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Qu’en est-il d’abord de l’essence du temps, suivant Hegel, tel qu’il est lu par Heidegger ? Avant d’aborder la question de front, ce dernier souligne avec insistance que le contexte au sein duquel elle est d’abord soulevée en dit long sur les présupposés ontologiques traditionnels qu’elle met en jeu. Tout comme c’était le cas chez Aristote, c’est effectivement dans le cadre d’une philosophie de la nature que Hegel développe, dans l’Encyclopédie, son concept de temps, conjointement à celui d’espace. Ensemble, ils inaugurent, comme son premier moment abstrait, une théorie de la mécanique et du mouvement. Des deux notions, c’est celle de l’espace qui est la première abordée, puisque l’examen de son concept doit ensuite révéler que sa vérité est le temps, ou en d’autres mots, que l’espace est temps. Tout l’enjeu consiste alors pour Heidegger à déterminer la signification de la copule au sein d’une telle proposition spéculative, signification dont Hegel lui-même n’aurait pas saisi toute la portée. (GA 21, 253) À cette fin, Heidegger nous indique que son devancier comprend d’abord l’être comme devenir et comme penséité (Gedachtheit). (GA 21, 255) « L’espace est temps » signifie donc autant que « l’espace devient temps » ou que « l’espace n’est

pensable, n’est absolument déterminable qu’à travers le temps ». (cf. GA 21, 253; SZ, 429/320) Plus synthétiquement exprimé, il s’agit de comprendre que penser l’être de l’espace en sa vérité revient à concevoir son devenir-temps. Cette signification hégélienne de la copule, Heidegger la désavoue bien évidemment en même temps que la méthode dialectique dont elle procède, de telle sorte qu’il puisse soutenir vouloir dire toute autre chose lorsqu’il avance lui-même, par exemple, que « le sens du Dasein est la temporalité ». (SZ, 331/255) Prêtons déjà attention à une double tension, que Heidegger souligne d’emblée. D’abord, il n’est question chez Hegel de déterminer qu’un seul étant en fonction de sa relation au temps, à savoir l’espace. Ensuite, il convient de noter que la nature de cette relation varie du tout au tout d’un auteur à l’autre, Heidegger insistant sur le fait que Hegel « détermine l’être de l’espace non pas à partir du temps, mais en tant que temps ». (GA 21, 256) En voulant combattre l’« aussi » qui distingue les deux notions (W 9, 48/361), il n’anticiperait donc aucunement la fonction ekstatico-horizontale de la temporalité originaire, mais il procéderait plutôt à un nivellement injustifié de leur différence (ontologique), au nom d’une méthode et d’une interprétation de l’être dépourvues de base réelle. Cela dit, voyons plus concrètement comment Heidegger interprète les textes dont il tire ces conclusions, c’est-à-dire les chapitres §§254-259 de l’Encyclopédie.

Qu’est-ce d’abord que l’espace ? Il se présente, nous dit Hegel, comme « la détermination première ou immédiate de la nature », qui exprime elle-même l’idée telle qu’elle existe sur le mode de son extériorité la plus prononcée. (GW 20, 243/193) L’espace s’offre ainsi comme la figure la plus abstraite que puisse adopter l’être-hors-de-soi naturel. En tant que calme immobilité quantitative, tout à fait indifférenciée en elle-même, il revendique également la plus extensive potentialité de différenciation. Il est donc tout autant infiniment continu qu’infiniment divisible. Or la première détermination qu’il soit susceptible de recevoir – et par là aussi la plus abstraite – est celle de sa négation par le point. Un examen approfondi de la nature de ce dernier doit toutefois révéler qu’il n’est pas par lui- même en mesure de déterminer concrètement l’espace, du fait de sa pleine appartenance à

celui-ci et de l’insuffisance de son pouvoir de différenciation167. C’est que s’il doit certes

