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PARTIE 2 Les enfants et la vie au LVA

2.2 Arriver au LVA

2.2.2 Investir les lieux

La première impression des enfants à leur arrivée, ainsi que leur attitude, sont contrastées selon les expériences. Joséphine, 16 ans, accueillie au LVA M, se décrit comme « une fille un peu dangereuse,

quand je suis arrivée, parce que je ne connais pas les personnes et je voulais pas être dans ce lieu de vie et je voulais pas connaître les personnes […] Quand on me forçait à manger, j'ai balancé l'assiette dans la gueule à Yann. » Clément, lui, s’est dit que le LVA C1 allait peut-être lui plaire : « Quand j’ai vu déjà comment on est accueilli. [Inaudible] Sinon j’aurais parti tout de suite » (Clément, 10 ans, LVA C1).

Evan découvre le même lieu de vie il y a deux ans : « Purée c’est grand ! […] Déjà ma chambre elle est

plus petite dans le [département d’origine] qu’ici. » (Evan, 12 ans, LVA C1). Il faut dire que les LVA de

l’enquête misent sur l’esthétique des lieux. « Que les enfants soient dans un endroit beau, c'était très

important pour moi », explique Catherine, la permanente et directrice du LVA D2. Ce qui peut parfois

se retourner contre les permanents de LVA, car « les gens trouvent que c’est trop beau », souligne Sylvie, la permanente et responsable éducative du LVA C1.

Au cours de l’accueil en LVA, un certain nombre d’éléments évoluent. Les enfants restent plus ou moins longtemps et les adultes en contact avec les enfants peuvent aussi changer. Certains LVA ont la particularité d’avoir des espaces différenciés, qui anticipent et organisent des déplacements des enfants au sein même du LVA63.

62 Nathan, 14 ans, LVA Y, extrait du journal de terrain, 05.03.2019.

2.2.2.1 Espaces de vie

Cette mobilité interne, d’un espace à un autre, est quasiment constitutive du LVA C1. Autour d’une grande maison commune pour les activités de jour, trois maisons accueillent deux à quatre enfants avec un permanent (qui change une semaine sur deux). L’une d’elle est située dans un hameau proche. D’autres maisons, propriétés du couple fondateur, permettent d’envisager d’autres solutions encore dans le futur. Dans l’organisation actuelle, les enfants comme les permanents peuvent être habitants d’une maison puis d’une autre, en fonction des besoins éducatifs et des logiques de groupe. Comme Noah, vivant actuellement dans la maison 364 mais d’abord accueilli dans la Maison 1. Clément, arrivé

depuis plus longtemps (3 ans et demi), a vu passer beaucoup d’adultes dans des maisons différentes, bien que les permanents fondateurs, ainsi que la responsable éducative, l’éducateur scolaire et un permanent (Gaspard), soient des piliers du LVA65. Finalement, ils gardent le sentiment d’être au LVA

C1, chez Geneviève et Roger, où qu’ils soient.

Céline : « T’étais où en arrivant, à [Maison 2] ?

Clément : Non, j’étais à [Maison 1]. Avec [prénom masculin 166] et [prénom masculin 2].

Céline : Ça fait longtemps que t’es avec Gaspard ?

Clément : J’étais déjà avec Gaspard et [prénom féminin 1]. Après je suis resté un peu avec [prénom féminin 2] et [prénom féminin 3] et après Gaspard et [prénom féminin 1] sont venus

sur [Maison 2]. Y’a plus [prénom féminin 1], elle est partie. On arrête pas d’embêter les éducateurs. » (Clément, 10 ans, LVA C1)

Le LVA Y fonctionne au sein d’un réseau qui précisément organise la mobilité des jeunes dans une acception extensive de continuité, via plusieurs LVA situés sur des territoires géographiques distincts. Les jeunes qu’ils accueillent sont rarement orientés vers de l’accueil familial mais ont connu plusieurs accueils collectifs. Réputés ne pas « tenir » les placements, ils peuvent éventuellement circuler au sein du réseau Y, dont chacun identifie la coordinatrice et surtout l’un des fils des fondateurs, Augustin, qui anime la direction du réseau, même s’ils sont situés au « siège ». Ainsi, Jones, aujourd’hui âgé de 11 ans, a refusé violement les prises en charge antérieures au réseau Y. Il n'acceptait ni les foyers d'urgence, ni les « foyers de petits » par lesquels il est passé. Il est dans le réseau depuis deux ans, et depuis quelques mois, au LVA Y. D'abord accueilli dans un LVA du réseau destiné aux plus jeunes, il a été déplacé, ayant été « victime »67 avant d’arriver au LVA Y. Kheira, 15 ans, souhaitait venir au LVA Y

lorsqu’elle a été accueillie au sein du réseau, en raison de la présence des chevaux sur ce site. Cependant elle a d’abord été accueillie dans un LVA du réseau situé dans un autre département. Selon elle, c'était pour qu'elle soit « très, très loin de Paris » et parce que ce premier « foyer, ils mettent bien

le cadre »68. Très amie avec la fille du permanent, Kheira s’est avérée « difficile à gérer là-bas »69 et elle

a été déplacée au LVA Y.

