• Aucun résultat trouvé

S’il est vrai qu’on mesure l’impact d’une pensée non pas à l’acquiescement immédiat qu’elle suscite, mais plutôt à l’ampleur du contrecoup qu’elle entraîne à sa suite, il nous faut constater que c’est à une époque profondément marquée par Hegel et l’idéalisme allemand que Heidegger a effectué ses premiers pas en philosophie. Les quelques soixante-dix dernières années du XIXe siècle ont en effet été le théâtre d’une rude mise à l’épreuve du

système hégélien. Durement critiqué sur son propre terrain par Schopenhauer et par un Schelling vieillissant, l’hégélianisme n’a pas davantage su résister aux tensions internes qui l’habitaient, tensions qui provoquèrent son éclatement en factions de gauche et de droite. Par la suite totalement mis au ban par la fulgurante progression du positivisme, le système

hégélien n’attira pas davantage la sympathie des premiers néo-kantiens, qui se montraient méfiants à l’égard de son manque de scientificité et de son hybris métaphysique. Tout cela, le jeune Heidegger devait lui-même le constater, alors qu’en 1912, il consacrait ses efforts à un court texte sur « Le problème de la réalité dans la philosophie moderne » :

Il est évident que la philosophie postkantienne, qui culmina dans l’idéalisme exalté de Hegel, s’éloigna toujours plus de la réalité (Realität), ainsi que de la compréhension de sa position (Setzung) et de sa détermination. Lorsque, à la suite du déclin de la philosophie hégélienne, les sciences spécialisées s’émancipèrent énergiquement de la tutelle de la philosophie et qu’elles menacèrent de subjuguer cette dernière (on observa, dans le positivisme, sa position précaire et son rôle subordonné), on vit l’unique salut dans un « retour à Kant » 18. (GA 1, 3)

Nul besoin d’ajouter au compte des critiques les attaques moins orthodoxes que formulèrent Kierkegaard et Nietzsche pour constater que le XIXe siècle mena la vie dure à l’hégélianisme.

Et pourtant… Il y aurait long à dire sur les « emprunts », conscients ou non, auxquels durent consentir même les plus acerbes opposants de l’idéalisme absolu afin de pouvoir mener leur tâche à bien (les cas les plus probants étant évidemment Feuerbach, Marx et Kierkegaard).

Ainsi, on doit également mesurer l’impact d’une pensée à sa capacité à demeurer latente, voire à savoir renaître sous un visage nouveau lorsqu’une époque manifeste un besoin conceptuel qui lui correspond. Et c’est à une telle résurrection que devait assister le jeune Heidegger, alors qu’il entamait, en 1909, ses études de théologie à Fribourg-en-Brisgau. Sensiblement à la même époque et non loin de là, soit à Heidelberg, le néo-kantien Windelband était appelé à prononcer un discours qui décrit bien la situation :

Accueilli autrefois avec enthousiasme par toute une génération, puis dédaigné, oublié, abandonné à la moquerie, Hegel semble maintenant bénéficier d’un regain d’intérêt. La littérature sur sa philosophie augmente de jour en jour. L’évolution de sa pensée est étudiée avec grand succès à partir de documents longtemps oubliés, mais heureusement conservés à la bibliothèque de Berlin. Ses livres sont réédités, et ses œuvres complètes,

18 Dans ce texte de 1912, la position hostile que Heidegger développe à l’égard de Hegel, mais aussi à l’égard

de KANT, s’explique par la posture réaliste d’inspiration néo-thomiste qu’il adopte alors. Il sera toutefois

que l’on pouvait jadis acquérir pour une somme modique, ont pris une grande valeur chez les libraires. Mais l’essentiel est que le travail le plus récent de la philosophie se montre partout imprégné par sa pensée, et nous voyons la jeune génération s’atteler avec un nouvel enthousiasme à ses écrits, semblant ne plus être effarée par leur présentation étrange19.

Ce que désigne en fait Windelband est la montée du néo-hégélianisme20 et sa percée au cœur

même du milieu néo-kantien. Cette transformation, qu’il associe à un changement de génération, culmina en Allemagne avec la publication de Von Kant bis Hegel de Richard Kroner (1921-24) et s’exprime bien dans cette volonté, énoncée par Benedetto Croce en 1907, de départager « ce qui est vivant et ce qui est mort de la philosophie de Hegel »21.