être situé à même l’espace, il est tout aussi vrai de dire que le point ne le remplit en rien168,

ce en quoi il révèle le caractère indifférent de sa fonction négative. « Le point ne se dégage pas de l’espace comme un autre que l’espace », résume en ce sens Heidegger. (SZ, 429/320) À ce titre, la spatialité abstraite ne saurait être comprise comme un somme déterminée d’éléments ponctuels positifs juxtaposés, mais elle doit plutôt être conçue comme « l’extériorité sans différence de la multiplicité des points », ou – Heidegger insistant emphatiquement sur ce terme – comme « ponctualité (Punktualität) »169. (SZ, 429/320 ; GA

20, 254; cf. W 9, 43/358) Cela dit, la carence du point, soit la contradiction qui mine son concept, nous invite déjà implicitement à concevoir son passage dans un autre. Dès lors qu’il s’agit en effet de le poser pour soi, comme interruption de la calme indifférence de l’espace, il apparaît que le point ne peut réaliser sa finalité sans être déterminé davantage. Il est pour ainsi dire déjà propulsé à l’extérieur de soi, c’est-à-dire qu’il est impossible de le penser sans le support d’un autre, duquel il ne parvient pas à se séparer réellement et auquel il doit inévitablement se rapporter s’il doit être le point qu’il est – à savoir d’abord d’autres points. Or du fait de ce rapport nécessaire, le point est mis en mouvement, sort hors de soi et se sursume pour constituer la ligne, qui naît en quelque sorte de son « déplacement ». En étant niée à son tour, celle-ci engendre derechef la surface, dont la position coïncide avec « une

167 « L’espace comme toute grandeur est aussi bien continu que divisible : cette situation fonde l’impuissance

(…) du point, à être pour l’espace une véritable limite », explique Denise SOUCHE-DAGUES (Recherches

hégéliennes : Infini et dialectique, p. 126).

168 Jean-Marie VAYSSE exprime bien la nature contradictoire du point : « Le paradoxe du point est d’être, en

niant l’espace, cet espace qui n’occupe aucun espace ». (Hegel - Temps et Histoire, p. 25.) Il en va de même de Jacques DERRIDA : « Le point est cet espace qui n’occupe pas d’espace, ce lieu qui n’a pas lieu; il supprime et remplace la place, il tient lieu de l’espace qu’il nie et conserve. Il nie spatialement l’espace. » (OUSIAG et GRAMMH. Note sur une note de Sein und Zeit, p. 230.)

169 Christophe BOUTON conteste cette interprétation réductrice : « Par deux fois dans le § 82 de Sein und Zeit,

Heidegger identifie la négation de la négation à la ‘ ponctualité ’, qui, en tant que négation immanente à l’espace se niant elle-même, est ce qui assure la transition de ce dernier au temps. Mais il inverse par là même la relation entre espace et temps. Réduire la négation de la négation à la ponctualité, c’est, en effet, faire de l’espace la vérité du temps, alors que c’est le contraire pour Hegel : le temps, comme négativité, est la vérité de l’espace qui bascule en lui par la médiation du point. Ce primat du temps sur l’espace est d’ailleurs un point commun entre Hegel et Heidegger. » (La conception hégélienne du temps est-elle métaphysique ? Retour sur le débat

restauration de la totalité spatiale, laquelle a désormais, en elle, le moment négatif170 ». (GW

20, 245/195). Ce qu’il s’agit pour nous de retenir de ce déploiement dialectique, c’est que les différences qualitatives qu’engendre de lui-même l’espace nous invitent à penser la négativité immanente qui anime son concept et qui lui interdit de demeurer la calme unité abstraite sous la figure de laquelle il se présente d’abord.

L’espace contient donc en soi le moment du négatif, qui l’invite à passer dans un autre. Mais quel est au juste cet autre ? Cela, Hegel nous l’indique au chapitre §257 de l’Encyclopédie :

Mais la négativité qui se rapporte, en tant que point, à l’espace, et qui développe en lui ses déterminations à elle en tant que lignes et que surface, est, dans la sphère de l’être- hors-de-soi, aussi bien pour elle-même, tout en y posant ses déterminations en même temps comme dans la sphère de l’être-hors-de-soi, mais en y apparaissant comme indifférente à l’égard de l’être-un-à-côté-de-l’autre en repos. Ainsi posée pour elle- même, elle est le temps. (GW 20, 247/197)

