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Des trajectoires résidentielles vers le milieu rural mais éloignées de la néo-ruralité

1.2 Engagement dans un lieu de vie et trajectoires personnelles

1.2.2 Des trajectoires résidentielles vers le milieu rural mais éloignées de la néo-ruralité

des centres urbains et « des tentations », un aspect apaisant, de l’espace), cela n’est pas forcément revendiqué comme une aspiration nouvelle dans les entretiens menés auprès des permanents. Catherine, fondatrice du LVA D2, a toujours vécu en milieu rural. Mais c’est le projet de créer une structure médico-sociale, avec le bâti approprié, qui est pour elle la priorité. Si le LVA D2 est situé en milieu rural, c’est d’abord parce que l’occasion s’est présentée via la rencontre avec les propriétaires du lieu. Pour Geneviève et Roger, fondateurs du LVA C1, les choses sont plus complexes. Roger est né et a toujours travaillé à la campagne, là où est situé le LVA, dans l’agriculture et dans le milieu éducatif. Pour lui, le projet de LVA est indissociable des activités de ferme. Cela n’empêche pas la mise en place d’activités culturelles citadines, comme par exemple l’opéra, impulsées par Geneviève, originaire d’une ville européenne et qui est restée dans ce coin de campagne après sa rencontre avec Roger. Yann et Céline (LVA M) ont vécu en milieu rural avant de reprendre un LVA déjà existant à proximité de leur ancienne habitation. Augustin et son frère (réseau Y), sont revenus des grands centres urbains où ils pratiquaient des professions très éloignées de l’éducatif, dans les milieux de la finance, vers l’endroit où ils ont grandi. Ils ont repris et développé l’affaire familiale, le réseau de LVA et le domaine équestre se trouvant sur les lieux où ils ont passé leur enfance. Cet éloignement des centres urbains est revendiqué par le réseau Y, pour le bien être des jeunes accueillis. Pour autant, ils travaillent à l’ouverture d’un LVA dans une grande ville, à la demande d’un département qui cherche des solutions locales afin de ne pas créer de ruptures dans les prises en charge thérapeutiques des jeunes.

Le seul LVA de l’enquête non rural est celui de Didier (LVA C2), mais il reste à distance de la ville. Ici encore la priorité est donnée au travail avec les enfants et non pas au milieu. D’ailleurs, l’extension du

LVA C2, chez Marie-Jo et Philippe, est située au sein d’une ferme familiale, où vivent les parents de Philippe.

Ainsi, on note que si les six LVA investigués sont tous plus ou moins implantés en milieu rural ou à l’écart d’une ville, c’est d’abord en raison de la proximité avec les territoires de vie et résidence habituels des fondateurs et permanents.

1.2.3 Les LVA : une affaire de famille ?

Les engagements familiaux et conjugaux apparaissent plus importants que les origines sociales et les trajectoires résidentielles. En effet, les créateurs et porteurs de projet parlent souvent de leur éducation et de la transmission de valeurs familiales héritées. Entrons dans le détail de la trajectoire familiale et conjugale de nos six LVA.

Pierre et Chantal, en couple depuis 40 ans, ont quatre enfants ensemble. Bien avant l’ouverture du LVA, c’était d’abord la volonté d’avoir une vie familiale à la campagne, avec des chevaux, qui primait. Lors de leur installation à la campagne, au début des années 1980, dans la région où avait vécu Chantal, les conditions de vie sont particulièrement difficiles, mais cette expérience leur permet de pouvoir éduquer et transmettre aux enfants « la valeur des choses ». C’est pour des enjeux financiers que Chantal devient assistante familiale, alors que Pierre travaille à l’extérieur. Puis, ils décident d’acquérir plus d’indépendance et de travailler ensemble, en créant un LVA, dans lequel Pierre sera permanent et Chantal bénévole, celle-ci prenant alors en charge la ferme équestre, dont les comptes sont justement équilibrés par le LVA. Tous leurs enfants et petits enfants vivent à proximité et le mélange avec les enfants accueillis est constant. Une de leurs filles est permanente, hébergeant une fratrie de trois enfants chez elle, nous l’avons vu. Dans cette situation, le LVA vient consolider un projet de vie de famille à la campagne, avec une activité autour des chevaux. Le couple a construit son mode de vie, dans l’optique de fonder leur propre famille. L’accueil des enfants placés est venu progressivement s’y agréger et le prolonger alors que leurs enfants grandissaient.

Catherine, créatrice du LVA D2, débute une carrière d’éducatrice spécialisée après son divorce, à l’âge de 40 ans, après avoir été femme au foyer. Au bout de 15 ans dans l’éducation spécialisée, elle monte un projet de LVA. C’est son compagnon actuel qui la pousse à rédiger le projet. Lui et sa belle- fille, travaillent aujourd’hui avec elle. La belle-fille de Catherine est même pressentie pour reprendre le lieu de vie et projette des études d’éducatrice spécialisée. Pour Catherine, le LVA vient en prolongement de sa carrière d’éducatrice. Son expérience passée lui donne un bagage solide tout en servant de boussole inversée, Catherine cherchant à faire ce qu’elle ne pouvait pas faire en MECS. La forme du LVA lui permet un épanouissement professionnel à un poste de directrice tout autant que d’associer ses proches à son activité. Toutefois, elle garde scindés les espaces de travail et les espaces de vie. Le projet, conjugal et familial, est d’abord un projet professionnel collectif.

