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PARTIE 3 Les cadres de l’accueil et de l’accompagnement

3.1 Géographie intérieure et sociale des LVA ou l’aménagement du « vivre avec »

3.1.2 L’aménagement « institutionnel » du LVA

Les permanents responsables des LVA C1, Y et D2 ont été identifiés comme ayant une conception davantage institutionnelle que familiale des lieux de vie et d’accueil.Pour le LVA C1, cela se traduit entre autres par un nombre important de salariés (une quinzaine et plusieurs intervenants) et par la scolarisation interne de certains jeunes accueillis. Le LVA Y est une SARL et s’inscrit dans un réseau de plusieurs LVA gérés à distance par un siège social (coordination, secrétariat, comptabilité, entretien de l’immobilier).Le LVA D2, présente lui une particularité qui nous intéresse ici :les domiciles personnels des adultes accueillants, et notamment celui de la permanente, se situent en dehors du LVA, c'est-à- dire en dehors de ce que tous considèrent comme étant leur lieu de travail. C'est sur ce fait précis que nous voudrions nous arrêter maintenant, et donc sur le LVA D2, car la distance géographique entre domicile et travail réinterroge l’aménagement spatial du « vivre avec » tout en redessinant la frontière vie privée/vie professionnelle. Entrons dans les détails.

3.1.2.1 Le LVA D2 : lieu de vie des enfants, lieu de travail pour les accueillants

Le LVA D2 est une structure associative (loi 1901) relativement récente créée en 2017 par Catherine, la "directrice" du LVA. L’association loue à des propriétaires privés une maison (avec jardin et piscine) située dans une petite commune rurale du Sud-Ouest (1 500 habitants environ). C'est là que sont accueillis six enfants placés, trois filles et trois garçons, âgés entre 8 et 13 ans, tous originaires du département d’implantation.

L’équipe d’accueil se compose de cinq salariés en CDI : deux permanentes (Catherine, également directrice, et Marion), une maîtresse de maison (Stéphanie, belle-fille de Catherine), une éducatrice (Vanessa, en congé maternité au moment de l’enquête) et un homme d’entretien (Christophe, mari de Catherine, qui s’occupe du jardin et des petites réparations au sein du LVA). Quant à la séparation entre le LVA et les domiciles des accueillants, c'était, dès le départ du projet LVA, « une évidence » :

« On en parle maintenant avec ma présidente93 : pas une fois dans le projet, autant elle que moi,

on a pu imaginer que je pouvais vivre sur le lieu. C'était quelque chose qui ne nous a jamais, jamais, jamais posé question. Ça ne nous a pas traversé l’esprit parce qu’on est dans le professionnel. Ici, mes collègues et moi, nous sommes au boulot, point à la ligne. Quand mes enfants viennent au LVA, ils ne viennent pas chez maman, ils viennent au travail de maman. » (Catherine, permanente, LVA D2).

Si, pour Catherine, le LVA est clairement identifié par tous comme le lieu de travail des accueillants, il est aussi et tout autant considéré comme « la maison de vie des enfants ». Cette expression, à laquelle Catherine tient, signifie que le LVA est moins le LVA des adultes accueillants que celui des enfants accueillis. Ce message qu’elle fait passer à tous les acteurs du LVA (enfants comme adultes) vise à ce que les accueillis puissent s’approprier un peu plus le LVA, qu’ici ils puissent se considérer comme étant « chez eux », supposant ainsi que les enfants peuvent éprouver un chez soi indépendamment de l’adulte.

Lieu de travail pour les adultes, maison de vie pour les enfants, cette définition du LVA permet également, et toujours selon Catherine, d’éviter « les confusions » :

[27.04.2019 - LVA D2 - Dernier « jour de camp » à Espelette avec les enfants - Au restaurant]

13h30. Le repas se termine. Le moins que l’on puisse dire c'est que les enfants se sont régalés. Et ils s’empressent de le faire savoir : « Merci Catherine ! C'était délicieux ! », dit en premier l’un d’entre eux. Il s’ensuit, dans un léger brouhaha, plusieurs remerciements, tous dirigés vers la directrice. Catherine sourit puis déclare : « non, merci le LVA ».