C’est donc dire que l’instabilité qui anime l’espace en entraînant ses moments à se sursumer nous invite déjà de manière implicite à concevoir le temps, qui ne serait rien d’autre que cette négativité, mais telle que pensée pour elle-même171. Or une telle temporalisation de la

170 Toute cette transition, à laquelle Heidegger ne consacre aucune attention, tel que l’ont remarqué Denise

SOUCHE-DAGUES (Recherches hégéliennes : Infini et dialectique, p. 116) et Karin DE BOER (Thinking in the

Light of Time: Heidegger’s Encounter with Hegelp. 257), est certes difficile à penser en sa nécessité, en

particulier en ce qui concerne la raison pour laquelle le point se résout à aller « prendre une marche » (suivant l’expression de Paul HUMPHREY, Metaphysics of Mind: Hylomorphism and Eternality in Aristotle and Hegel, p. 94). Comme partout ailleurs chez Hegel, il s’agit ici de penser le passage qui mène de la plus pure abstraction à la concrétude. Disons simplement que par sa nature même, l’espace abstrait est un concept indigent, demandant à être déterminé davantage, et qui contient donc un moment négatif l’invitant à passer dans un autre. Or le point est sa limite paradoxale, qui n’isole aucun intérieur de l’extérieur auquel il s’oppose, et qui échoue par là même à remplir son rôle déterminant de limite. En cela, il peut être dit qu’il est toujours déjà extérieur à lui-même (à sa fonction). Or en se mouvant ainsi hors de soi, il accroît son pouvoir de détermination et de différenciation, jusqu’à pouvoir isoler, en tant que surface, « un tout spatial singulier », un espace déterminé. (GW 20, 245/195) Il n’en demeure pas moins que les figures de la géométrie persistent dans l’abstraction et qu’elles ne parviennent, en subsistant indifféremment au sein de l’espace, à aucune effectivité. Elles deviendront plus concrètes en occupant un lieu, puis en se matérialisant, ce qui présuppose cependant d’abord le passage de l’espace au temps.

171 Jacques DERRIDA en rend habilement compte : « D’une certaine manière, il est toujours trop tard pour poser

la question du temps. Celui-ci est déjà apparu. Le ne-plus-être et l’être-encore qui rapportaient la ligne au point et la surface à la ligne, cette négativité dans la structure de l’Aufhebung était déjà le temps. À chaque étape de la négation, chaque fois que l’Aufhebung produisait la vérité de la détermination antérieure, le temps était requis.

spatialité met en jeu, selon Heidegger, nombre de présupposés métaphysiques traditionnels, qui s’expriment sous la forme d’une série d’oppositions conceptuelles classiques (représentation/pensée, possibilité/effectivité, fixité de l’être/devenir, intratemporalité/éternité, objectivité/subjectivité). Heidegger associe ainsi d’abord l’espace hégélien au domaine de la représentation, alors qu’il fait relever le temps de celui de la pensée172. Dès lors qu’il est conçu plutôt que d’être simplement figé par l’entendement, le

point devient en effet temporel, transition qui coïncide avec le passage de la première négation à la seconde :

Penser, c’est déterminer, et déterminer (determinatio) signifie negatio. Le point, la ponctualité, la négativité ne doit pas simplement être représentée. Elle doit elle-même être pensée, déterminée, c’est-à-dire être niée. La négation du négatif est la penséité de l’espace, c’est-à-dire son être. (GA 21, 255)

C’est de cette manière qu’est obtenue une première définition du temps, qui l’associe à la négation de la négation et que Heidegger – nous le verrons – taxera de formalisme. Or à l’acquisition d’un « plus haut degré de détermination, c’est-à-dire d’un plus haut degré d’être » (GA 21, 255) par le point à travers le temps correspond également un passage de la simple « possibilité (…) de l’extériorité réciproque et du négatif » (GW 20, 244/194) à son effectivité. C’est en effet « dans le temps » que « le point a (…) de l’effectivité », souligne Hegel. (W 9, 48/361) Lorsqu’il se maintient temporellement, ce n’est donc plus la simple subsistance indifférente qui le caractérise, mais son pouvoir d’exclusion gagne au contraire en acuité. « Le point ‘ se raidit (spreizt ich auf) ’ vis-à-vis de tous les autres points », illustre en ce sens Heidegger. (SZ, 430/320) L’exclusivité de sa détermination revendique alors à ce point « un droit inouï » que l’ici-maintenant refuse l’être au « ne plus » et au « ne pas encore », contrairement au point simplement spatial qui n’existe ni plus ni moins que son voisin immédiat. (W 9, 50/361) Mais la négativité qui consume le maintenant redonne tout aussitôt

