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Transcendance, finitude et idéalisme allemand

Dans le contexte de sa réception immédiate, il semble qu’Être et temps ait été accueilli comme une percée de plus dans le domaine de l’anthropologie philosophique, qui était en vogue à l’époque185. C’est donc dire que sa portée ontologique a d’abord été méconnue,

raison pour laquelle Heidegger entreprend de démontrer, à la fin des années vingt, que la question de la nature de l’homme ne trouve pas son véritable fondement dans une réflexion d’ordre strictement anthropocentrique, mais qu’elle reçoit bien plutôt son orientation propre à travers le développement du problème de la métaphysique. Tout l’enjeu consiste alors à déterminer en quoi et selon quelles modalités limitées il peut être dit que l’homme est appelé à occuper le centre de l’étant, alors qu’il se consacre au questionnement philosophique. Afin de le déterminer, il convient d’abord de préciser ce qu’il s’agit d’entendre par « métaphysique ». Heidegger définit formellement cette dernière comme « l’interrogation qui se porte au-delà de l’étant, afin de reprendre celui-ci, comme tel et dans son ensemble, dans la saisie conceptuelle. » (GA 9, 118/54) Or dans cet « au-delà » résonne toute la conceptualité de la transcendance, que Heidegger avait déjà commencé à investir de ses investigations dans Être et temps, mais qu’il situe désormais plus que jamais au cœur de ses préoccupations186. Qualifiée de « constitution fondamentale » du Dasein, voire d’« essence

du sujet187 » (GA 9, 137/105*), cette dernière apparaît dès lors comme « un cadre privilégié

185 C’est notamment le jugement que porte Edmund HUSSERL sur l’œuvre majeure de son protégé (Notes sur

Heidegger, p. 13). Au sujet de la réception « anthropologique » d’Être et temps, voir François JARAN-

DUQUETTE, La métaphysique du Dasein dans l’oeuvre de Martin Heidegger : Repenser l’essence de la

métaphysique à partir de la liberté humaine, p. 15-34. Françoise DASTUR a également consacré un ouvrage au

traitement de la question anthropologique chez Heidegger (Heidegger et la question anthropologique).

186 Heidegger aborde brièvement le problème de la transcendance au chapitre §69 d’Être et temps. Celle-ci est

alors identifiée à la constitution temporalo-ekstatique du Dasein, en fonction de laquelle celui-ci dépasse l’étant intramondain pour le considérer en sa mondanéité. Le concept de transcendance joue cependant un rôle beaucoup plus central et englobant dans le contexte du déploiement de la métaphysique du Dasein, rôle qu’il s’agira pour nous de circonscrire.

187 Dans la mesure où le Heidegger d’Être et temps refuse toute identification du Dasein au sujet, il convient de

noter qu’il réinvestit prudemment le vocabulaire de la subjectivité à la fin des années vingt. Il ne saurait être question pour autant de réhabiliter le sujet moderne, transparent et certain de soi. Mais Kant, par exemple, n’a-

pour l’élaboration de toute question concernant l’étant en tant que tel, c’est-à-dire l’étant dans son être ». (GA 9, 159/136*) Transcendant l’étant donné à la manière d’un centre « ex- centrique188 » (GA 9, 162/141), le Dasein accède ainsi à la dimension d’où se décide la

configuration des possibles qui organise l’étant en sa totalité, c’est-à-dire « d’où le Dasein se fait annoncer avec quel étant il peut avoir des rapports et comment il le peut ». (GA 9, 157/132*) Rappelons que cette dimension, que Heidegger nomme également le monde, n’est pas elle-même un étant, ce par quoi s’annonce la nature d’un écart essentiel, dorénavant baptisé « différence ontologique ». Bref, le Dasein peut être dit homo metaphysicus en ceci que projetant un horizon compréhensif au-delà de l’étant en direction de ce qui le détermine en son être, il lui appartient d’opérer une distinction à la lumière de laquelle l’étant se voit articulé et configuré en sa totalité. C’est pourquoi Heidegger attribue à la transcendance le titre de « fondement de la différence ontologique ». (GA 9, 135/101, cf. GA 24, 454/383)

Cela dit, le ne-pas auquel renvoie implicitement toute forme de différence nous invite déjà à réfléchir à la part déterminante que doit revendiquer le négatif lorsque vient le temps d’élaborer un projet ontologique189. Il convient également de nous remémorer les limites

qu’Être et temps assignait aux capacités fondationnelles du projet-jeté et de nous demander

t-il pas parlé du sujet en des termes plus humbles ? Il semble que Heidegger ait admis une telle acception, du moins pour un temps, puisqu’il se le reprochera plus tard.

