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Transaction, coopération et production de valeur

communication et la coopération au sein des communautés de veille

1. La dimension organisante de la communication et la coopération coopération

1.2. La Sémiotique des Transactions Coopératives

1.2.1. Transaction, coopération et production de valeur

Dans la Sémiotique des Transactions Coopératives, la notion de transaction s’inspire des travaux de Dewey et Bentley (1949) et de l’interactionnisme symbolique de Mead (2006 et 1934) ; le déroulement du programme transactionnel s’inspire du programme narratif de Greimas (1966) et de la théorie de la structuration de Giddens (1986) ; et la notion d’activités

de cadrages s’inspire notamment de la théorie de la signification de Peirce (2002) et des

régimes d’engagement de Thévenot (2006).

En dépit de l’importance de la communication dans le contexte professionnel, il est encore difficile de rendre clair son rôle dans le processus de création de valeur et d’apprentissage organisationnel. Les conversations professionnelles entre deux ou plusieurs acteurs dans une organisation sont comprises ici comme des transactions intellectuelles. Selon Zacklad (2000, p. 204), une transaction intellectuelle « est un échange de connaissances personnelles et une prise réciproque d'engagements permettant à des acteurs individuels cognitivement interdépendants de réduire leur incertitude dans la conduite ultérieure de leur activité ». Cette réduction d’incertitude ou de doute est à l’origine du concept d’enquête, telle que proposée par Dewey : « Inquiry is the controlled or directed transformation of an indeterminate

situation into one that is so determinate in its constituent distinctions and relations as to convert the elements of the original situation into a unified whole »78 (Dewey, 1938, p. 105).

78 [Traduction libre de l’anglais] – « Enquête est la transformation contrôlée ou dirigée d'une situation indéterminée dans l'une qui est si déterminée dans les distinctions de ses composants et ses relations à convertir les éléments de la situation initiale en un tout unifié » (1938).

148 Comme l’explicite Zask, l’enquête peut être considérée comme « une tentative de reconstruction du milieu et comme l’une des figures de l’adaptation » (Zask, 2008, p. 316).

L’importance du langage dans les transactions intellectuelles est comme les processus communicationnels sont appelés des transactions communicationnelles symboliques. Celles-ci sont définies comme « l’espace de co-construction du sens et des représentations où l’interlocuteur contribue par ses interprétations et contre-propositions à influencer en permanence les finalités du locuteur » (Zacklad, 2005, p. 286). Les transactions communicationnelles portent sur un double but (prestation et intégration) et un double objet (œuvre et self commun): permettre la réalisation de l’œuvre collective (prestation) et aussi permettre la construction d’une identité collective (intégration). Ces deux aspects des transactions communicationnelles symboliques sont indissociables.

Ainsi, le partage des « représentations, attitudes ou affects communs » dans les transactions facilite « la poursuite de l’action collective, quel que soit le degré de similarité de leurs intérêts « personnels » (Zacklad, 2005). Les collectifs qui poursuivent ses buts à travers la réalisation de transactions communicationnelles, telles que décrites, sont appelés par Zacklad (2003a) des « communautés d’action ». Ceux-ci réunissent les caractéristiques des relations sociales communautaires (longue durée du collectif, langage commun, apprentissage mutuel dans l’action) et des relations sociales associatives (caractère volontaire, définition de buts communs et rationnels pour l’activité) (Zacklad, 2003a, p.15). Des communautés d’action sont des types de collectif restreints « qui tout en poursuivant activement et donc dans une certaine mesure rationnellement, des projets explicites s’appuient sur un tissu de relations sociales étroites favorisant la sympathie mutuelle et l’apprentissage mimétique censé caractériser les groupes primaires et les communautés de pratiques » (Zacklad, 2003b, p. 149).

Comme les œuvres produites par ces communautés d’action peuvent dépasser la production de sens et de représentations caractéristiques des transactions communicationnelles symboliques, le terme de transaction vient intégrer différents types d’interactions productives. Zacklad présente dans la suite de ses travaux les transactions ou transactions coopératives comme « des interactions productives, le plus souvent associées à des rencontres (mais pouvant être également largement asynchrones), permettant la transformation d’un artefact médiateur et des personnes parties prenantes pour réaliser une performance » (Zacklad, 2013, p. 193).