Négation à l’œuvre dans l’espace ou comme espace, négation spatiale de l’espace, le temps est la vérité de l’espace. » (OUSIAG et GRAMMH. Note sur une note de Sein und Zeit, p. 231.)

172 Denise SOUCHE-DAGUES récuse cette association unilatérale en confinant la simple représentation de

l’espace au domaine de la mathématique, et non à celui de la philosophie de la nature. « En réalité, c’est dès le début de la Logique qu’on est dans l’élément de la pensée », écrit-elle alors (Recherches hégéliennes : Infini et

son droit aux deux autres dimensions du temps, ce en quoi ce dernier revendique un caractère dynamique et inquiet qui s’oppose à la calme paralysie de l’espace abstrait. Le premier chapitre de la Phénoménologie de l’esprit l’illustre bien : dès lors que je l’énonce, le maintenant est « dissous, liquéfié, pulvérisé ». (W 9, 50/361) Il cède à la pression du futur qui le refoule dans le passé, abandonnant ainsi sa place à un autre maintenant, qui se substitue immédiatement à lui. Chacun des trois moments temporels passe donc successivement de l’être au non-être et inversement, au sein d’une dynamique que Hegel qualifie d’« abstraction de l’activité consumante ». (W 9, 50/361) En résumé, affirme Hegel, « le temps lui-même est ce devenir, ce naître et ce disparaître, l’abstraire sous la forme de l’être, le Chronos qui engendre tout et détruit les créatures qu’il a engendrées ». (GW 20, 248/198) Il convient en outre de noter qu’une fois que le déploiement dialectique des dimensions du temps se voit considéré en sa concrétude, en sa totalité circulaire et en son unité négative, c’est-à-dire une fois que le temps est saisi en son concept, il apparaît que le « présent vrai est (…) l’éternité ». (W 9, 55/363) Cela ne peut cependant être pleinement compris qu’à la toute fin de la Phénoménologie, alors que l’esprit se sachant absolument supprime (tilgt) le temps. (GW 9, 429/519)

Avant d’aborder le concept hégélien de temps sous l’angle de sa connexion avec la subjectivité, il convient toutefois pour nous de rendre compte de l’interprétation que fournit Heidegger de ce qui a jusqu’à maintenant été présenté, interprétation au sein de laquelle – il convient de le souligner – il admet mettre beaucoup du sien, tellement il juge le texte hégélien déroutant. Sans surprise, il y va selon lui dans l’Encyclopédie d’une simple réactualisation, quoique dialectiquement refaçonnée, du concept vulgaire de temps, c’est-à-dire du temps du maintenant. Nous noterons au passage le conditionnel :

Si cette élucidation doit avoir en général un sens légitimable, alors c’est qu’elle ne veut rien dire d’autre que ceci : le se-poser-pour-soi de chaque point est un maintenant-ici, maintenant-ici, etc. Tout point « est », posé pour soi, un point-de-maintenant. (SZ, 430/320)

Hegel comprendrait donc « dogmatiquement et traditionnellement » (GA 21, 257) le temps comme une séquence infinie de points temporels, comme un flux ininterrompu et éternel de maintenant qui se succèdent173. Or en identifiant abstraitement l’essence du temps à la

négation de la négation, il procéderait à un nivellement et à une formalisation de la temporalité inégalés en leur genre. Pour Heidegger, il ne fait ainsi aucun doute que Hegel a formulé ses premières réflexions sur le temps en les puisant à même la Physique d’Aristote, et ce de manière telle que ses concepts de « maintenant », de « limite », de « point », de « ceci » et de « circularité » ne seraient rien de moins que des transcriptions exactes du nàn, de l’Óroj, de la stigm», du tÒde ti et de la sfa‹ra aristotéliciens. Seulement, le Stagirite, du fait d’un accès plus direct aux phénomènes, aurait mieux su articuler entre elles ces déterminations, en les faisant notamment dériver les unes des autres, alors que Hegel aurait, de son côté, escamoté une importante part de leur authentique contenu, en les soumettant indûment au formalisme aveugle de la synthèse dialectique. (SZ, 432-433/322; GA 21, 265- 266)