188 La transcendance situe tout aussi bien l’homme au centre de l’étant qu’elle se manifeste, par essence, comme

décentrement et ek-stase. Sans doute est-ce la raison pour laquelle Heidegger se met désormais à parler en termes d’un « Dasein en l’homme », rendant ainsi questionnable l’équivalence stricte qui semblait pouvoir être établie entre les deux termes (par exemple, GA 3, 230/286). En deçà de toute détermination prédéterminée de l’essence de l’homme, le Dasein se présente en effet comme la dimension originelle où se décide ce que l’homme peut et pourra être, voire selon quelles modalités il pourra ou ne pourra pas occuper le centre de l’étant. Or cela ne saurait être décidé qu’à la lumière d’une compréhension de l’être donnée, ce par quoi est établie la primauté de l’ontologie sur toute anthropologie. La pensée du tournant insistera davantage sur la nécessité d’établir une distinction claire entre le Dasein et l’homme, mais il convient de noter que cette nécessité commence déjà à se manifester à la fin des années vingt, sans toutefois encore mener à une réforme terminologique cohérente et définitive.

189 Gianni VATTIMO constate également à quel point le thème de la négativité apparaît central dans le cadre des

écrits de la période métaphysique de Heidegger : « Comme le suggère Heidegger lui-même dans l’avant-propos écrit pour la troisième édition (1949) de l’Essence du fondement, cet essai et Qu’est-ce que la métaphysique ? – mais, nous le verrons, également L’Essence de la vérité – peuvent être interprétés unitairement comme autant d’élaborations du problème de la négativité ou encore – et l’on verra bientôt la raison de cette identification – du problème de la métaphysique elle-même. » (Introduction à Heidegger, p. 75-76.)

en quel sens elles sont susceptibles de retenir, ou du moins de contenir, ses élans métaphysiques. Ces questions deviennent d’autant plus décisives que la métaphysique du Dasein, dans une volonté manifeste de réformer certaines tendances funestes propres à l’ensemble de la tradition, aspire d’abord et avant tout à se faire pensée de la finitude, ou ce qui revient au même, de la négativité. Le pathos d’Être et temps pouvait parfois nous le faire oublier : il ne s’agit pas pour Heidegger de révéler les limites qui incombent à tel ou tel choix personnel anodin, comme s’il était question d’aller au marché authentiquement, choisir ses légumes à la manière d’un être assumant l’imminence de sa fin. Au contraire, il importe plutôt de voir en quoi la finitude affecte et conditionne en son fond toute compréhension ontologique en général, compréhension que Heidegger désigne dès lors emphatiquement comme « ce qu’il y a de plus fini dans le fini ». (GA 3, 229/285) « Il n’y a d’être et il ne peut y en avoir que là où la finitude s’est fait existence », précise-t-il encore en ce sens. (GA 3, 228/284) Si l’homme doit être appelé à se situer au centre de l’étant, du fait de sa capacité à le transcender et à lui assigner sa place respective, il ne semble donc pas que ce soit à la manière d’un sujet souverain, capable d’assumer à lui seul la fondation absolue et systématique de l’étant en sa totalité. Il faut au contraire, nous dit Heidegger, « que sa nullité dans l’ensemble de l’étant puisse et doive apparaître comme un problème ». (GA 9, 162/141*) Or ce problème pourrait provisoirement être formulé ainsi : comment une réflexion métaphysique consciente de ses limites peut-elle répondre au besoin ontologique qu’exprime la transcendance d’un être fini, c’est-à-dire affecté en son fond par un irréductible ne-pas ?