En dehors de ces deux LVA (C1 et Y), dont l’organisation est particulièrement propice, voire pensée pour cette mobilité interne, des LVA plus généralistes offrent aussi des espaces différenciés. Ainsi le LVA C2, bien que se présentant comme une maison où cohabitent les enfants et le permanent, propose bien d’autres possibilités : une maisonnette-studio dans le jardin pour un jeune majeur, une caravane

64 Les maisons portent des noms que nous avons préféré effacer pour des questions d’anonymat.

65 Ils sont d’ailleurs trois des quatre futurs actionnaires du LVA C1.

66 Nous n’avons pas renommé les personnes citées qui ne sont plus présentes au moment de l’enquête.

67 Sans plus de précision.

68 À noter que dans ce LVA, quelques places sont réservées pour des séjours de rupture.

en transition (plutôt l’été), une location de studio en ville pour un jeune en contrat jeune majeur, sans compter l’extension chez une permanente vouée à ouvrir bientôt son propre LVA dans une maison en construction, à une cinquantaine de kilomètres, où Enzo est accueilli à temps plein et où les autres enfants vont parfois passer un week-end ou des vacances. Les enfants passent aussi des temps courts ou séjours sur le voilier (à quai ou en mer) ou chez Véronique, la compagne de Didier. Cela permet à Didier de proposer des groupes différents pendant les week-ends.

Le LVA M, repris tel quel par le couple actuel, se présente aussi comme une seule maison. Pour autant, les projets commencent à émerger, avec l’idée, ici aussi, d’investir dans un bateau, ou encore de créer un studio dit « d’apaisement » pour permettre à un jeune de s’extraire ou d’être extrait du groupe. Les projets d’aménagement concernent aussi le LVA C1, dans l’optique d’accueillir des enfants qui vont grandir sans solution alternative au LVA. Le LVA D1, dans une logique d’arrêt progressif de l’activité du permanent fondateur, fonctionne avec une « annexe » à une dizaine de kilomètres où sa fille accueille des enfants. Même le LVA D2, pourtant encore dans sa phase d’émergence (ouvert il y a moins de deux ans), se situe dans cette veine avec un projet plus complexe en négociation avec le conseil départemental.

Une autre caractéristique commune des LVA de notre enquête est d’être situé en milieu rural (sauf pour C2, mais qui reste implanté dans une zone peu peuplée aux abords d’une petite ville), voire dans des zones très isolées. C’est le cas par exemple du LVA C1. Les enfants, qui viennent de divers départements urbains, se projettent dans une vie à la campagne, loin de la pollution comme ils aiment à le répéter. « Je découvre un nouveau pays, […] c’est pas mal, en plus c’est moins pollué, y’a plus de

nature. » (Christopher, 13 ans, LVA C1). Ils investissent les nombreux espaces ouverts extérieurs du

lieu de vie. Bien qu’ils aiment se revendiquer de leur département d’origine respectif, ils s’imaginent souvent vivre à la campagne plus tard, certains même se voient agriculteurs. Ethan, accueilli dans le même département mais au LVA D1, apprécie également l’environnement du lieu.

« Je suis attaché au paysage et tout ça. Un virement de la campagne-campagne à la ville d’un

coup ? Non, je peux pas. C'est tranquille ici, il n’y a pas une seule voiture qui passe. Tranquille. Donc là-bas où j’habite, déjà, c'est dans un bâtiment, on entend plein de voitures. Même la nuit et tout ça, beaucoup plus flippant. Là-bas, t’entends pas d’oiseaux, ici t’entends les oiseaux. »

(Ethan, 14 ans, LVA D1).

En revanche, pour certains adolescents, la perspective de vivre dans un « coin paumé », loin de tous leurs centres d’intérêts passe mal, alors que l’isolement géographique est justement stratégique et pensé comme un atout de l’accueil. « Ils m'ont foutue à la campagne alors qu'ils savent très bien que

je déteste ça. » (Ruby, 15 ans, LVA M). Ruby vit mal le fait d'être en lieu de vie à la campagne. Elle

préférait vivre en foyer et souhaite à ses 18 ans partir vivre avec son petit ami et commencer à travailler. « Au début je tafferai dans la pâtisserie et après faut que j'arrive à créer ma propre pâtisserie.

