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De l’éducateur entrepreneur à l’entreprise éducative : un continuum plutôt qu’une

Lorsque les fondateurs ou repreneurs de LVA évoquent le processus de leur engagement, ils évoquent à la fois des raisons familiales, militantes et professionnelles. Cependant, les permanents parlent aussi d’opportunités dont ils ont bénéficié. In fine, et d’une manière contre-intuitive, l’engagement dans un LVA ne représente pas tant une problématique pour concilier vie privée et vie professionnelle mais apparaît plutôt comme une manière de rendre cohérentes plusieurs dimensions de sa vie. Ces dimensions étant liées aux différentes facettes identitaires.

Dans le modèle de l’engagement processuel, les auteurs (McAdam et Paulsen, 1993 ; Ward, 2012) considèrent que l’engagement est lié aux différentes facettes de l’identité personnelle et dépend de l’inscription des personnes dans des réseaux sociaux. Ils modélisent l’engagement en trois phases, qui nous semblent pertinentes ici.

Une première phase, nommée « Appel », relève de motifs individuels de l’engagement. L’appel s’exprime dans la découverte d’une activité et dans le fait de ressentir une proximité : se sentir « appelé » pour cette activité. L’appel peut prendre différentes formes. Cela peut être une attitude personnelle liée à l’envie d’être dans l’aide et le soutien avec les plus démunis (Yann, LVA M). L’appel peut venir d’une personne extérieure, qui désigne une qualité ou une compétence jusqu’ici non envisagée (Roger, LVA C1). Cela peut être le fait de se sentir maltraitant et/ou maltraité dans les institutions classiques et souhaiter mettre en place une nouvelle forme d’accompagnement (Catherine, LVA D2). Mais cela peut être, plus trivialement, la demande institutionnelle, comme c’est le cas du LVA Y à l’origine.

Le « Lien » est la seconde phase, au cours de laquelle se forme le lien entre participation et identité. C’est le moment, qui peut se révéler assez long, nécessaire aux acteurs pour faire les ponts entre soi- même et l’activité en question, afin que les deux puissent être envisagées comme naturellement liés. C’est notamment le moment où les acteurs peuvent commencer à se projeter dans les démarches. Le

lien est le fait de pouvoir se projeter dans cette activité – dans notre cas, se voir comme un permanent

de LVA. Cette phase revêt ici une importance particulière. Lors de l’enquête, un grand nombre de assistants-permanents le montrent a contrario : s’ils se disent satisfaits de leur travail au LVA où ils sont salariés, ils annoncent « ne pas se projeter » dans le statut de permanent « responsable », et particulièrement dans le fait de vivre sur place.

La troisième phase requiert le soutien de l’entourage pour confirmer le « lien » entre l’activité en question et l’identité de la personne. Il s’agit de recevoir une confirmation et même une reconnaissance des différents groupes de son entourage sur ce lien, offrant une légitimation. Cette étape est décisive pour l’aboutissement de l’engagement. C’est ainsi une étape complexe, parce que c’est ici que l’articulation des quatre axes précédemment dégagés est nécessaire. Il faudra non seulement l’accord, mais aussi l’adhésion de la famille. Parfois, la famille élargie et le réseau amical sont convoqués dans les premiers pas d’un LVA. Il faut aussi développer l’axe entrepreneurial, pour concrètement mettre en place le LVA (écriture de projet, contact avec le conseil départemental, la banque, la FNLV ou d’autres réseaux de permanents expérimentés). Il faut également correspondre aux fondements et missions des LVA. Enfin, le montage du projet doit être reconnu comme suffisamment professionnel par l’ASE, qui a le pouvoir d’autorisation (approuvant ainsi un prix de journée ainsi que le nombre et l’âge des futurs accueillis).