En résumé donc, la métaphysique du Dasein adopte la forme d’une interrogation de type transcendantal, partant de la finitude et posant la possibilité même de son enquête comme problème. À ce titre, il ne fait aucun doute que le projet heideggérien se situe expressément dans l’horizon d’une répétition de la problématique kantienne. Le livre Kant et le problème de la métaphysique (GA 3) et le cours du semestre d’hiver 1927-28, intitulé Interprétations phénoménologiques de la « Critique de la raison pure » de Kant (GA 25), en témoignent sans détour. Or si Heidegger ressent le besoin d’exposer au grand jour ses affinités avec le père de la philosophie critique, c’est principalement parce qu’il voit en lui,

et non en Hegel, le seul précurseur légitime de la problématique d’Être et temps, ainsi que de son tout nouveau projet métaphysique. Seul Kant aurait en effet pressenti, tout en prenant compte de la finitude constitutive du pouvoir de connaître proprement humain, le rôle primordial qu’exerce le temps alors que l’étant se voit interprété à la lumière d’une compréhension ontologique. (SZ 427/319; HPM, 47; GA 32, 212/224) Abstraction faite des nuances de cette thèse, sur laquelle nous reviendrons par ailleurs, il serait aisé de croire que Heidegger fait unilatéralement jouer Kant contre Hegel, voire qu’il propose un retour au premier en amont des dérives funestes de l’idéalisme allemand. Un durcissement du ton déjà très dur que Heidegger réservait à Hegel serait alors à anticiper. Or il n’en est rien190. Au

contraire, le tournant métaphysique de Heidegger coïncide avec une importante redécouverte de Hegel et des idéalistes allemands, tel que l’illustre cet extrait d’une lettre à Karl Jaspers : « Actuellement, je fais pour la première fois un cours sur Fichte, Hegel, Schelling – et c’est de nouveau un monde qui s’ouvre à moi; l’ancienne expérience que les autres ne peuvent lire à votre place. » (HJBW, 123/110) Le cours dont il est question est celui du semestre d’été 1929, intitulé L’idéalisme allemand (Fichte, Schelling, Hegel) et les problèmes philosophiques de la situation actuelle (GA 28). À l’encontre de tout historicisme, Heidegger y fait bien ressortir en quoi un débat critique avec ses trois illustres devanciers concerne le présent et exerce une fonction cruciale eu égard à la mise sur pied de son propre projet philosophique191 :

L’explication n’advient pas entre des systèmes, mais elle advient plutôt dans l’advenir

du Dasein lui-même. Plus clairement exprimé : l’idéalisme allemand appartient à

190 Il ne s’agit ainsi en rien pour Heidegger de « renverser l’histoire » afin de réfuter Hegel à travers Kant. En

ce qui concerne cet enjeu, sa position peut toutefois sembler ambiguë : « Kant n’est pas à la hauteur de Hegel, ce qui ne dit rien quant à la grandeur des deux. La grandeur réside dans le caractère irremplaçable (Unersetzlichkeit) d’un chacun. » (GA 28, 209) À titre d’anticipation, disons simplement pour l’instant que Hegel dépasse Kant sur le terrain de la question directrice de la métaphysique, alors que Kant va bien au-delà – ou devrions-nous dire en deçà ? – de Hegel sur le terrain de l’ouverture de sa question fondamentale. Nous tenterons plus bas de rendre compte de ces nuances.