149 Tant pour les transactions communicationnelles comme pour les autres transactions coopératives (et pour les œuvres qu’elles produisent), la sémiotique structurale de Greimas a inspiré la constitution d’un cadre analytique descriptif pour toutes les activités humaines, un cadre analytique fortement ancré dans une perspective narratologique. Ainsi, les transactions sont inscrites dans un programme narratif, un programme transactionnel. Les personnes engagées dans ce programme peuvent être en position de : (co-) réalisateur, de (co-) bénéficiaire, de (co-) destinateur (mandant) et de (co-) destinataire. Ces positions peuvent être en situation de symétrie ou d’asymétrie les unes par rapport aux autres et une personne peut assumer différentes positions dans une même transaction. Chaque programme transactionnel est constitué de quatre étapes ou épisodes :

- « la virtualisation : le destinateur exprime la vision du projet qui sera réalisé par le sujet réalisateur,

- l‟acquisition de compétences : les sujets réalisateurs mobilisent ou acquièrent les artefacts capacitants,

- la performance : la production, coproduction, acquisition, consommation de l‟artefact porteur de valeur impliquant les bénéficiaires,

- l‟évaluation : gratification, reconnaissance ou au contraire sanction négative exprimée par le destinataire au sujet réalisateur et/ou au destinateur. » (Zacklad, 2013, p. 203).

La performance est l’étape où les individus engagés dans le programme transactionnel aboutissent à la coproduction d’un artefact porteur de valeur. D’autres artefacts peuvent être mobilisés ou (co)-produits lors des autres étapes du programme, ceux-ci sont considérés comme des artefacts capacitants. Les relations entre les individus, la valeur attribuée aux artefacts, et d’autres aspects des transactions sont directement influencés par le contexte dans lequel celles-ci sont réalisées. S’inspirant des propositions de Zask (2008), Zacklad (2013) intègre les notions de situation transactionnelle et de contexte transactionnel.

Suivant les propos de Dewey (1938), Zask distingue les idées de contexte et de situation en les comparants aux idées de milieu et environnement. Elle définit « contexte » comme « un milieu dans lequel prend place telle ou telle conduite : un discours, une action, une croyance, etc. S’il détermine les significations et les traits de cette conduite, il n’est pas en retour affecté par elle » (Zask, 2008, p.314). Les caractéristiques d’un contexte sont antérieures, autoporteuses et indépendantes des conduites. En outre, une « situation » correspond à « tous les moments au cours desquels l’interaction entre un vivant et un milieu s’effectue sous la forme d’une action réciproque » (ibid., 2008, p. 314). Un contexte « forme un « arrière-plan »

150 par rapport auquel les conduites ou les pensées sont ontologiquement des effets ou des variations » (ibid., 2008, p.319). La situation se conforme aux caractéristiques du contexte.

La situation transactionnelle réunit les artefacts médiateurs et les structures sociales qui sont transformées lors des transactions. Le contexte transitionnel réunit, à son tour, les ressources (matérielles et immatérielles, identités et compétences) intégrées à la situation. Dans cette proposition de Zacklad (2013), le contexte transactionnel semble être susceptible de transformations, différemment de la définition de contexte de Zask (2008). Selon Zacklad (2013, p.198), les artefacts produits lors d’une transaction peuvent intégrer d’autres transactions futures (comme artefacts capacitants) : les « artefacts porteurs de valeur issue d’une situation transactionnelle sont susceptibles de se transformer en artefacts capacitants pour d’autres transactions et deviennent les constituants d’un contexte pour une communauté de pratique ou d’action ».

Une autre précision importante consiste à différentier les transactions coopératives en transactions coopératives inventives et transactions coopératives routinières, celles-ci variant selon la nature des transformations subies par les artefacts et les sujets engagés. Une transaction coopérative inventive relève de l’enquête, donc de l’inventivité pour résoudre la situation indéterminée. La résolution de cette situation implique une redéfinition du contexte transactionnel. Dans une transaction coopérative routinière, les artefacts et la performance sont usuels et connus, ne relevant pas de l’inventivité. Ce sont les caractéristiques du contexte qui orientent les sujets engagés dans ce type de transaction.

Ces définitions de contextes et situations transactionnelles nous permettent de comprendre les organisations. Selon la STC, une organisation peut être définie comme « un ensemble de programmes transactionnels récurrents constituant des flux transactionnels obéissant à un ensemble de conventions et de règles dans un contexte donné » (Zacklad, 2013, p. 194). Si les programmes transactionnels constituent l’organisation, nous pouvons penser que les transformations issues des transactions (transformation des artefacts et des êtres) impliquent des transformations dans le programme transactionnel, dans la situation transactionnelle et finalement dans l’organisation. Nous pensons que l’intensité des changements est variable. Les éléments mobilisés directement dans la transaction sont censés subir des transformations plus intenses (éléments de la situation transactionnelle) que les éléments pris en compte indirectement (règles, valeurs et critères déterminés par le contexte transactionnel). Par

151 ailleurs, le type de transaction coopérative, inventive ou routinière, implique plus ou moins de transformations.