fonds de vallée, ne dégage pas de perspectives visuelles lointaines comme c’est le cas dans le Cévenne ardéchoise dès que l’on s’élève. L’impression d’une forêt qui gagne et qui enserre les habitations est forte. Dans cette partie amont des Boutières, depuis les sommets le manteau forestier apparaît pratiquement continu. Ce n’est pas le cas dans la partie avale des Boutières ou de larges perspectives visuelles s’ouvrent sur des paysages non forestiers (par exemple les communes d’Issamoulenc depuis la Croix de Ferrières ; de Saint-Julien-du-Gua depuis la route des Crêtes en direction du hameau d’Intre et au-dessus de celui de Grésière ; d’Albon-d’Ardèche et de Saint-Pierreville avec la vue sur le Serre de Champs Maux ; de Pourchères, Creysseilles et Pranles avec un ensemble continu constitué par le Serre de Pied-de-Bœuf, le Serre de Pieroulet et le Serre de Pierre Aurelle).

Nous venons de voir dans le détail les causes multiples, les mécanismes complexes et les conséquences fâcheuses de la déprise agraire à plusieurs échelles. Après l’étude l’exode rural (objet de la partie suivante) dans le Massif Central et en Ardèche, il faudra envisager la déprise agraire comme l’origine en France d’une vaste reconquête forestière avant tout naturelle (processus de boisement spontané). Cependant, dans ce processus de reforestation une partie des sols agricoles abandonnés ont été boisés artificiellement, principalement grâce aux aides du FFN, selon une intensité décroissante depuis sa mise en place en 1946 jusqu’à son terme en 1999. Cette reforestation, lorsqu’elle est naturelle, a une dynamique propre qui est celle d’une succession végétale, depuis le sol nu ou la culture abandonnée jusqu’à un stade forestier. Lorsqu’elle a été artificielle et qu’il s’agit d’une plantation de quelques hectares ou moins (boisement), la raison a souvent été pour les paysans boiseurs un moyen d’éviter l’embroussaillement par l’apparition de la friche. Ils connaissaient bien, pour lutter en permanence contre elle, la force et la rapidité avec laquelle elle pouvait envahir des terres sur lesquelles la pression agricole était réduite. En deux ou trois ans la friche apparaissait. Pour ces paysans, voire poindre la friche était insupportable. Longtemps, les paysages de friche ont été « considérés comme des lieux de pauvreté, de misère de populations » (LUGINBÜHL, 1999)197. Ce sera l’objet de la partie 2.3. « L’arbre

197LUGINBÜHL Yves (1999). Perception paysagère des espaces en déprise et des boisements spontanés des terres agricoles. Ingénieries – EAT, n°spécial Boisements naturels des espaces en déprise, pp. 25-29.

plutôt que la friche » que de revenir sur ce sujet. D’autres entreprises de plantation, sur de plus grandes surfaces, ont également coexistées avec celles dont il était question précédemment. Ces grandes plantations, de quelques dizaines à quelques centaines d’hectares (en Ardèche, aucune opération de boisement ou de reboisement aidée par le FFN n’a dépassé le millier d’hectares comme il en existe certains exemples dans le Massif Central) n’avaient bien souvent que deux motifs. Dans un cas, il s’agissait de nouvelles forêts résineuses souhaitées, vues comme un placement financier ou spéculatif ; dans l’autre cas, que nous qualifierons de subi, c’est l’Administration forestière d’État qui lança de grandes opérations de boisement et de reboisement prenant la forme de groupements forestiers.

Dans certains territoires du Massif Central, en Ardèche tout particulièrement, le processus de reforestation ne se tarira certainement pas dans l’immédiat, du fait de l’importance du réservoir des landes encore existant et parce que l’emprise agricole est bien moins importante que la déprise. Il engendrera selon les communes des taux de boisement très élevés. Quelles en seront les conséquences en termes paysagers ? Faut-il craindre une fermeture de ces paysages ? La forêt deviendra-t-elle une ressource territoriale pour ces espaces ?

2.2. La naissance d’un vide : les Hautes Terres du Massif Central et la