191 Dans un texte intitulé Der deutsche Idealismus und Heideggers Verschärfung des Problems der Metaphysik

unmittelbar nach Sein und Zeit, Jean GRONDIN brosse un portrait complet du contexte dont a émergé cette

explication. Il en va de même de Claudius STRUBE, qui expose en quoi le cours de 1929 constitue un jalon

l’histoire de notre propre Dasein; l’explication avec lui est une explication essentielle du Dasein avec lui-même. (GA 28, 231)

Pour avoir toutefois un véritable aperçu de l’attention que polarise plus spécifiquement Hegel à cette époque, il faut également prendre en compte le séminaire du semestre d’été 1927 sur Aristote et Hegel (GA 86), la conférence de 1930, Hegel et le problème de la métaphysique192

et le cours limitrophe du semestre d’hiver 1930-31, consacré à une interprétation de La « Phénoménologie de l’esprit » de Hegel (GA 32)193. C’est sans compter, enfin, la célèbre

leçon inaugurale Qu’est-ce que la métaphysique ?, dont nous aurons l’occasion de constater qu’elle pose à mots couverts les jalons d’une explication principielle avec Hegel quant au statut et à l’origine de toute forme de négativité.

Avant de disséquer plus à fond le contenu de ces écrits, il convient toutefois d’insister davantage sur le changement de ton et d’attitude qu’adopte Heidegger à l’égard de Hegel. En effet, ce dernier bénéficie soudainement d’un surcroît de respect et d’« admiration » (GA 29/30, 306/309), sans doute dû à l’éminent statut qui lui est alors assigné au sein de l’histoire de la pensée occidentale194. Le cours de 1927 précise à ce titre qu’il s’agit dorénavant de

reconnaître la position hégélienne comme « historialement essentielle et nécessaire » (GA 86, 34), importance dont Hegel aurait par ailleurs été bien conscient. (HPM, 33) La nouvelle sympathie de Heidegger va possiblement de pair avec une volonté de faire amende honorable du ton souvent condescendant qu’il avait adopté dans ses cours de jeunesse. Ainsi, il y a tout aussi bien lieu d’entendre de sa part un discret mea-culpa qu’une critique des indignes

192 Pour une analyse de la teneur spécifique de cette conférence et de son intégration au projet d’une

métaphysique du Dasein, se rapporter à : François JARAN, Heidegger inédit 1929-1930 : L’inachevable Être et

temps, p. 73-90.

193 Il convient ici de mentionner l’étude approfondie qu’Annette SELL a consacrée à l’analyse de ce cours

décisif, ouvrage intitulé Martin Heideggers Gang durch Hegels „Phänomenologie des Geistes“, ainsi que la contribution d’Eugenio MAZZARELLA, Heidegger und Hegel: Die Vorlesung zur Phänomenologie des Geistes

(1930/31).

194 Jacques TAMINIAUX prend note de ce changement d’attitude au sein du cours sur la Phénoménologique de

l’esprit. Il soulève alors d’intéressantes questions : « Le cours sur Hegel date de 30-31. Même si elle va bientôt

basculer, l’ontologie fondamentale est alors établie. Ses tenants et aboutissants ont été explorés. Faut-il penser que le cours donne à Heidegger l’occasion de se reconnaître après coup dans Hegel ? Ou faut-il penser plutôt qu’il est l’aveu, quelque peu tardif, d’une proximité que Heidegger savait depuis longtemps ? C’est cette seconde possibilité qui donne à penser. » (Lectures de l’ontologie fondamentale, p. 209.)

successeurs de Hegel, lorsqu’il déclare : « Mais loin que la philosophie de Hegel se soit brisée, ce sont ses contemporains et ses héritiers qui ne se sont pas encore levés pour se mesurer à sa hauteur. Tout ce qu’on a fait, c’est mettre en scène une ‘ insurrection ’. » (GA 32, 57/81) De fait, Hegel « – lui qui en philosophie a su voir un nombre incroyable de choses, parce qu’il avait sur la langue une puissance extraordinaire et savait débusquer les choses les plus secrètes – » (GA 24, 226/197) ne sera jamais plus présenté comme un charlatan, un sophiste ou un prestidigitateur (cf., par exemple, GA 32, 43/67). Ce jugement sévère, Heidegger semble plutôt désormais le réserver aux seuls néo-hégéliens, aux griffes desquels il souhaiterait tout autant arracher Hegel que Kant à celles des néo-kantiens. (GA 24, 226/197, 141-142/129) Faisant écho à l’exergue de son Habilitationsschrift (GA 1, 193/25; GW 4, 17/106), Heidegger énonce même le désir d’être le « contemporain » de son devancier, c’est- à-dire d’être tout comme lui « la parole de son temps » (GA 32, 45/69). Bien plus, il va jusqu’à faire sienne la « tâche de restituer à un peuple sa métaphysique perdue », tel que Hegel en avait énoncé le souhait dans la préface de la Grande Logique. (HPM, 61; cf. GW 21, 6/6) Bref, Heidegger découvre – ou admet enfin – qu’une forme de filiation spirituelle le lie à son prédécesseur, ascendance dont la nature et les modalités demeurent cependant à définir :