Geneviève et Roger se sont rencontrés il y a un quart de siècle. Geneviève avait élevé ses enfants et elle avait déjà une carrière dans le sanitaire et le social dans son pays. Roger, lui, n’avait pas d’enfants mais il avait cumulé plusieurs métiers autour de l’agriculture et de l’éducatif. Il avait également un projet de LVA. Geneviève n’était pas forcément à l’origine de ce projet mais elle s’y est engagée pleinement, tant sur la manière de le penser, de l’organiser, que dans les pratiques quotidiennes et le portage à l’extérieur, notamment au sein du GERPLA et de la FNLV, groupements qui l’ont déçue et qu’elle ne trouve guère représentatifs de sa réalité. Sans oublier l’engagement de ses ressources

financières propres, qui ont permis aussi le développement des projets. Dans ce modèle, c’est clairement une dynamique de couple qui est le moteur de l’action. Un collectif d’actionnaires est appelé à remplacer cette dynamique, ce qui en fera alors un modèle pour le moins original.

Au LVA C2, si Didier décide de quitter son emploi en faisant une croix sur une promotion professionnelle, c’est d’abord « par amour », pour créer un projet commun avec sa compagne d’alors. Finalement, Didier poursuit seul le projet mais il rencontre, quelques temps plus tard Véronique, qui s’installe quelques années avec lui et devient présidente de l’association du LVA. Elle a dû se rapprocher de son travail de cadre de santé à l’hôpital, mais elle reste très présente dans la vie des enfants accueillis. Les enfants de Didier, alors déjà adultes, ont également à un moment ou à un autre, été associés au LVA, même si la tentative de transmission à l’une de ses filles n’a pas fonctionné. Tous les projets restent discutés au sein du couple que forment Didier et Véronique. Une véritable complicité semble exister entre eux, qui se reflète aussi autour de cet engagement commun qu’est le lieu de vie, qui est ici d’abord une affaire de couple avant d’être une affaire de famille. Toutefois, le pilier de ce projet reste Didier, capable de le tenir même tout seul. L’une des caractéristiques de Didier est de transmettre et de partager son attachement au LVA, un projet de vie et professionnel, dans lequel il s’épanouit et qui n’épuise pas sa curiosité. Et ce, malgré deux échecs de transmission concrète du LVA. Marie-Jo, permanente de l’extension et en création de son LVA avec son compagnon Philippe, déclare quant à elle avoir eu envie de se lancer parce qu’elle a rencontré un homme comme Philippe :

« Je n’imagine pas le LVA sans lui. Le lieu de vie c’est nous » (Marie-Jo, permanente, extension LVA C2).

Ici aussi, le projet est clairement le projet d’une nouvelle vie, impulsée par un couple nouvellement formé et dont les enfants respectifs, issus d’unions précédentes, sont moins présents au domicile. Pour eux, le projet les engage d’abord en tant que couple, même s’il implique aussi leurs enfants et leurs parents.

Yann et Céline, les permanents les plus jeunes de l’enquête, sont en couple depuis leurs 18 ans. Yann a un diplôme d’éducateur spécialisé et a été salarié dans un LVA où il a travaillé sur un rythme de plusieurs jours et nuits d’affilée. Céline, elle, travaillait en laboratoire médical. La décision d’ouvrir un LVA, nourrie par Yann depuis longtemps, est précipitée par la situation familiale, comme déjà exposé. Mais Céline souhaitait également construire un projet commun avec son compagnon. De son côté, son engagement dans le projet de LVA est lié au fait d’avoir été enfant unique et d’avoir toujours souhaité une grande famille.

La situation du LVA Y est un peu plus complexe. Le couple des fondateurs est décédé et le réseau est repris par leurs fils. La création du LVA est, au départ, impulsée par une sollicitation du département pour étendre l’accueil que la famille pratiquait depuis de longues années sur la ferme équestre, mais seulement pour les vacances. Bien des années après, la reprise par les fils relève, selon eux, d’une évidence : « on a toujours été programmés pour reprendre tout ça » (Augustin, gestionnaire du réseau Y). Le LVA Y est dirigé par Pascal, qui vit sur place avec toute sa famille. Il mobilise lui-même souvent ses références familiales dans son activité avec les jeunes accueillis. Pour la famille de Pascal, en revanche, la proximité tient davantage du logement de fonction. Le réseau Y tient en revanche de l’entreprise familiale, qu’il s’agit de développer pour les fils des fondateurs. La fratrie forme un duo qui, comme dans le LVA C1, agrège autour de lui les professionnels nécessaires au fonctionnement du projet selon la vision qu’ils en ont.

Vu sous cet angle, c’est finalement le LVA M qui se révèle le modèle le plus familial, étant pensé par un couple autant pour leur projet familial propre (leurs filles sont encore petites, certaines sont nées

au LVA), que pour l’activité d’accueil. C’est de façon moins homogène aussi le cas de Pierre et Chantal. Les autres projets des LVA de notre échantillon sont finalement d’abord des projets de couples, parfois nouvellement formés, et tournés vers une nouvelle vie, y compris professionnelle.

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