Or s’il est indéniable que Heidegger dut baigner dans un tel contexte, ce n’est pourtant pas d’abord par la montée du néo-hégélianisme qu’il expliquera plus tard l’origine de son « intérêt croissant » pour Hegel lors des « stimulantes années 1910-1914 ». (GA 1, 56) En effet, il imputera plutôt la responsabilité de cet éveil à Carl Braig, professeur de théologie qui aura manifestement laissé sur lui une empreinte durable :

Au bout de quatre semestres, j’abandonnais les études de théologie pour me consacrer entièrement à la philosophie. J’assistais encore aussi à un cours de théologie dans les années qui suivirent 1911, au cours de dogmatique de Carl Braig précisément. Ce qui m’y décida, fut l’intérêt pour la théologie spéculative : surtout dans la mesure où le professeur en question savait nous rendre présente à chaque heure de cours la manière pénétrante avec laquelle il pensait. C’est par lui que j’entendis parler pour la première fois, lors de quelques promenades, au cours desquelles il me fut donné de l’accompagner, de l’importance de Schelling et de Hegel pour la théologie spéculative en opposition à la doctrine scolastique. C’est ainsi que la tension entre ontologie et théologie spéculative entra dans l’horizon de ma recherche comme l’armature de la métaphysique. (GA 14, 94/327)

19 WilhelmWINDELBAND, Le renouveau de l’hégélianisme (discours de 1910), p. 8-9.

20 Nous nous opposons ici résolument à une remarque de Christopher SMITH qui tend à ignorer l’influence du

néo-hégélianisme sur la formation du jeune Heidegger. Le seul discours de WINDELBAND tend à démontrer

qu’il se méprend lorsqu’il écrit : « Neohegelianism had not yet taken hold in the German academic community, though the aforementioned book by Richard Kroner (Vom Kant bis Hegel) evidences its presence. » (Heidegger,

Hegel and the Problem of das Nichts, p. 384.)

21 Benedetto CROCE, Ce qui est vivant et ce qui est mort de la philosophie de Hegel. Étude critique suivi d'un

En tant que « dernier héritier de l’école spéculative de Tübingen » (GA 1, 56-57), Braig était en effet en mesure d’initier Heidegger aux idées de ses prédécesseurs, parmi lesquels figuraient notamment Johann Sebastian Drey, Johann Adam Möhler et Franz Anton Staudenmaier22. Contemporains de Hegel, ces théologiens catholiques avaient été

sensibilisés, plus que leurs devanciers, à la nécessité de rendre compte de l’historicité de l’Église. Malgré cette concession, leurs intentions demeuraient cependant apologétiques, ce qui les menait à défendre, contre l’immanence historique du Dieu hégélien, la conception d’un Dieu transcendant les aléas de l’histoire humaine. De Carl Braig, il faut toutefois souligner qu’il était un héritier lointain de cette tradition, lui qui se rattachait davantage au courant néo-thomiste qui inspirait alors l’Église romaine. S’il est vrai qu’il affichait résolument son antimodernisme, ses positions ne tenaient cependant en rien de l’obscurantisme et laissaient à Heidegger la latitude requise chez qui aspire à une prise de position autonome23.

Bien que la théologie ait conduit Heidegger à un premier contact avec Hegel, il ne faudrait cependant pas négliger l’influence que ce dernier continua d’exercer sur la formation philosophique du jeune Fribourgeois. Mais quel angle d’approche s’agissait-il alors d’adopter ? Cela, un curriculum vitae de 1915, que Heidegger dut joindre à sa thèse d’habilitation, nous l’indique :

L’étude de Fichte et de Hegel, l’étude en profondeur des Limites de la formation des

concepts dans les sciences de la nature de Rickert et des recherches de Dilthey, enfin,

mais non moindrement, les leçons et exercices de séminaire auprès de Monsieur le

22 On doit entre autres à STAUDENMAIER un ouvrage intitulé Darstellung und Kritik des Hegelschen Systems.

Aus dem Standpunkte der christlichen Philosophie. STAUDENMAIER a, tout comme BRAIG, été professeur de dogmatique à l’université Albert-Ludwig de Fribourg, entre 1837 et 1855. Une remarque d’Otto PÖGGELER

indique à quel point Heidegger tenait son travail en haute estime : « Als Martin Heidegger 1964 das Hegel- Archiv besuchte, wollte er gleich wissen ob in der Bibliothek auch Staudenmaiers Hegel-Buch sei ». (Heidegger

und Hegel, p. 139.)