Lors d’une discussion informelle, Catherine et l’enquêteur reviendront sur cette scène. Pour la directrice du LVA, rappeler aux enfants que l’argent utilisé pour payer le restaurant n’est pas le sien est capital :

« Ce n’est pas moi qui paie, c'est l’association, c'est l’argent du lieu de vie, c'est un travail qu’on

fait. J’ai un prix de journée pour eux… Ils sont au courant. […] Et je crois que c'est important de leur faire prendre conscience que je ne peux pas acheter n’importe comment, qu’il y a un budget que me donne le conseil départemental. Le LVA, ce n’est pas Catherine. Le LVA, c'est là où je travaille, où l’équipe travaille. Il ne nous appartient pas. » (Catherine, permanente, LVA D2).

Cet exemple illustre la façon dont les adultes accueillants considèrent le LVA D2, comme étant un espace de vie exclusivement professionnel. Et cet élément-là se trouve déjà dans le projet d’ouverture soumis au département, ce qui distingue nettement le LVA D2 des autres LVA investigués94.

3.1.2.2 « Les enfants ne connaissent pas notre adresse »

Nous l’avons dit, aucun adulte accueillant du LVA D2 n’a son domicile « sur place », au LVA. Ainsi, Catherine (directrice et permanente) et Christophe (son mari et agent d’entretien du LVA) vivent tous deux dans un pavillon d’une commune voisine, louée à un exploitant agricole : « les enfants [accueillis]

ne connaissent pas notre adresse » (Christophe). Et c'est selon un planning de travail bien établi que la

permanence auprès des jeunes accueillis est assurée, avec, pour les nuits et pour les permanents, une chambre individuelle et la mise en place d’une organisation par roulement.

De cette façon, Christophe et Catherine se sont aménagés un espace domestique où chacun peut « se retirer » pour « pouvoir se balader à poil chez soi » (Christophe), « boire un verre d’alcool et pas

du jus de pomme » (Catherine). « Rentrer chez soi », c'est rentrer « en ce lieu propre qui, par définition,

ne saurait être le lieu d’autrui. […] habiter à part, hors des lieux collectifs, c'est disposer d’un lieu

protégé d’où la pression du corps social sur le corps individuel est écartée. » (Certeau et al., 1994,

p. 205-207). La fonction restauratrice du chez soi, de l’espace privé, c'est là un point que nous avions déjà évoqué à propos de la conception familiale du LVA dans sa dimension spatiale. Mais pour Catherine, la domiciliation du permanent au sein du LVA est définitivement trop coûteuse socialement :

[26.02.2019 - LVA D2] Catherine me dit que cette histoire de frontière vie privée/vie

professionnelle – dont je lui avais fait part quelques jours plus tôt – la travaille beaucoup, qu’elle y pense, et que plus elle y pense, plus elle est persuadée qu’une distance géographique est indispensable pour préserver tout le monde, surtout la famille : « Mais sinon, comment tu fais

pour construire une vie de famille ? Pour recevoir des amis ? Comment déconnecter du

94Rappelons que selon la définition du Code de l’action sociale et des familles (CASF), le LVA « constitue le milieu de vie habituel

et commun des personnes accueillies et des permanents […] dont l’un au moins réside sur le site où il est implanté (Article D316-1).

boulot ? Comment tu fais pour avoir une vie de couple ? Pour avoir des loisirs ? » La domiciliation

au LVA est quelque chose qui ne tient pas pour Catherine. Elle n’entend pas l’argument de Pierre, permanent du LVA D1, celui de proposer aux enfants accueillis un modèle familial d’accueil ; comme par ailleurs Pierre n’entend pas qu’on puisse dissocier son lieu de vie familial et le LVA : « où est le vivre avec ? ».