Ainsi, le processus de l’engagement se fonde sur des motivations et des dispositions individuelles. Il se poursuit par le fait de relier ces dispositions à une activité pratique, pour enfin être conforté par son entourage sur la légitimité de ce choix. Nous voyons une étape supplémentaire à l’engagement dans un LVA : « l’opportunité ». C’est ce processus qui forme différents contenus constitutifs de philosophies de l’accompagnement diversifiées.

Le lien entre le processus de l’engagement et l’ethos professionnel au quotidien est indéniable. Plus qu’une nette séparation selon les modèles, nous observons plutôt un continuum, allant de l’accompagnement familial, qui repose sur une personne principale qui se projette comme éducateur et développe un axe entrepreneurial pour mettre en œuvre son projet, à l’entreprise éducative, où là

encore une ou deux personnes sont motrices d’un projet qui va cependant dépendre, de par son ampleur, de davantage d’acteurs. En effet, dans le processus d’engagement, les différents axes sont diversement mobilisés, mettant davantage en avant l’accompagnement familial, la dimension professionnelle et éducative, ou encore le développement de l’activité et la dimension entrepreneuriale.

Conclusion

Les trajectoires sociales et les parcours vers l’ouverture ou la reprise d’un LVA apparaissent donc très divers. Origines sociales, carrières scolaires et professionnelles, aspirations familiales, conjugales et résidentielles, sont très hétérogènes. C’est cette diversité même qui est considérée comme la richesse du milieu des LVA : le LVA émane d’un projet personnel et non pas en réponse à une commande sociale. L’hétérogénéité des parcours de permanents de notre échantillon témoigne donc que ce milieu répond toujours à l’un de ses principes fondateurs : un projet personnel à vocation solidaire – une forme d’« aventure », dirait Marie-Jo (permanente, extension LVA C2).

S’engager dans la création (ou reprise) d’un LVA, apparait comme une bifurcation dans la trajectoire professionnelle des permanents, qui l’envisagent en seconde carrière, voire même en deuxième vie, à l’occasion d’une remise en couple, lorsque les enfants grandissent, ou après une expérience de travail éloignée de ses convictions. Le projet puise ainsi ses racines dans les socialisations antérieures des permanents, autant personnelles et familiales que professionnelles.

Pour autant, cette démarche dépend tout à la fois d’une occasion, de forces mobilisables dans son entourage et d’une appétence particulière. Et elle ne tiendra dans la durée qu’avec un fort investissement de soi, marqueur entre fondateurs et salariés, mais aussi, parmi ces salariés eux- mêmes, entre ceux qui tiennent et ceux qui tournent.

Malgré des logiques de distinction et de classement, l’ensemble des LVA se retrouvent autour d’une philosophie qui met en avant l’articulation du « souci de soi » et du « souci des autres ». Cette articulation met en mouvement, chaque fois de manière singulière, quatre dimensions : entrepreneuriale, professionnelle, familiale et militante. Ce serait les différentes manières de combiner ces quatre axes qui assurent la diversité des lieux de vie, leur identité commune passant autant par la mission sociale d’accueil que par la possibilité de mettre en cohérence plusieurs domaines de la vie et différentes facettes identitaires, incluant plus fortement qu’énoncé par les concernés, la dimension professionnelle.

Suivant la combinaison des multiples dimensions, les LVA développent un ethos professionnel plus familial ou plus institutionnel, qui dépend aussi d’un choix d’échelle, mais pas seulement. Entrent en jeu : la séparation, qu’elle soit réelle ou symbolique, de la sphère du travail et de la sphère privée, quand bien même l’engagement est toujours remarquablement intense ; la différenciation des tâches et des rôles répartis sur un nombre élevé de personnes au sein du LVA, quand bien même certains sont de la même famille que le fondateur. Ce sont là autant d’éléments de nature à accentuer une vision plus ou moins institutionnelle de l’accueil en LVA. Mais le projet et son orientation doivent également se lire au regard des personnes accueillies. Il convient donc de regarder l’application de cette philosophie d’accueil et de s’arrêter sur la manière dont le LVA s’inscrit aussi dans les trajectoires des enfants.

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