23 Au sujet du rapport qui lie la pensée de Heidegger à celle de Carl BRAIG et de l’école de Tübingen, se rapporter

à : Jeffrey Andrew BARASH, Heidegger et le sens de l’histoire, p. 114-120, Rüdiger SAFRANSKI, Heidegger et

son temps, p. 34-37 et Martin ROESNER, La philosophie aux prises avec la facticité. L’influence de Carl Braig

Conseiller Finke, ont eu pour conséquences de saper l’aversion pour l’histoire que nourrissait ma prédilection pour les mathématiques. Je reconnus alors que la philosophie ne devrait s’orienter unilatéralement ni vers les mathématiques et les sciences naturelles ni vers l’histoire, mais que cette dernière, précisément en tant qu’histoire de l’esprit, pouvait sans commune mesure enrichir les philosophes. (GA 16, 39)

C’est dire que Hegel contribua à éveiller la conscience historique du jeune Heidegger. Or considérant l’importance qu’aura le thème de l’histoire dans son œuvre à venir, il va sans dire que cet apport n’est en rien dérisoire. Et il apparaît encore moins négligeable lorsqu’on prend en compte ce que les contributions de deux autres maîtres évoqués – Dilthey et Rickert – devaient à Hegel.

De Dilthey, il faut d’abord souligner qu’il était l’un des grands responsables de la renaissance de l’hégélianisme qu’on observa en Allemagne au début du XXe siècle, lui qui

avait publié en 1905 une importante et minutieuse étude sur la jeunesse de Hegel24. À son

tour fasciné par le problème de l’historicité, Dilthey reconnaissait en son prédécesseur « l’un des plus grands génies historiques de tous les temps25 ». Il partageait avec lui cette volonté

d’exposer la rationalité à l’œuvre au sein du déroulement historique, communauté de visées qui s’exprimait à travers la dette que contractèrent les concepts diltheyens de « vie » et d’ « esprit objectivé » auprès de Hegel. Au-delà des éloges cependant, Dilthey s’efforçait également sans cesse de marquer ses distances à l’égard de la « vision du monde » que proposait l’idéalisme absolu. Au risque parfois de sombrer dans le relativisme, il manifestait en effet une aversion prononcée à l’endroit des propensions métaphysiques de Hegel. Dilthey refusait ainsi de soumettre l’histoire à une visée totalisante ou de poser un quelconque principe téléologique capable d’orienter le cours des événements. Dans tous les cas, il va sans dire que l’exposition de ses propres thèses devait sans cesse passer par un dialogue avec

24 Wilhelm DILTHEY, Die Jugendgeschichte Hegels (Gesammelte Schriften, IV. Band).

25 Wilhelm DILTHEY, Der Aufbau der geschichtlichen Welt in den Geisteswissenschaften (Gesammelte Schriften

Hegel26, et le jeune Heidegger ne put qu’être incité à prendre à chaque fois position lorsqu’il

s’initia à la lecture de Dilthey. C’est du moins dans cet esprit qu’il salue l’enracinement des efforts philosophiques de ce dernier « non pas dans les concepts morts de l’idéalisme allemand, mais plutôt dans ses tendances vivantes – soit principalement chez Schleiermacher et Hegel ». (GA 58, 9)

Il en va de même du directeur de thèse de Heidegger, Heinrich Rickert27, dont le

cheminement philosophique, à l’image des transformations que dut subir le néo-kantisme en s’attaquant aux problèmes de l’histoire et des sciences de l’esprit, peut à certains égards être envisagé sous l’angle d’une conversion progressive au néo-hégélianisme28, ce qui se

manifesta de manière encore plus saillante chez plusieurs de ses étudiants immédiats29. Ce

passage, aux dires même de Windelband, procédait d’une « nécessité réelle30 », ce à quoi

Rickert devait plus tard ajouter que « seul un ignorant [pourrait] nier l’éminente importance que revêt l’idéalisme historique de Hegel pour les problèmes de la culture et de l’histoire31 ».

C’est donc dire qu’il y avait lieu de chercher chez Hegel des munitions en vue d’une défense de la spécificité des sciences humaines à l’encontre des idées réductionnistes des positivistes. Certes, l’école alémanique accueillit d’abord avec méfiance la renaissance d’un tel intérêt, mais cela n’excluait en rien qu’une approche prudente pût « ‘ trancher dans le vif ’ de ce

26 Au sujet de la lecture diltheyenne de Hegel, se rapporter à : Marie-JeanneKONIGSON-MONTAIN, Dilthey,

lecteur de Hegel et Christophe BOUTON, Le procès de l’histoire : Fondements et postérité de l’idéalisme

historique de Hegel, p. 253-278.