La distance domicile/travail instaurée par Catherine et Christophe vise à préserver la vie privée. On remarquera que cela n’empêche pas une imbrication des sphères professionnelles et familiales au sein du LVA D2, Catherine étant entourée de son mari (homme d’entretien) et sa belle-fille (maîtresse de maison). Cette remarque peut être étendue à l’ensemble des LVA investigués où la frontière entre famille et travail est perméable, rappelant du même coup que les grands pôles de la vie sociale ont un caractère fortement transversal95. En outre, la séparation géographique entre le LVA D2 et le domicile

ne doit pas masquer les contraintes professionnelles qui sont celles de la gestion quotidienne d’une maison avec six enfants.

3.1.2.3 Les contraintes du quotidien professionnel

Aux premiers rangs de ces « contraintes » se trouvent l’obligation de permanence de certains accueillants auprès des accueillis. De même que pour l’ensemble des LVA investigués, les exemples à ce propos sont nombreux concernant le LVA D2. Au hasard des observations retranscrites dans le journal de terrain, on peut ainsi lire :

[21.01.2019 - Domicile de Catherine et Christophe] 21h30. Cela fait un moment que Christophe

et moi discutons des enfants du LVA, l’échange se prolongeant avec les tisanes que nous buvons. Catherine est de garde ce soir. Elle passe la nuit au LVA. […] 22h30, le téléphone fixe sonne. Catherine demande à Christophe s’il peut apporter un Spasfon pour Agnès (accueillie). Christophe exécute sa demande et fait l’aller-retour en trente minutes. […] 23h10, nouveau coup de fil. « Agnès est en crise, me rapporte Christophe, je dois la surveiller dans le bureau.

Catherine ne peut pas laisser la maison sans surveillance ». […] Alors que je suis couché,

j’entends Christophe passer la porte d’entrée. Il est 0h30.

À n’en pas douter, le fait que les domiciles des accueillants, et plus particulièrement des permanents, ne se situent pas au LVA implique, pour Catherine, une totale disponibilité, y compris lorsqu’elle n’est pas de permanence (roulement toutes les deux nuits avec la seconde permanente du LVA). Et comme l’illustre la scène décrite ci-dessus, elle n’hésite pas non plus à mobiliser son mari en cas de besoin. D’ailleurs, l’implication de Christophe au LVA dépasse largement son rôle d’homme d’entretien. Elle dépasse également les horaires prévus initialement dans son contrat de travail (35h). Il soupçonne d’ailleurs que le rythme de vie qui est le sien avec l’activité au LVA, et qu’il accepte, n’est pas sans lien avec l’accident cardiaque survenu il y a quelques mois (le faisant passer à un mi-temps thérapeutique). Cette précision vise à souligner à quel point travailler dans un LVA demande un engagement et un investissement continuels, en particulier auprès des enfants, sans parler des liens affectifs qui peuvent se développer entre les accueillants et les accueillis. Et c'est là que se justifie, pour Catherine, la séparation géographique entre le domicile et le LVA, entre la vie privée et la vie professionnelle : elle

95 Au LVA Y, la perméabilité de la frontière vie privée/vie professionnelle est aussi perceptible, ce dont rend compte l’extrait

d’observation suivant : « La famille du [responsable permanent] vit dans une maison adjointe au LVA […]. Les enfants (les siens et les accueillis) se croisent sur le terrain, ils y jouent parfois ensemble. Les enfants [du responsable permanent] passent par le LVA dire bonjour, peuvent y rester brièvement. De même, certains jeunes, très rarement, peuvent avoir le droit d'aller dans la maison de Pascal pour jouer aux jeux-vidéo. Cela dit, Pascal mange très rarement avec les jeunes accueillis, sa famille jamais. En tous cas, je ne l'ai pas observé. » LVA Y, extrait du journal de terrain, 21.01.2019.

permettrait aux professionnels de s’aménager un temps libéré des contraintes quotidiennes du LVA, un temps de répit, et de garder une distance affective saine avec les enfants accueillis, nous y reviendrons.

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