Au pire je fais des gâteaux que je vends et si ça marche je crée une pâtisserie. » (Ruby, 15 ans, LVA M).

2.2.2.2 Chez soi ?

Quoi qu’il en soit, rares sont les enfants et adolescents accueillis dans les LVA dans lesquels nous avons enquêté en immersion, qui se disent "chez eux" au LVA. Les adolescentes accueillies au LVA M n’ont à aucun moment laissé penser qu’elles se sentaient chez elles ici. Pour elles, chez elles, c’est dans leur famille. Comme elles, la plupart des enfants et adolescents continuent en effet, indépendamment de leur bien-être au sein du lieu de vie, de projeter leur appartenance au sein du domicile parental. Les échanges avec les enfants montrent que c’est aussi selon la relation qu’ils entretiennent, ou qu’ils

souhaiteraient entretenir avec leurs parents, qu’ils investissement plus ou moins le LVA comme leur « chez eux ». Ceux qui gardent des relations avec leurs parents, même très distendues et/ou complexes, continuent plus ou moins de se représenter leur chez eux, chez leurs parents. Ils sont finalement toujours chez quelqu’un, jamais vraiment chez eux.

« Au départ, je voulais rester avec mes parents. Mais après on m’a expliqué. Ma mère m’a expliqué et je me suis dit : "Bah c'est vrai, elle a raison". Au fil du temps, j’ai réussi à accepter.

[…] Même là, je le comprends, mais des fois ça m’embête un peu parce que j’ai envie d’être avec

eux quoi, chez mes parents. » (Nolan, 16 ans, LVA D1)

Jimmy, qui n’a que peu de relations avec sa famille, investit lui le LVA C1 comme domicile. Enzo, bien qu’il réclame souvent sa mère, dit se sentir chez lui chez Marie-Jo (extension LVA C2) : « Ça se passe

bien ici […] j'aime bien ici en fait. Chez ma mère c'est petit, enfermé ». Il revient d’une semaine hors du

LVA et a ramené sa collection de porte-clés ici. « Ici c'est calme, y'a pas ma petite sœur pour me faire

crier […]. On mange bien. Chez ma mère on mange toujours la même chose, du surgelé, y'a pas de sous pour acheter de la viande ». (Enzo, 13 ans, LVA C2-extension). Quand un nouveau venu commente la

maison : « c’est vieux !», il s’insurge : « mais moi j’aime bien ! »70. Ici, il se sent en confiance, il peut

tout dire, ce qu’en effet nous observons au cours de l’immersion. Jennifer, accueillie au LVA C2, parle de rentrer chez elle quand elle passe un week-end chez sa mère. Pourtant, elle regrette de ne pas y avoir sa chambre. « En plus y’a son mec ! » (Jennifer, 15 ans, LVA C2,). Lors de l’audience chez le juge, qui l’agite beaucoup, il sera décidé qu’elle reste 15 mois de plus en placement au LVA. Déception ou soulagement ? Les deux émotions semblent mêlées. Didier pense qu’elle est triste et n’a qu’une hâte, c’est de partir vite chez sa mère et essaye de faire passer la pilule en lui disant : « De toute façon, tu

vas y aller le week-end, tu n’as qu’à te dire qu’ici c’est comme aller à l’internat »71. Mais en entretien,

Jennifer se projette au LVA jusqu’à sa majorité et même après. Elle se voit déjà dans le studio du jardin à la place de Léa qui l’occupe actuellement, tout en préparant son bac pro pour travailler dans une maison de retraite.

Globalement, les enfants ont bien du mal à ressentir un vrai chez soi. À défaut, ils ont le sentiment, exception faite du LVA Y, de vivre chez quelqu’un. Chez Geneviève et Roger pour le LVA C1 quand bien même ils ne cohabitent pas dans la même maison ; chez Didier, quand bien même durant plusieurs mois il a été absent, cherchant à transmettre le LVA à une connaissance puis à sa fille ; chez « les Durand », chez « les patrons », au LVA M fondé et géré par un couple. Ils investissent donc les espaces qui leur sont ouverts, où ils expérimentent, pour la plupart, de la sécurité et de l’intimité. Mais comment s’organise leur vie d’enfant au LVA ? Quelles sont leurs perspectives ?

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