27 En vue de mesurer l’impact qu’a pu avoir la rencontre de RICKERT sur la pensée naissante de Heidegger, il

convient de se rapporter à un éclairant article de Sophie-Jan ARRIEN, intitulé L'empreinte de Rickert dans la

pensée du jeune Heidegger.

28 Les cas d’Emil LASK et de Julius EBBINGHAUS peuvent aussi servir d’exemples. Otto PÖGGELER estime en

effet que les travaux de LASK, qui ont énormément influencé la pensée du jeune Heidegger, lui ont également ménagé un accès à FICHTE et à Hegel (Heidegger und Hegel, p. 139). Julius EBBINGHAUS comptait quant à lui

parmi les plus proches amis de Heidegger. Ses recherches philosophiques le conduisirent de KANT à Hegel.

Otto PÖGGELER estime qu’il est impossible de prendre la mesure du contexte hégélien qui régnait à Fribourg au

début des années vingt sans tenir compte de son importante contribution (Heidegger und Hegel, p. 143-144).

29 Mentionnons à ce titre le représentant par excellence du néo-hégélianisme qui émergea à l’époque, à savoir

Richard KRONER, qui côtoya également DILTHEY, SIMMEL, WINDELBAND, FISCHER, LASK et EBBINGHAUS.

30 WilhelmWINDELBAND, Le renouveau de l’hégélianisme (discours de 1910), p. 10. 31 HeirichRICKERT, Les problèmes de la philosophie de l'histoire : une introduction, p. 166.

mouvement32 », c’est-à-dire récupérer l’ensemble des intuitions brillantes que contenait la

philosophie de l’histoire hégélienne tout en abandonnant l’aspect scientifiquement approximatif de sa fondation spéculative. Mais la philosophie hégélienne de l’histoire ne devait-elle pourtant pas nécessairement décliner avec sa métaphysique, du fait de cette intime interdépendance sur laquelle Hegel ne manquait pas d’insister ? De l’avis de Rickert du moins, elle n’était pas irrécupérable si sa fondation était réassurée par une démarche épistémologique rigoureuse33, entreprise qui devait prendre chez lui la forme d’une

axiologie34. Ainsi, que l’ « esprit » dût orienter sa marche historique en fonction d’une quête

de liberté n’impliquait pas nécessairement que cette orientation dût trouver une confirmation logique auprès d’une réalité ontologique suprasensible, mais il s’agissait bien plutôt de fonder cette procession historique dans un concept de valeur transcendante, dont le statut épistémologique s’apparentait à celui d’une idée kantienne. Dans la mesure bref où, au-delà de ses lectures, Heidegger assista aux cours et séminaires offerts par le néo-kantien Rickert35,

il n’y a aucunement à douter qu’il fut également sensibilisé par son directeur à la nécessité d’une explication avec le système historique de Hegel.

32 WilhelmWINDELBAND, Le renouveau de l’hégélianisme (discours de 1910), p 6.

33 « Die Hegel’sche Geschichtsphilosophie gilt heute mit Recht. Zunächst steht und fällt sie, wie Hegel selbst

dies sehr wohl weiss, mit seinem eigenen metaphysischen System, das den Sinn der Geschichte inhaltlich bestimmt. Aber davon abgesehen wird man heute geneigt sein, noch weiter zu fragen, wer uns verbürge, dass überhaupt ein Sinn, eine Vernunft, ein Plan in der Geschichte sei, oder für den Menschen erkennbar sei? Damit ist die Möglichkeit jeder Behandlung der Geschichte, die der Hegel’s ähnlich, zum Mindesten in Frage gestellt. Da ihr ein erkenntnistheoretischer Unterbau fehlt, ist sie solchen Einwürfen gegenüber machtlos. » (Heinrich RICKERT, Die Grenzen der naturwissenschaftlichen Begriffsbildung, Eine logische Einleitung in die

historischen Wissenschaften, p. 17.

34 « Si nous consultons maintenant à nouveau Hegel et sa philosophie de l’histoire, nous découvrons que la

métaphysique, c’est-à-dire la théorie de la réalité suprasensible, ne joue qu’un rôle réduit dans le traitement des

détails. Pour la délimitation et la structuration de l’universum historique, seul [sic] importe la notion de liberté

comme concept axiologique, et la conviction générale que l’évolution vers la liberté, d’une certaine façon, existe virtuellement dans la nature du monde. Mais il ne se trouve là rien de plus que les deux prémisses d’une valeur absolue et de son rapport nécessaire à la réalité historique. Pour le reste, la philosophie hégélienne se meut exclusivement dans des concepts issus de la vie historique immanente, et qui ne se rapportent qu’à elle seule. » (Heinrich RICKERT, Les problèmes de la philosophie de l'histoire : une introduction, p. 173.)