Il est en outre un autre préjugé hégélien dont Heidegger fait remonter la source à Aristote, soit celui d’avoir accordé une primauté illégitime au passage du temps, au préjudice de son éclosion et donc, de l’avenir. Pourtant, certains extraits laissent bien entendre que Hegel accorde un rang et une légitimité égaux à ces deux moments. Le devenir ne se veut-il pas en effet autant un passage de l’être au néant que du néant à l’être ? Le maintenant n’est- il pas tout aussi bien délogé de son trône par le passé qui le tire que par le futur qui le pousse ? Et le jeune Hegel, dans sa Logique d’Iéna, ne va-t-il pas même jusqu’à qualifier ce dernier

173 Denise SOUCHES-DAGUES s’oppose vivement à cette lecture. « Penser le temps comme l’infini véritable,

c’est justement pour Hegel refuser de le penser à partir de l’un de ses moments, refuser en d’autres termes de le poser comme la simple répétition de ce moment », écrit-elle en ce sens. (Recherches hégéliennes : Infini et

dialectique, p. 127.) « Le présent véritable (Gegenwart) n’est pas le maintenant (jetzt); c’est le présent pensé,

c’est l’éternité, comme totalité infinie des dimensions du temps », ajoute-t-elle encore (p. 129). « Heidegger, pour sa part annule radicalement, dans le §82, le thème hégélien de l’éternité, qui pourtant recueille effectivement toute la vérité de la pensée du temps », conclut-elle (p. 133). S’il faut certes lui donner raison, nous sommes d’avis que Heidegger se rachète en partie quelques années plus tard en accordant une attention accrue aux thèmes de l’éternité et de l’infinité, notamment dans Hegel et le problème de la métaphysique et La

d’« essence du présent174 » ? Malgré cela, croit constater Heidegger, Hegel accorde

« naïvement » (GA 21, 259) et sans justification une nette préséance aux moments de la disparition et de la dissolution du fini, choix dans la continuité duquel il en vient à accorder une certaine primauté au passé(-présent) sur tous les autres moments de la temporalité175.

(GA 21, 265) C’est pourquoi Heidegger se permet de conclure ce qui suit :

Sur la base de la position de Hegel, il demeure incompréhensible pourquoi le temps, comme il le dit, est le « consumer ». Dans l’horizon de la dialectique hégélienne, ce phénomène, dont l’expérience vulgaire du temps fait immédiatement l’épreuve, demeure une énigme. (GA 21, 261)

Il n’y a cependant là rien de fortuit, croit Heidegger, puisque ce sont la finitude du temps et la fuite du Dasein devant l’imminence de sa mort qui s’expriment à mots couverts dans l’idée publiquement partagée d’un temps qui ne fait que passer. « Le Dasein connaît le temps qui fuit à partir du savoir ‘ fuyant ’ de sa mort », affirme-t-il en ce sens. (SZ, 425/317) L’irréversibilité de la temporalité de l’existence se fonde donc ultimement dans sa finitude, phénomène auquel Hegel ne pourrait rendre justice à l’intérieur de l’horizon logique et formalisant de sa méthode dialectique.

On ne peut certes que s’étonner face au caractère expéditif et elliptique de cette interprétation polémique de Heidegger, lacune qu’il reconnaît par ailleurs lui-même, tellement il juge considérable l’ampleur de la tâche qu’elle ouvre. Ce programme, qui ne cessera par la suite d’occuper son esprit et qui pourrait porter l’intitulé d’une conférence tardive – Hegel et les Grecs – est explicitement formulé dans le cours de 1925-26 :

Au lieu de cet insignifiant griffonnage sur l’idéalisme allemand, tel qu’il est aujourd’hui