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L’engagement comme permanent de LVA : une dynamique pluridimensionnelle

L’engagement apparait comme une notion importante, car la création (ou reprise, voire gestion) d’un lieu de vie suppose des positionnements particuliers. On observe des rapports ambigus à la protection de l’enfance instituée et, plus généralement, aux les institutions de prise en charge, dans le droit fil de l’histoire même de l’émergence des LVA (Brunier, 2016). Les services de l’aide sociale à l’enfance (ASE) sont les organismes payeurs sans pour autant avoir un vrai statut de tutelle : l’ASE du département est compétente pour autoriser et contrôler l’implantation du LVA sur son territoire, mais l’ASE d’autres départements peut recourir au LVA pour l’accueil d’un enfant dont elle assumera le prix de journée, fixé avec le conseil départemental d’implantation. Comme déjà mentionné, l’originalité des LVA se situe dans le fait de répondre au projet personnel d’un individu ou d’un couple, sans obligation de prendre en compte les besoins de l’ASE, notamment au niveau local45.

Les LVA se sont initialement créés en opposition aux grandes institutions d’enfermement – hôpital psychiatrique, orphelinat, lieu d’hébergement pour personnes handicapées. Leurs fondateurs revendiquent d’autres buts et d’autres moyens, comme la liberté, la proximité avec la nature, le

45 Point de friction justement entre FNLV et ASE de certains départements, qui explique aussi la revendication des LVA de rester

partage du quotidien. Aujourd’hui, si le partage du quotidien reste important, il est couplé avec le « cadre », fait notamment de règles et de sanctions, parfois plus fermes que dans les autres structures d’accueil. Il est mis en avant comme principe éducatif. Ici, c’est à la fois la contradiction avec certains principes des origines et la transversalité de son application, quel que soit le modèle, qui frappe, et nous aurons l’occasion d’y revenir.

De plus, les permanents d’aujourd’hui, rarement d’accord sur un grand nombre de choses, ont une revendication commune : les LVA réussissent mieux que les autres structures dans leur mission de former des citoyens, évitant maltraitance institutionnelle et autres effets iatrogènes de l’institutionnalisation sur des populations jugées comme les plus difficiles. Si, avec cette recherche, il apparait impossible de vérifier la véracité de cette revendication, elle apparait comme principe fondateur de l’engagement des permanents aujourd’hui.

L’analyse de nos données empiriques montre que l’engagement des porteurs de projet de LVA se structure autour de la conciliation du « souci de soi » et du « souci des autres ». Celle-ci se déploie sur quatre axes. Les axes entrepreneurial et professionnel font appel au concept de « souci de soi », alors que les axes militant et familial convoquent celui de « souci des autres ».

L’ axe entrepreneurial renvoie au fait que le permanent est le créateur et porteur de son propre projet. Ce dernier doit répondre à des aspirations personnelles et correspond à un souhait de « réalisation de soi » et la recherche d’une cohérence dans sa vie. L’axe entrepreneurial de l’engagement se caractérise également par une réflexivité sur l’activité et le constant développement des LVA. En effet, les LVA enquêtés sont en perpétuel mouvement, leurs permanents cherchant toujours à améliorer, compléter, ajuster la prise en charge, selon leur évaluation des besoins mais aussi en fonction de leurs aspirations.

L’axe professionnel, sans doute le plus controversé parmi nos interlocuteurs avec l’axe entrepreneurial, est néanmoins très présent. D’abord, parce que l’activité en LVA relève d’une carrière professionnelle, au sens où elle assure des moyens de subsistance, le plus souvent d’ailleurs sous la forme du salariat. Ensuite parce qu’elle s’appuie sur des gestes professionnels : des techniques dans la gestion du quotidien, des connaissances professionnelles, l’accomplissement de procédures administratives et juridiques, l’évaluation relationnelle des jeunes en lien avec des partenaires extérieurs, une réflexivité sur sa pratique.