35 On sait que Heidegger suivit le cours « Introduction à l’épistémologie et à la métaphysique » et qu’il participa

au séminaire « Exercices épistémologiques regardant la doctrine du jugement » à l’été 1912 (Thomas SHEEHAN,

À l’intérêt pour l’histoire philosophique que Rickert contribua à insuffler au jeune Heidegger, il convient encore d’ajouter la curiosité qu’il éveilla chez lui pour la logique36.

Or s’il est vrai que l’école de Bade fit montre d’une appréciation mitigée de la Science de la logique37, il n’en demeure pas moins qu’elle sut, à l’instar de Dilthey, reconnaître son

importance et sa richesse. Et cette tendance est d’autant plus marquée du côté de l’école plus logicienne de Marbourg, dont Heidegger dénoncera plus tard les orientations dialectiques et hégéliennes38. Il faut toutefois souligner qu’une forme de reconnaissance aura précédé la

critique, tel qu’en témoignent notamment les Nouvelles recherches sur la logique de 1912. Heidegger y dénonce en effet, aux côtés de Hegel, la formalisation à outrance de la logique, pour ensuite se réjouir que son époque ait été à l’origine d’une « sursomption (Aufhebung) – à prendre tout à fait en un sens hégélien » d’un tel mode de pensée39. (GA 1, 17) Il se fait en

outre plus élogieux encore dans sa thèse d’habilitation, alors qu’il affirme de la Logique de Hegel qu’elle est « si riche en fécondes distinctions et déterminations conceptuelles qu’on ne l’a pas encore épuisée comme il le faudrait ». (GA 1, 380/203)

36 Thomas SHEEHAN, Heidegger's Lehrjahre, p. 117.

37 C’est ce dont témoigne ce passage du discours de WINDELBAND sur la montée du néo-hégélianisme : « La

méthode dialectique est ainsi liée de la manière la plus étroite à l’hypostase métaphysique de l’idée. Autant la finesse et la grande profondeur d’esprit de Hegel, mais surtout la ténacité du travail conceptuel avec lequel il a, notamment en filigrane de sa Logique, génialement dévoilé certaines relations, sont admirables ; autant une telle dialectique dans son ensemble est peu capable de constituer à nouveau la méthode de la philosophie. » (WilhelmWINDELBAND, Le renouveau de l’hégélianisme (discours de 1910), p. 16-17.)

38 Heidegger entamera en effet une explication avec l’hégélianisme de cette école de pensée. (cf. GA 58, 8,

133, 225) Notamment, il dénoncera chez Natorp « l’absolutisation la plus radicale du théorique, du logique, telle qu’elle n’avait plus été proclamée depuis Hegel. (Indubitablement : liens avec Hegel : tout immédiat est médiatisé) ». (GA 56/57, 108) Au sujet du rapport polémique qu’entretient le jeune Heidegger avec la pensée de Natorp, se référer à Sophie-Jan ARRIEN, Natorp et Heidegger : une science originaire est-elle possible ? Il

ne fait en outre aucun doute qu’une forme de néo-hégélianisme se manifeste également chez Ernst CASSIRER,

ce que révèle expressément la Préface de la troisième partie de sa Philosophie der symbolischen Formen, intitulée Phänomenologie der Erkenntnis pour des raisons toutes hégéliennes (p. VI-VII). Étant donné l’objet de notre recherche, nous ne saurions enfin tenir sous silence la contribution de Marc de LAUNEY, intitulée Cohen

– Heidegger – Négation ontologique ou négativité réflexive.

39 Au sujet des motifs hégéliens des recherches logiques du jeune Heidegger, se rapporter à : Bernard MABILLE,

Cela étant dit, sans doute convient-il, à la lumière de notre bref survol du milieu néo- kantien, de laisser le jeune Heidegger qualifier lui-même l’état des lieux :

Les deux tendances principales du néo-kantisme se trouvent caractérisées par l’école marbourgeoise (Cohen, Natorp, Cassirer) et par la philosophie des valeurs (Windelband, Rickert, Lask). Les deux tendances suivent depuis des années le cours d’une transformation, qui se laisse caractériser historiquement comme un retour à Fichte et,