Si nous voulons entrer dans un débat avec Hegel, alors s’adresse à nous l’exigence de lui être « apparentés ». Et même lorsque tout ce que nous pouvons faire, c’est un effort

pour créer en nous la disposition convenable à un débat, même alors, alors justement il

nous faut prêter avant tout l’oreille à cette exigence : être « apparenté ». Apparenté, c’est-à-dire pas identique, pas pareil. La parenté, ce n’est pas ici une identité de « point de vue », ce n’est pas l’appartenance à la même école, et c’est encore moins le consensus sur des propositions et des concepts; ce n’est surtout pas la conduite uniformisée de ceux qui s’accordent sur les mêmes « résultats » et les mêmes « progrès » d’une « recherche ». Apparenté – cela veut dire être obligé envers les premières et dernières nécessités

internes du questionnement philosophique. (GA 32, 44-45/68)

Ainsi, même s’il admet que leurs « modes de questionnement et de réponse s’entrecroisent » (GA 32, 113/132), il ne s’agit en rien pour Heidegger de se résoudre à un accord béat avec son interlocuteur. Il en appelle bien plutôt à « une explication de fond », voire à une « lutte » entre ceux qui « s’engagent l’un pour l’autre dans le même questionnement ». (HPM, 17) Heidegger reconnaît donc Hegel pour ce qu’il est, à la manière d’un Achille qui rencontrerait

enfin son Hector, c’est-à-dire qu’il aperçoit en lui son plus vif antagoniste et son plus grand défi. (HPM, 19; 57). Mais s’il ne s’agit bien évidemment pas de se battre pour Troie, quel doit plutôt être l’enjeu du litige ? « Dans notre explication avec Hegel, il y va de la métaphysique », affirme sans détour Heidegger (HPM, 19), qui reconnaît ailleurs qu’un même moteur anime leurs pensées respectives, soit celui de « la question de l’essence de l’être » (GA 32, 113/132) ou de l’« ontologie » (GA 24, 15/28).

Ce premier survol avait pour but de tracer sommairement la constellation qu’il s’agira pour nous d’observer plus à fond – constellation dont les contours présentent, de l’aveu de Heidegger, l’aspect d’une « nouvelle gigantomachie ! » (GA 28, 49) Convié, dans le sillage de Kant, à poser le problème de la possibilité de la métaphysique, Heidegger est irrémédiablement mené à attester la grandeur de la réception imaginative que lui ont réservée les idéalistes allemands. Cela vaut particulièrement de Hegel, chez qui il reconnaît ses propres préoccupations, bien qu’il adopte néanmoins une position en plusieurs points diamétralement opposée à la sienne. Mais s’il apparaît plus que jamais qu’un débat de fond ne saurait être évité, il convient encore de se demander sur quelle base il pourra être orchestré. Or Être et temps nous le laissait déjà deviner : le point litigieux s’avèrera être la question de la finitude. Celle-ci a-t-elle été posée et résolue par la métaphysique occidentale ou au contraire, a-t-elle plutôt été funestement oubliée ? Dans le second cas, quelle nécessité historique était alors à l’œuvre, et en quoi sa possible réactivation risque-t-elle de compromettre le projet métaphysique hégélien ? Enfin, comment leurs compréhensions divergentes de la nature du fini mènent-elles Heidegger et Hegel à conceptualiser différemment la négativité qui affecte l’existence humaine ? Et s’il s’avérait que la radicalité de ce désaccord menaçait en son essence le projet heideggérien lui-même, du moins dans sa facture métaphysique ?