L’axe familial est lié à la présence, la permanence, le « vivre avec », le partage du quotidien, bref l’attention constante à l’autre. En gros, « la vie » au jour le jour. Mais il renvoie aussi à une représentation de la vie familiale rejouée ici avec les accueillis. Il repose enfin sur l’imbrication du privé et du professionnel, par exemple sur le fait d’associer ses proches à son activité professionnelle. L’axe militant relève de la dimension politique et de « mission sociale » des LVA, c’est-à-dire de la volonté de prendre sa part de la vie en société. S’occuper de « ceux dont personne ne veut », les rendre visibles, leurs donner accès à la beauté, sont quelques-unes des missions que se donnent les permanents des LVA investigués, qui considèrent que tout le monde a sa place dans la société. Ce principe de « ne lâcher personne », donne une couleur politique à l’engagement dans un lieu de vie. Ces quatre axes – entrepreneurial, professionnel, familial et militant – recomposés chaque fois de manière singulière, se retrouvent dans tous les LVA de l’enquête.

1.3.2 Processus d’engagement et ethos professionnel

L’engagement dans la création d’un LVA n’apparait pas uniquement comme un acte rationnel et stratégique, visant la poursuite des buts personnels, notamment financiers. Cependant, cet engagement n’est pas complétement désintéressé. Nos interlocuteurs valorisent ce statut pour l’indépendance financière et administrative qu’il leur offre, voire pour la position sociale d’interlocuteur dans laquelle il les place, face en particulier à l’ASE. Ni attitude purement personnelle, ni uniquement explicable par les structures sociales, qu’est-ce qui peut nous donner accès à la compréhension de l’engagement dans un lieu de vie compte tenu de ses exigences ?

Le modèle processuel(Mc Adam et Paulsen, 1993) de l’engagement, permet d’envisager l’activité comme un processus dans lequel les réseaux et les liens de proximité jouent une importance sur les changements identitaires, ce qui permet un engagement dans des activités nouvelles (militantes, bénévoles, etc.). En effet, « Ce modèle s’attaque directement au problème de l’écart entre déterminants sociaux traditionnels et engagement (ou non) des personnes prédisposées en portant attention aux processus de recrutement dans les activités étudiées. » (Ward, 2012, p. 164). Bien que faisant partie de la sociologie de l’action collective, le modèle processuel intègre la dimension de l’engagement personnel. La question posée est le sens donné par les acteurs à leur engagement dans leur quotidien et cela, d’une manière rétrospective (Fillieule, 2001).

Nous l’avons vu, les trajectoires qui mènent à l’engagement dans l’ouverture d’un LVA, mais aussi dans sa poursuite, sont complexes et variables. En effet, y sont enchevêtrés des désirs d’indépendance et d’aventure, des projets qui impliquent des valeurs militantes, des projets familiaux-conjugaux, tout comme des projections professionnelles ou encore culturelles.

C’est en effet autour des quatre axes précédemment évoqués que se construit le sens de l’engagement. Ces quatre axes se recomposent selon les personnes et les trajectoires. Le plus souvent, une prépondérance de l’axe entrepreneurial donne lieu à une plus grande professionnalisation et à une plus grande spécialisation des LVA, concomitante d’une importante division du travail, ce qui nous amène à nommer leur ethos professionnel d’« institutionnel ». L’exemple le plus abouti en en est le LVA Y, mais cela correspond aussi assez bien au LVA C1, et dans une certaine mesure, on y retrouve aussi le LVA D2. La revendication de l’axe familial s’incarne dans une forme de LVA plutôt généraliste, où toutes les tâches peuvent être accomplies par le permanent, ce que nous appelons ethos professionnel « familial ». Plusieurs LVA de notre enquête peuvent s’en prévaloir à un titre ou à un autre. Les LVA à ethos professionnel institutionnel ont tous une forme de composante familiale, même si le LVA M et le LVA C2, et D1 malgré son imbrication dans l’entreprise familiale, apparaissent comme les formes les plus abouties d’ethos professionnel familial de notre échantillon.

1.3.3 De l’éducateur entrepreneur à l’entreprise éducative : un continuum plutôt qu’une

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